ANALYSE D'ARTICLE

Avancées dans l’exploration du lien entre la pollution de l’air et le déclin cognitif

L’impact de la pollution atmosphérique sur les fonctions cognitives des séniors est un sujet d’étude récent dont deux publications viennent défricher de nouveaux aspects. La première présente les résultats d’analyses dans la cohorte états-unienne NSHAP (National Social Life, Health, and Aging Project), qui suggèrent que l’exposition aux polluants pourrait favoriser la baisse des capacités cognitives via une altération de la santé mentale. La seconde investigation#, dans une cohorte allemande, indique un effet synergique de la co-exposition aux polluants et au bruit du trafic.

Après avoir considéré la génétique et l’état de santé, la recherche sur les facteurs de risque de déclin cognitif se penche sur les expositions environnementales. Le rôle de la pollution atmosphérique a déjà été examiné dans plusieurs études épidémiologiques qui rapportent généralement des associations négatives avec les capacités cognitives de sujets d’âge mûr à avancé, soulevant la question du mécanisme d’action. Considérant que la pollution peut affecter la santé physique et mentale et que l’état de santé retentit sur les performances cognitives, une équipe de Boston a utilisé les données cliniques et biologiques collectées chez des participants à la NSHAP (qui a inclus un échantillon représentatif de la population âgée de 57 à 85 ans non institutionnalisée des États-Unis) pour rechercher des facteurs intermédiaires sur la voie reliant la pollution à la cognition.

L’impact de l’exposition au bruit sur les performances cognitives a essentiellement été étudié chez des enfants, les connaissances concernant des adultes vieillissants étant quasi inexistantes. Une récente analyse dans la cohorte de la Heinz Nixdorf Recall Study (habitants de trois villes de la région de la Ruhr âgés de 45 à 75 ans à l’inclusion) indique que l’exposition chronique au bruit du trafic augmente le risque de déficit cognitif léger, un stade intermédiaire entre des fonctions normales pour l’âge et la démence. Le déficit cognitif est également associé à l’exposition aux PM2,5. Les deux associations sont atténuées dans un modèle bi-polluants et seul l’effet du bruit reste significatif. Les auteurs ont procédé à de nouvelles analyses pour examiner l’interaction entre les deux types d’expositions sur les performances cognitives.

Cohorte états-unienne : effet de la pollution sur la cognition

La relation entre l’exposition à la pollution atmosphérique et les fonctions cognitives a été recherchée dans la population des participants à la deuxième vague de collecte d’informations (V2), entre août 2010 et mai 2011, cinq ans après la première vague (V1) au démarrage de la cohorte. La V2 incluait la mesure des fonctions cognitives dans huit domaines (fonctions exécutives, capacités visuo-spatiales, de dénomination, mémoire, attention, langage, pensée abstraite, orientation) par un outil (Chicago Cognitive Function Measure [CCFM]) jugé plus performant que le Mini-Mental State Examination (MMSE) pour identifier un déficit cognitif léger. Le score moyen dans l’échantillon de population analysé (n = 3 374, âge moyen 72 ans) était de 13,45 sur un total possible de 20 points, inversement corrélé à l’âge.

Les auteurs ont considéré l’exposition résidentielle aux PM2,5 (concentration atmosphérique prédite à un pas de grille de 6 km par un modèle intégrant diverses covariables géospatiales et météorologiques), ainsi qu’au dioxyde d’azote (NO2 : concentration mesurée par la station de surveillance de la qualité de l’air située dans un rayon de 60 km autour du domicile). Des moyennes annuelles glissantes sur une période allant jusqu’à sept ans avant la date de la V2 ont été calculées à partir des concentrations journalières.

L’exposition aux PM2,5 est constamment associée au score CCFM dans le modèle pleinement ajusté (sexe, âge, origine ethnique, niveau d’instruction, saison, tabagisme, région de résidence, revenu médian des foyers du quartier). Par exemple l’effet estimé de l’augmentation d’un intervalle interquartile (IIQ) de la concentration moyenne durant l’année précédant la V2 (+ 4,25 μg/m3) est une diminution de 0,22 point du score (IC95 : - 0,44 à - 0,01). L’ampleur de l’effet des PM2,5 sur le score cognitif (baisse de 0,21 à 0,25 point suivant la période de détermination de la concentration moyenne annuelle) équivaut à une avancée en âge d’1,6 an. L’effet d’une augmentation d’un IIQ des concentrations du NO2 (significatif à partir d’une moyenne calculée sur deux ans : baisse de 0,26 à 0,33 point du score CCFM) correspond à un « vieillissement » d’1,9 an.

Facteurs modificateurs et intermédiaires

La relation entre l’exposition aux PM2,5 et le score cognitif apparaît modifiée par le niveau d’anxiété (interaction significative : p = 0,03) et de stress (p = 0,01), ainsi qu’un antécédent d’AVC dans les cinq dernières années (p = 0,046), parmi 14 indicateurs de l’état de santé physique et mentale (dont hypertension artérielle [HTA], diabète, obésité, protéine C-réactive[CRP] élevée, dépression, difficultés à exécuter les activités de la vie quoidienne, isolement social et sentiment de solitude). Un niveau d’anxiété élevé (score ≥ 8 sur l’échelle HADS [Hospital Anxiety and Depression Scale] à 21 points : 21,3 % de la population), un niveau de stress élevé (score ≥ 5 sur la Perceived Stress Scale à 12 points : prévalence 34,3 %) ou un antécédent d’AVC (9,4 %) atténuent l’impact de l’exposition aux PM2,5 sur le score CCFM, ce qui peut paraître contre-intuitif. L’interprétation proposée est celle d’un effet résiduel de la pollution par rapport à des déterminants plus importants de l’état cognitif que constituent l’anxiété, le stress et un antécédent d’AVC.

Les auteurs ont testé la possibilité d’une médiation par des troubles psychiques (anxiété, stress et dépression [indicateur : score ≥ 9 sur la Center for Epidemiological Studies Scale à 33 points : prévalence 20,8 %), sinon par l’inflammation systémique (indicateur CRP) ou des dommages vasculaires (indicateur HTA) conformément à deux hypothèses mécanistiques. L’analyse a été effectuée chez les participants aux deux vagues de collecte d’informations (n = 2 133) et a consisté à rechercher, d’une part, un effet de l’exposition moyenne annuelle aux PM2,5 à V1 sur l’indicateur mesuré à V2 (en contrôlant sur sa valeur à V1), d’autre part, un effet de l’indicateur à V1 sur le score cognitif à V2 (valeur à V1 contrôlée). La dépression émerge comme facteur intermédiaire dans la relation entre l’exposition aux PM2,5 et le score cognitif, ce que confirme la disparition de l’association entre l’exposition et le score (à V2) après ajustement sur la dépression. Le médiateur de l’effet du NO2 sur le score cognitif identifié de la même manière est le stress.

Interaction entre le bruit et la pollution dans la cohorte allemande

Les auteurs ont utilisé les données recueillies en 2006-2008 lors du premier examen de suivi des sujets inclus dans la Heinz Nixdorf Recall Study cinq ans auparavant. L’évaluation neurocognitive comportait des mesures de la fluidité verbale et de la mémoire verbale immédiate et retardée, ainsi que de la rapidité de résolution d’un problème et d’exécution visuo-spatiale. Un score cognitif global a été calculé.

Le modèle land-use regression (LUR) développé pour l’étude ESCAPE (European Study of Cohorts for Air Pollution Effects) a été employé pour estimer l’exposition résidentielle à long terme aux polluants atmosphériques (PM10, PM2,5-10, PM2,5, oxydes d’azote [NOx] et NO2). L’exposition au bruit du trafic (Lden : moyenne des 24 h pondérée ; Lnight : moyenne de la période 22h-6h) a été modélisée conformément à la directive européenne de 2002. La population de départ (n = 4 086) a été amputée de 179 participants pour lesquels l’exposition n’a pas pu être établie et de 22 participants diagnostiqués déments, portant la population analysable à 3 885 sujets (âge moyen 64 ans).

Deux approches ont été utilisées pour examiner l’interaction entre l’exposition à la pollution atmosphérique et au bruit : l’analyse de régression linéaire avec des termes d’interaction (permettant d’estimer l’effet modificateur du niveau faible ou élevé d’une exposition sur l’association entre l’autre exposition traitée comme une variable continue et le critère sanitaire), et l’analyse par catégorie de niveau d’exposition.

Avec la première approche, l’association entre l’exposition aux particules atmosphériques et le score cognitif est plus forte quand l’exposition au bruit atteint ou dépasse les valeurs seuils de 60 (Lden) et 50 (Lnight) dB. Par exemple, l’augmentation d’un IIQ des concentrations de PM2,5 est associée à une diminution significative du score (ß = - 0,48 [- 0,72 à - 0,23]) pour une valeur de Lden ≥ 60 dB versus une altération non significative (ß = - 0,16 [- 0,33 à + 0,01]) pour un Lden < 60 dB (modèle ajusté sur l’âge, le sexe, un indicateur du statut socio-économique, la consommation d’alcool, le statut tabagique, l’activité physique et l’indice de masse corporelle). De telles différences ne sont pas observées pour les oxydes d’azote. À l’inverse, un effet de l’exposition au bruit sur le score cognitif est uniquement mis en évidence en cas d’exposition élevée aux polluants quels qu’ils soient. Par exemple, l’impact de l’augmentation de 10 dB du Lden est nul (ß = 0,31 [- 0,19 à + 0,81]) lorsque la concentration des PM2,5 est inférieure à la valeur médiane (18,3 μg/m3) et significatif en cas contraire (ß = - 0,37 [- 0,70 à - 0,03]).

Dans la seconde approche, le score cognitif moyen d’un groupe de référence (faible exposition au bruit [Lden < 60 dB] + faible exposition aux polluants [concentration inférieure à la médiane] : environ 40 % de la population) était comparé aux scores de deux groupes d’expositions intermédiaires (faible exposition à l’un et forte à l’autre) et à celui du groupe doublement fortement exposé, minoritaire (environ 10 % des participants). La tendance observée est identique pour tous les polluants considérés. Pour les PM2,5 par exemple, le score cognitif dans le groupe le plus exposé est abaissé de 0,52 point (- 0,81 à - 0,23) par rapport au score du groupe de référence. L’effet de la co-exposition à haut niveau dépasse l’addition des effets dans les deux groupes d’expositions intermédiaires (- 0,06 [- 0,53 à + 0,40]), ce qui suggère une interaction de type synergique.

 


Publication analysée :

* Tallon LA1, Manjourides J, Pun VC, Salhi C, Suh H. Cognitive impacts of ambient air pollution in the National Social Health and Aging Project (NHSAP) cohort. Environ Int 2017 ; 104 : 102-9. doi : 10.1016/j.envint.2017.03.019

1 Department of Health Sciences, Northeastern University, Boston, États-Unis.

# Tzivian L1, Jokisch M, Winkler A, et al. Associations of long-term exposure to air pollution and road traffic noise with cognitive function –An analysis of effect measure modification. Environ Int 2017 ; 103 : 30-8. doi : 10.1016/j.envint.2017.03.018

1 Institute of Occupational, Social and Environmental Medicine, Centre for Health and Society, Medical Faculty, University of Düsseldorf, Allemagne.