ANALYSE D'ARTICLE

Augmentation de l’incidence du cancer de la thyroïde : « l’effet dépistage »

Cette analyse des données du Veterans Affairs health care system sur la période 2000-2012 soutient l’hypothèse d’un « effet dépistage » participant à l’augmentation récente et importante de l’incidence du cancer de la thyroïde aux États-Unis.

This analysis of data from the Veterans Affairs health care system between 2000 and 2012 supports the hypothesis that a screening effect is contributing to the recent significant increase in the incidence of thyroid cancer in the US.

L’incidence du cancer de la thyroïde a pratiquement triplé entre 1975 et 2009 aux États-Unis, ce qui conduit à s’interroger sur la réalité de ce phénomène. Plusieurs éléments laissent penser que les raisons essentielles en sont l’augmentation de la pratique du dépistage et l’amélioration des techniques d’imagerie médicale (qui permettent de détecter des nodules de quelques millimètres). D’une part, le type histologique de cancer dont l’incidence a le plus augmenté est le carcinome papillaire, dont l’évolution est volontiers indolente et qui est fréquemment découvert de manière fortuite (« incidentalome ») à l’occasion d’examens de la région cervicale pratiqués pour une autre raison, ou retrouvé à l’autopsie chez des sujets décédés d’une autre cause. D’autre part, l’analyse des données statistiques nationales (programme Surveillance, Epidemiology and End Results [SEER] du National Cancer Institute) montre que l’incidence de ce cancer a augmenté plus rapidement dans la fraction de la population qui bénéficie d’un statut socio-économique élevé, d’un bon taux de couverture par une assurance maladie et d’un large accès aux services de soins. Ainsi, selon plusieurs auteurs, le cancer de la thyroïde serait actuellement surdiagnostiqué et surtraité, au prix d’une augmentation inutile de la morbidité et des coûts liés au traitement. Pour d’autres, qui s’appuient sur des rapports montrant une augmentation de l’incidence des petites comme des grosses tumeurs à différents stades d’extension, le phénomène est réel et d’origine encore inconnue.

La relation entre l’évolution du nombre de diagnostics de cancers de la thyroïde et celle du nombre d’échographies thyroïdiennes et de ponctions à l’aiguille fi ne pour analyse cytologique (cytoponction) a été examinée ici dans la population des usagers du système de santé des anciens combattants (Veterans Affairs [VA] health care system).

 

Tendances temporelles

Entre les années 2000 et 2012, près de 11 millions de personnes ont reçu des soins, dont 157 088 une échographie thyroïdienne et 15 576 une cytoponction (seul le premier examen de chaque type était pris en compte). Un diagnostic de cancer de la thyroïde avait été posé chez 8 870 patients dont 70 % avaient auparavant passé une échographie et/ou eu une cytoponction dans un centre du VA health care system (les autres avaient pu faire réaliser ces examens dans des établissements extérieurs au système).

Le nombre de diagnostics de cancers de la thyroïde était passé de 331 en 2000 à 870 en 2012, ce qui correspond à une augmentation du taux d’incidence annuel (standardisé sur l’âge) de 10,3 à 21,5 pour 100 000 personnes. L’analyse année par année montre que l’incidence du cancer a crû de façon lente et régulière entre les années 2000 et 2008, au rythme de 3,81 % d’augmentation annuelle, puis que le mouvement s’est accéléré entre 2008 et 2012, avec un taux d’augmentation annuelle de 10,32 %. Dans le même temps, le nombre de personnes ayant passé une échographie thyroïdienne avait augmenté de 4 493 en 2000 à 21 450 en 2012. Le taux de pratique de l’échographie est resté stable entre 2000 (125,6 pour 100 000) et 2002 (124,5 pour 100 000) puis a augmenté de façon exponentielle à partir de 2003 pour aboutir à 572,1 pour 100 000 en 2012 (taux d’augmentation annuelle : 15,48 %). L’augmentation du nombre de personnes ayant subi une cytoponction (de 275 en 2000 à 2 234 en 2012) apparaît progressive et exponentielle, sans point d’inflexion identifiable (taux d’augmentation annuelle : 18,36 %).

 

Interprétation

La corrélation directe entre l’augmentation de la pratique de l’échographie et de la cytoponction et celle des diagnostics de cancers de la thyroïde observée dans cette population renforce l’argumentation d’un « effet dépistage ». Sur la période concernée, l’augmentation du nombre des examens de la thyroïde (multiplication par 5 pour l’échographie et par 7 pour la cytoponction) est plus importante que celle des diagnostics (multiplication par 2) et la précède. Toutefois, ces résultats ne permettent pas d’exclure une augmentation réelle des cas de cancers de la thyroïde. Il est possible que le développement de la pratique d’examens de la thyroïde ait été motivée, au moins partiellement, par une augmentation du nombre des nodules thyroïdiens nécessitant une exploration. Cette étude transversale n’était pas conçue pour démontrer un lien de causalité ni pour rechercher les facteurs à l’origine de l’augmentation des examens.

Par ailleurs, les données utilisées (codes issus de la nomenclature nationale pour les actes et de la classification internationale des maladies pour le cancer de la thyroïde) ne permettent pas de connaître les indications des examens ni le type histologique des tumeurs, leur taille et leur stade de développement.

Enfin, si l’importance de la cohorte étudiée et sa relative homogénéïté socioéconomique sont des points forts de ce travail, ses résultats ne peuvent pas être généralisés à l’ensemble de la population. Les bénéficiaires de ce régime de santé présentent en effet des caractéristiques particulières en termes d’âge (population plus âgée que la population générale, ce dont les auteurs ont tenu compte en calculant des taux d’incidence standardisés sur l’âge), mais aussi de sexe (majorité d’hommes) et d’origine ethnique (majorité de Blancs).

 

Laurence Nicolle-Mir


Publication analysée :

Zevallos JP1, Hartman CM, Kramer JR, Sturgis EM, Chiao EY. Increased thyroid cancer incidence corresponds to increased use of thyroid ultrasound and fi ne-needle aspiration: a study of the Veterans Affairs health care system. Cancer 2015; 121: 741-6.

doi: 10.1186/1476-069X-13-118

1 Department of Otolaryngology/Head and Neck Surgery, University of North Carolina at Chapel Hill, États-Unis.