ANALYSE D'ARTICLE

Champs magnétiques générés par les câbles électriques souterrains et cancers pédiatriques en Grande-Bretagne

Cette nouvelle investigation des effets potentiels des champs magnétiques sur le risque de cancer de l’enfant est une première par la source exclusivement considérée : les lignes souterraines de transport d’électricité à haute tension. Ses résultats renforcent les arguments négatifs provenant d’études ayant examiné l’influence des lignes à haute tension aériennes.

This new investigation into the potential effects of magnetic fields on the risk of childhood cancer is the first of its kind in that it examines a single source: highvoltage underground cables. Its results add to the negative evidence from studies examining the influence of overhead high-voltage cables.

Bien que les études de laboratoire n’aient fourni aucune preuve convaincante de leur effet cancérogène et qu’aucun mécanisme biophysique ne semble pouvoir expliquer un tel effet, les champs magnétiques d’extrêmement basse fréquence (CM-EBF) ont été classés en 2002 dans le groupe 2B des agents « possiblement cancérogènes pour l’homme » par le Centre international de recherche sur le cancer (Circ). Ce classement, au vu des données épidémiologiques sur la leucémie de l’enfant, signifie implicitement que les experts ont estimé qu’il était nécessaire de poursuivre les investigations.

 

Nouvelle approche

Dans le cadre d’une étude épidémiologique, la mesure du champ magnétique (CM) domestique, provenant de multiples sources, présente l’inconvénient de nécessiter l’accord des occupants du logement, ce qui expose à un biais de participation. Cet écueil est contourné, et les moyens nécessaires à l’étude sont minimisés, en choisissant plutôt de calculer l’exposition induite par une seule source de CM, extérieure au domicile. Il s’agit classiquement des lignes aériennes de transport d’électricité à haute tension (LHT). Les habitations proches d’une telle ligne ne peuvent qu’être correctement classées quant à l’exposition, la ligne étant la source de CMEBF dominante. En revanche, les habitations éloignées peuvent être classées à tort dans le groupe non exposé si elles reçoivent une forte exposition provenant d’autres sources. Le choix d’un seuil d’exposition élevé, rarement atteint, réduit la probabilité d’erreurs de classement, mais limite la puissance statistique de l’étude. L’utilisation de la distance à la LHT dans les études épidémiologiques soulève un autre problème, selon l’équipe signataire de cet article, qui fait référence à ses travaux antérieurs sur le territoire britannique. Tout en montrant une association entre le risque de leucémie infantile et la distance à la LHT, ces travaux écartent largement la possibilité que le CM induit par cette source en soit la cause : l’association est tantôt observée à des distances pour lesquelles la ligne électrique n’a plus aucune influence sur le CM ambiant [1], tantôt elle décline puis disparaît de manière inexplicable avec l’allongement de la durée d’observation [2,3].

La difficulté à interpréter les résultats de telles études pourrait tenir au fait que les LHT aériennes n’exposent pas seulement à un CM et que ce dernier n’est pas le seul facteur qui varie dans leur voisinage. Les effets « non-CM » de ces lignes sont d’abord des phénomènes physiques induits par le champ électrique, comme l’effet corona, lié à l’ionisation de l’air, qui peut se manifester par des arcs lumineux, des vibrations et des bruits audibles (grésillements, bourdonnements). Par ailleurs, nul ne peut méconnaître la présence d’une imposante LHT dans son environnement visuel. Ces éléments peuvent avoir une influence sur le profil et le comportement des populations riveraines, comme sur le type de bâti. Si, en l’état actuel des connaissances, aucun de ces facteurs « non-CM » ne peut représenter une alternative plausible au CM pour expliquer un effet des LHT sur l’incidence des leucémies, ces covariables sont des sources potentielles de confusion. Se référer aux LHT souterraines, qui ne sont pas visibles et ne produisent aucun phénomène perceptible, constitue un moyen d’étudier l’influence du CM indépendamment des autres facteurs liés au transport de l’électricité à haute tension.

Les données britanniques précédemment utilisées pour examiner l’effet de la distance à une LHT aérienne sur le risque de leucémie [2,3] ont été réutilisées pour cette analyse focalisée sur les LHT souterraines. La population est quasi-identique, diminuée des sujets écossais (pour des raisons de disponibilité des informations relatives au réseau électrique enterré) ainsi que d’une partie des cas diagnostiqués en 2008 et de leurs témoins (données incomplètes pour cette analyse). Elle inclut 52 525 cas de cancers diagnostiqués entre 1962 et 2008 chez des enfants de moins de 15 ans nés en Angleterre ou au pays de Galles (registre national des cancers de l’enfant) et 64 290 témoins appariés sur le sexe, la date de naissance et le district de naissance (population construite sur la base du registre des naissances).

 

Analyses et résultats

L’exposition a été estimée en référence à l’adresse de naissance. Deux critères ont été considérés : la distance entre le logement et la LHT souterraine la plus proche (majoritairement 275 et 400 kV) et l’intensité du CM dans le logement. Deux estimations ont été produites pour la distance en fonction de l’emprise au sol du bâtiment, l’une au point le plus proche et l’autre au point central de l’immeuble. Sept catégories ont été constituées : moins de 10 m, entre 10 et moins de 20 m, de 20 à moins de 50 m, de 50 à moins de 100 m, de 100 à moins de 200 m, de 200 à moins de 500 m, et 500 m et au-delà, constituant la catégorie de référence. L’intensité du CM induit par le transport souterrain d’électricité à haute tension a été calculée pour toutes les adresses à moins de 40 m d’un câble, sur la base de toutes les informations techniques nécessaires, et en tenant compte de l’ensemble du réseau souterrain. Pour chaque étage de l’immeuble, la valeur du CM a été déterminée à 1 m au-dessus du plancher en cinq points équidistants, du plus proche au plus éloigné de la source. Deux estimations ont été retenues pour les analyses : la valeur du CM au point le plus proche et la valeur moyenne. La catégorie de référence rassemblait les localisations pour lesquelles le calcul du CM donnait une valeur inférieure à 0,1 μT ainsi que toutes les adresses situées à plus de 40 m d’une LHT. Trois autres catégories d’exposition ont été constituées : de 0,1 à moins de 0,2 μT, de 0,2 à moins de 0,4 μT, et à partir de 0,4 μT.

Le niveau socio-économique à l’échelle de l’unité de recensement (quintiles de l’indice de pauvreté Carstairs) a été pris en compte dans les analyses. Aucune n’indique une relation entre les LHT et le risque de cancer (leucémie, tumeur cérébrale, autre localisation), que le critère utilisé soit la distance ou l’intensité du CM, et qu’il s’agisse de la valeur au point le plus proche ou de la valeur centrale. Concernant la leucémie en particulier, dans l’analyse utilisant le point le plus proche, l’odds ratio (OR) à une distance inférieure à 10 m (9 cas et 12 témoins) est égal à 0,66 (IC95 : 0,24-1,82). En combinant les trois premières catégories (jusqu’à 50 m : 33 cas et 45 témoins), l’OR est égal à 0,85 (IC95 : 0,52-1,40). Les résultats au travers des sept catégories de distance ne montrent pas de tendance dose-réponse : OR égal à 0,99 (IC95 : 0,95-1,03) pour une augmentation d’une unité (100/distance). Il en est de même quand le critère d’exposition utilisé est l’intensité du CM : OR pour une augmentation de 0,1 μT égal à 1,01, avec un intervalle de confi ance entre 0,91 et 1,12 (valeur du CM au point le plus proche) ou entre 0,76 et 1,33 (valeur moyenne).

Enfin, alors que l’analyse fondée sur la distance à une LHT aérienne montrait une diminution dans le temps de la force de l’association entre la présence d’une ligne à moins de 200 mètres et le risque de leucémie, puis la disparition de cette association à partir des années 1980, les résultats concernant la période 1962-1989 sont ici semblables à ceux de la période 1990-2008. L’OR associé à une augmentation d’une unité de l’exposition est ainsi égal à 1 (IC95 : 0,93-1,06) pour la période la plus ancienne et à 0,99 (IC95 : 0,94-1,05) pour la plus récente, ce qui est un argument supplémentaire pour considérer que le CM n’est pas le facteur causal lorsque des élévations du risque de leucémie sont mises en évidence à proximité des LHT aériennes.

 

Laurence Nicolle-Mir

 

Publication analysée :

Bunch KJ, Swanson J, Vincent TJ, Murphy MFG. Magnetic fields and childhood cancer: an epidemiological investigation of the effects of high-voltage underground cables. J Radiol Prot 2015; 35: 695-705.

Formerly Childhood Cancer Research Group, University of Oxford, Grande-Bretagne.

doi: 10.1088/0952-4746/35/3/695

 

Références :

 [1]. Draper G, Vincent T, Kroll ME, Swanson J. Childhood cancer in relation to distance from high voltage power lines in England and Wales: case-control study. BMJ 2005; 330: 1290-4.

[2]. Bunch KJ, Keegan TJ, Swanson J, Vincent TJ, Murphy MFG. Residential distance at birth from overhead high-voltage powerlines: childhood cancer risk in Britain 1962-2008. Br J Cancer 2014; 110: 1402-8.

[3]. Environ Risque Sante 2014; 13(4): 286-8.