Synthèse publiée le : 01/04/2016

Cancers

Le nombre de nouveaux cas de cancers en France a plus que doublé en 30 ans, passant de 170 000 nouveaux cancers par an en 1980 à 385 000 en 2015. Cette augmentation est pour moitié expliquée par l’évolution démographique et le vieillissement de la population. Environ 50 % de l’augmentation (43 % chez l’homme et 55 % chez la femme) sont attribués à l’accroissement du risque lui-même ainsi qu’au dépistage et l’évolution des moyens diagnostiques [1]. Si en 2015, le rôle des facteurs environnementaux et comportementaux dans le développement des cancers ne fait plus de doute, la contribution respective de l’environnement au sens large, des facteurs génétiques et du hasard à la survenue des cancers reste un objet de controverse qui a marqué l’année 2015.

En janvier 2015, l’étude de Tomasetti et de Vogelstein [2] parue dans la revue Science, suggérait que le risque de cancer au cours de la vie, dans un type de tissu donné soit significativement corrélé au nombre de divisions de cellules souches [a] dans ce tissu. Selon les auteurs, deux tiers des cancers seraient ainsi liés au hasard et la survenue de mutations d’ADN « malchanceuses » lors de la division des cellules souches. Les auteurs suggèrent que moins d’un tiers des cancers soit attribuables aux prédispositions génétiques et facteurs environnementaux. C’est la part importante attribuée au hasard qui a fait l’objet d’un vif débat, associé à des critiques méthodologiques de l’étude, notamment l’exclusion de plusieurs cancers fréquents (tels que les cancers du sein ou du col utérin). Fin 2015, un groupe de chercheurs a relancé ce débat avec une publication dans la revue Nature [3] suggérant que la corrélation mise en évidence par Tomasetti et Vogelstein ne soit pas en mesure de distinguer de façon appropriée entre facteurs intrinsèques, « malchance » et erreurs aléatoires dans la réplication d’ADN, et facteurs extrinsèques, tels que les rayonnements UV, des rayonnements ionisants ou autres agents cancérogènes. Sur la base de modèles mathématiques, les chercheurs concluent que les facteurs environnementaux au sens large, contribuent au développement de 70 à 90 % des cancers et que la part du hasard soit modérée. Si l’étude de Tomasetti et Vogelstein avait suscité également des réserves de par son impact potentiellement néfaste sur les efforts de prévention, certains ont reproché à Wu et al. de surestimer peut-être la part de l’environnement dans la survenue des cancers. La controverse n’est pas close et montre toute la difficulté, malgré les efforts de recherche, à estimer l’impact de l’environnement sur la survenue des cancers.

Les données mécanistiques et génomiques contribuent de plus en plus à la compréhension du rôle causal de certains cancérogènes à partir notamment des signatures mutationnelles[b]. Ces derniers permettent par exemple de distinguer aujourd’hui des cancers ORL (oto-rhino-laryngologiques) dus au tabac de ceux associé au virus HPV (virus du papillome humain). Ces approches pourraient être mises à profit à l’avenir pour une prévention ciblée et personnalisée, à l’instar des approches thérapeutiques personnalisées des cancers sur la base des profils génomiques des tumeurs [4]. Afin de renforcer la prise en compte des données mécanistiques dans l’évaluation des cancérogènes, un groupe de travail réuni par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) a structuré les mécanismes cancérogènes en dix caractéristiques [5]. Il s’agit des capacités d'un agent à :

  • agir comme un électrophile[c] soit directement, soit après activation métabolique ;
  •  être génotoxique ;
  • modifier la réparation de l'ADN ou provoquer une instabilité génomique ;
  • induire des modifications épigénétiques[d] ;
  • induire un stress oxydatif ;
  • induire une inflammation chronique ;
  • être immunosuppresseurs ;
  • moduler les effets médiés par les récepteurs ;
  • causer l’immortalisation ;
  • et modifier la prolifération cellulaire, la mort cellulaire ou l'apport en nutriments.

Cette classification a été appliquée aux récentes monographies du CIRC comme celles publiées en 2015 sur les pesticides [6-7].

 

Pesticides et cancer

Les données scientifiques en faveur d’une association entre l’exposition aux pesticides et le risque de cancer, notamment en milieu professionnel (lymphome non hodgkinien, myélome, prostate) et chez les enfants exposés in utero (système nerveux central, et leucémies) continuent à augmenter. En 2015, le CIRC a évalué et classé cinq pesticides organophosphorées (tétrachlorpiriphos, parathion, malathion, diazinon, glyphosate [round up]) [7], ainsi que deux insecticides organochlorés (lindane et 1,1,1-trichloro-2,2-bis(4-chlorophényle)éthane (DDT)), et l’herbicide acide 2,4-dichlorophénoxyacétique (2,4-D) [6]. .

Le Groupe de travail a classé le glyphosate, un herbicide à large spectre, comme « cancérogène probable pour l’Homme » (groupe 2A). L’utilisation du glyphosate, herbicide le plus produit en termes de volumes, a nettement augmenté avec le développement des cultures génétiquement modifiées résistantes au glyphosate. Des études cas-témoins en milieu professionnel ont rapporté une augmentation du risque de lymphome non-hodgkinien, persistant après prise en compte de l’effet des autres pesticides. Le glyphosate et ses formulations induisent des dommages à l’ADN chez les travailleurs ainsi que chez les résidents.

Les données mécanistiques fournissent un appui de la cancérogénicité du glyphosate et de ses formulations, et les effets observés pourraient être similaires chez les humains.

Les insecticides malathion et diazinon ont été classés « probablement cancérogènes pour l’homme » (groupe 2A). Le malathion est utilisé en agriculture, en santé publique, et pour le contrôle résidentiel des insectes. Il continue à être produit en quantité substantielle à travers le monde. Des études cas-témoins ont rapporté des associations positives avec le lymphome non-hodgkinien et le cancer de la prostate. Le malathion induit des dommages chromosomiques et à l’ADN chez l’homme et des indications convaincantes sont en faveur d’une perturbation des voies hormonales.

Le diazinon a été appliqué en agriculture et pour le contrôle des insectes dans les foyers et les jardins. Il y a des données limitées de la cancérogénicité du diazinon chez l’homme, avec des associations positives rapportées pour les lymphomes non-hodgkiniens.

Les insecticides tétrachlorvinphos et parathion ont été classés cancérogènes possibles pour l'homme (groupe 2B). L’utilisation du parathion a été sévèrement limitée depuis les années 1980 et le tétrachlorvinphos est interdit dans l’Union européenne.

Le lindane a été classé « cancérogène pour l’homme » (groupe 1). L’utilisation du lindane, très persistant dans l’environnement, est interdite ou limitée dans la plupart des pays. Des études épidémiologiques ont fourni des indications suffisantes sur cancérogénicité du lindane chez l’homme, avec une augmentation significative du risque de lymphome non-hodgkinien lors d’expositions professionnelles répétées.

L’insecticide DDT a été classé « probablement cancérogène pour l’homme » (Groupe 2A). Même si la plupart des utilisations du DDT ont été interdites dans les années 1970, exceptée son administration pour la lutte contre les vecteurs de maladie, l’exposition humaine au DDT et à son métabolite le 1,1-dichloro-2,2-bis (p-chlorophényl) éthylène (DDE), existe encore, principalement en raison de sa persistance biologique et environnementale. La plupart des études sur les lymphomes non-hodgkiniens, le cancer du foie et le cancer des testicules ne fournissent que des indications limitées de la cancérogénicité du DDT pour l’homme.

Depuis son introduction en 1945, le 2,4-D a été largement utilisé pour contrôler les mauvaises herbes en agriculture, en sylviculture et en milieux urbains et résidentiels. Le Groupe de travail a classé le 2,4-D comme « carcinogène possible pour l’homme » (groupe 2B), sur la base d’indications inadéquates pour l’homme et d’indications insuffisantes en expérimentation animale. Les études mécanistiques ont montré que le 2,4-D induit un stress oxydatif pouvant se manifester chez l’Homme et, avec des indications plus modérées, cause des immunosuppressions.

Une autre avancée importante dans le domaine des pesticides, fut la création en 2015, du tableau N° 59 du Régime agricole permettant la reconnaissance en maladie professionnelle des lymphomes non-hodgkiniens associés à des « travaux exposant habituellement aux composés organochlorés, aux composés organophosphorés, au carbaryl, au toxaphène ou à l'atrazine ». L’exposition peut avoir eu lieu « lors de la manipulation ou l'emploi de ces produits, par contact ou par inhalation » ou « par contact avec les cultures, les surfaces, les animaux traités ou lors de l'entretien des machines destinées à l'application des pesticides ». Le texte fixe un délai de prise en charge de 10 ans.

 

Pollution atmosphérique

Suite au classement en 2013 par le CIRC de la pollution atmosphérique et des matières particulaires (PM) comme cancérogènes certains pour l’homme (groupe 1) avec un risque accru de cancer du poumon, le CIRC a publié en décembre 2015, la Monographie 109 rendant accessible en ligne l’intégralité de l’évaluation des données épidémiologiques, expérimentales chez l’animal et mécanistiques, réalisée par le groupe de travail du CIRC[e]. Une méta-analyse récente de 20 études épidémiologiques [8], montre également une augmentation significative[f] du risque de cancer broncho-pulmonaire de 3 % associée à une élévation de 10-μg/m3 de l’exposition aux oxydes d’azote (4 % pour le NO2 seul). Ces composés sont un bon reflet de l’exposition aux émissions du trafic routier.

Le fait qu’un risque accru de cancer du poumon associé au PM, soit observé même dans les régions où les concentrations de PM2,5 sont inférieures aux recommandations sanitaires actuelles, souligne l’importance des politiques publiques de diminution de la pollution atmosphérique. Dans ce cadre, les résultats récents de l’évaluation d’impact sanitaire (EIS) du programme TAPAS (Transportation, Air pollution and Physical ActivitieS, http://tapas-program.org/) suggèrent des bénéfices liés à l’activité physique induite par le déplacement en vélo ou lors du report vers les transports en commun, supérieurs aux risques associés à l’accroissement de l’exposition à la pollution de l’air et aux accidents de circulation. Les données permettent également d’observer une diminution de la pollution atmosphérique.


Prévention

Ces observations confortent les recommandations du code Européen contre le cancer [9] relatif à la prévention des cancers en lien avec les facteurs environnementaux et professionnels. Celui-ci souligne la complémentarité des politiques publiques de prévention et les changements de comportements individuels pour la prévention des expositions environnementales, tels qu’assurer une ventilation adéquate dans des maisons privées pour réduire la pollution de l'air intérieur, utiliser des appareils ménagers économes en énergie (chauffage, refroidissement, etc.), éviter la combustion de matières organiques telles que des débris de bois, limiter l'utilisation des voitures privées et favoriser le vélo et les transports en commun ou éliminer de façon appropriée les produits chimiques ménagers [9]. Ces recommandations complètent la version mise à jour du code Européen contre le cancer qui formule 12 recommandations afin de prévenir le cancer, notamment éviter le tabac, l’alcool et l’exposition excessive au soleil, maintenir un poids sain et être physiquement actif. Le code prône également la participation aux programmes organisés de dépistage des cancers colorectal, du sein et du col utérin.

D’après l’Organisation mondiale de la santé (OMS), 50 % des cancers pourraient être évités par la prévention [4], Atteindre ce chiffre, même de moitié, requiert un engagement important dans la prévention au niveau des politiques de santé publique et de santé environnement, mais également au niveau individuel, qu’il s’agisse des facteurs comportementaux ou de la réduction de l’exposition à certains facteurs environnementaux, tels que la pollution atmosphérique ou les pesticides.

 

Déclaration de lien d’intérêt en rapport avec le texte publié : aucun

 

Références
  1. Binder-Foucard F, Belot A, Delafosse P, Remontet L, Woronoff AS, Bossard N. Estimation nationale de l’incidence et de la mortalité par cancer en France entre 1980 et 2012. Partie 1 – Tumeurs solides. Saint-Maurice (Fra) : Institut de veille sanitaire, 2013.
  2. Tomasetti C, Vogelstein B. Cancer etiology. Variation in cancer risk among tissues can be explained by the number of stem cell divisions. Science 2015;347(6217):78-81.
  3. Wu S, Powers S, Zhu W, Hannun YA. Substantial contribution of extrinsic risk factors to cancer development. Nature 2015; 529:43-7.
  4. Stewart BW, Bray F, Forman D, et al. Cancer prevention as part of precision medicine : 'plenty to be done'. Carcinogenesis 2015; 37:2-9.
  5. Smith MT, Guyton KZ, Gibbons CF, et al. Key characteristics of carcinogens as a basis for organizing data on mechanisms of carcinogenesis. Environ Health Perspect 2015. [Epub ahead of print]
  6. Loomis D, Guyton K, Grosse Y, et al. Carcinogenicity of lindane, DDT, and 2,4-dichlorophenoxyacetic acid. Lancet Oncol 2015 ;16(8):891-2.
  7. Guyton KZ, Loomis D, Grosse Y, et al. Carcinogenicity of tetrachlorvinphos, parathion, malathion, diazinon, and glyphosate. Lancet Oncol 2015;16(5):490-1.
  8. Hamra GB, Laden F, Cohen AJ, Raaschou-Nielsen O, Brauer M, Loomis D. Lung cancer and exposure to nitrogen dioxide and traffic : a systematic review and meta-analysis. Environ Health Perspect 2015;123(11):1107-12.
  9. Espina C, Straif K, Friis S, et al. European Code against Cancer 4th Edition : Environment, occupation and cancer. Cancer Epidemiol 2015;39 Suppl 1:S84-92.

 

Notes

[a] Les cellules souches sont des cellules indifférenciées caractérisées par leur capacité à se multiplier pour assurer le renouvellement des cellules dans l’organisme (auto-renouvellement) et à se différencier pour produire des cellules spécialisées. Elles jouent un rôle très important dans le développement et le maintien des organismes.

[b] Une signature mutationnelle est définie par le type et l’étendue des modification de l’ADN et les effets des mécanismes de réparation de l’ADN, provoquées par des facteurs extrinsèques ou intrinsèques.

[c] Les agents et leurs métabolites électrophiles sont très réactifs et peuvent engendrer des altérations dans l’organisme en se fixant sur l’ADN, sur des enzymes ou de protéines régulatrices.

[d] L’épigénétique désigne les processus moléculaires au niveau du génome modulant l'expression des gènes. Ces mécanismes peuvent être influencés par l'environnement et sont potentiellement transmissibles d'une génération à l'autre, sans être fondés sur des changements dans la séquence de l'ADN.

[e] http://monographs.iarc.fr/ENG/Monographs/vol109/index.php

[f] Une augmentation de risque est dite significative lorsque la probabilité que le résultat obtenu soit le fruit du hasard est inférieure à un seuil de signification préalablement défini. Ce seuil correspond le plus souvent à une probabilité α de 5%, voire de 1% ou 0,1%.