ANALYSE D'ARTICLE

Changement climatique et maladies liées à l’eau : anticiper pour adapter la réglementation

Plusieurs effets, directs et indirects, du changement climatique, s’associent pour prédire un risque de dégradation de la qualité microbiologique de l’eau, exposant à une augmentation des cas d’infections à transmission hydrique. La robustesse des réglementations européenne et états-unienne actuelles paraît insuffisante pour y faire face.

Several direct and indirect effects of climate change combine to foretell a risk that the microbiological quality of water will deteriorate and lead to an increase in the number of cases of waterborne infections. The robustness of the current European and US regulations appears insufficient to cope with this.

Si les maladies infectieuses transmises par l’eau sont un lourd fardeau pour de nombreux pays pauvres, les pays économiquement développés y sont aussi confrontés malgré une législation protectrice. L’ingestion d’une eau de boisson contaminée et les activités aquatiques récréatives y sont à l’origine de la plupart des épidémies. Entre 1991 et 2002, 73 épidémies ayant entraîné 415 496 cas de maladies liées à l’eau sont ainsi survenues aux États-Unis. Les données de 14 pays de l’Union européenne (UE) font état de 354 épidémies sur la période 2000-2007, à l’origine de 47 617 cas de maladies. Leur nombre réel est probablement très supérieur à ce qui est rapporté, les petites épidémies d’infections banales sous forme de gastroentérites aiguës n’étant souvent pas signalées et les cas isolés n’étant pas pris en compte. Les travaux sur les conséquences du changement climatique laissent prévoir une augmentation des risques d’infections à transmission hydrique. Après avoir étudié les textes législatifs européen (directive-cadre sur l’eau [DCE] du 23 octobre 2000) et américain (Clean Water Act [CWA] adopté en 1972), les auteurs de cet article estiment qu’ils doivent être adaptés pour pouvoir continuer à assurer la qualité microbiologique de l’eau.

 

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Commentaires

Dérèglement climatique et retour du péril fécal dans nos rivières

Face au changement climatique global, cette revue bibliographique traite de la qualité microbiologique des eaux naturelles et examine l’évolution réglementaire actuelle dans les régions du monde les plus riches pouvant donner l’exemple - comme l’Union Européenne et les Etats-Unis d’Amérique, et celle qui serait souhaitable pour maintenir le niveau actuel de préservation des services écologiques des écosystèmes aquatiques et de protection de la santé publique.

En s’appuyant avec rigueur sur une littérature abondante, les auteurs font la démonstration convaincante que le changement climatique global pourrait conduire dans nos pays du Nord à des extrêmes de précipitation et des fluctuations saisonnières de température qui augmenteront le risque d’exposition hydrique aux micro-organismes pathogènes fécaux. Et cela plus particulièrement dans les populations vivant sur les bassins versants où l’utilisation agricole des terres est dominante, car il faut s’attendre à l’intensification de l’élevage confi né, donc à l’augmentation des volumes de déjections animales épandues sur les sols. Cette augmentation de la pollution diffuse des cours d’eau (par des agents de zoonoses) est par ailleurs complétée par celle de la pollution ponctuelle (par les pathogènes humains des rejets de station d’épuration), en raison de l’augmentation prévisible de la population. Mais l’échelle de ce changement prévisible et du risque associé pour la santé publique et la santé des écosystèmes est incertaine.

Aux États-Unis, cette menace est donc ignorée du législateur, qui n’envisage pas encore d’adapter en conséquence le cadre de gestion de la qualité des eaux naturelles, le Clean Water Act, basé sur des cibles de charges de polluants. Contrairement à l’Union européenne qui, elle, développe des politiques d’adaptation au changement climatique. Dans la ligne de sa nouvelle Directive cadre sur l’Eau promulguée en 2000, orientée plus globalement vers l’atteinte d’un statut écologique, elle exige déjà des états membres la révision tous les six ans des plans de gestion des bassins versants (voir le Livre Blanc et le document guide de la Commission européenne produits en 2009 - et le Bleu pour la sauvegarde des eaux européennes produit en 2012). Progressivement les développements de sa politique de l’eau se concentrent sur le besoin d’information quantitative sur les bactéries indicatrices de contamination fécale dans les bassins versants, rejoignant là le Clean Water Act. Mais ces évolutions réglementaires sont encore insuffisantes : il faut pouvoir identifier localement quelles sont les eaux les plus vulnérables aux effets directs et indirects du changement climatique pour adapter la gestion des bassins versants aux transformations en cours.

C’est ici que nos auteurs, ingénieurs modélisateurs, proposent le développement de nouveaux modèles de bassins versants intégrant dynamique hydrologique, changement météorologique ajusté à l’échelle locale, processus de survie et de transport des micro-organismes, re-suspension des sédiments, etc., mais reconnaissent l’imprécision de la démarche dans l’état actuel des connaissances quand elle vise la prévision quantitative de la pollution bactérienne fécale de l’eau courante. C’est pourquoi ils recommandent d’orienter plutôt la modélisation vers la gestion du risque en simulant des scénarios du futur pertinents basés sur une représentation claire des incertitudes, qui permettent de choisir des mesures d’adaptation pertinentes et de proposer des stratégies de gestion du risque. Et cela en accord avec le quatrième rapport d’évaluation du GIEC qui encourage l’abandon de l’évaluation de l’impact du changement climatique pour l’identification de mesures pratiques d’adaptation et/ou de renforcement de la capacité d’adaptation. Mais quel dommage ! Le tableau reste totalement abstrait...

Jean Lesne

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Impacts possibles du changement climatique

Quatre aspects du changement climatique auront une influence sur le niveau des micro-organismes dans les eaux de surface et souterraines : la modification du régime des pluies, l’augmentation des températures, l’évolution de l’utilisation des sols et les changements des pratiques agricoles et d’élevage. Plus de la moitié des épidémies d’infections liées à l’eau recensées au cours des 50 dernières années aux États-Unis ont été précédées par des épisodes de fortes précipitations, événements dont la fréquence devrait augmenter à l’avenir. Le lessivage des sols, conjugué à la mise en suspension de sédiments, augmente le flot des micro-organismes transportés vers les eaux réceptrices. Une inondation peut par ailleurs submerger des infrastructures clés telles qu’une usine de production d’eau potable ou une station d’épuration des eaux usées. Des périodes de sécheresse favoriseront, pour leur part, une augmentation de la concentration microbienne dans les eaux usées. L’élévation de la température de l’air entraînera une élévation de la température de l’eau, ce qui peut réduire ou stimuler la prolifération microbienne en fonction de la sensibilité de l’espèce à la chaleur. Dans le cas de bactéries pathogènes d’origine entérique, l’effet attendu est plutôt une activation de la croissance et une prolongation de la survie.

Un autre facteur important à considérer est l’impact de la modification des systèmes de production agricole, et en particulier des pratiques d’élevage, sur l’exposition humaine à des bactéries entériques zoonotiques. Diverses raisons d’ordre climatique (sols gorgés d’eau, risque de stress thermique) pourraient par exemple conduire à limiter le pâturage au profit d’un confinement des animaux à l’intérieur des bâtiments, ce qui augmente les quantités de fumier et autres effluents d’élevage produites, qui sont épandues en tant que fertilisants sur des terres agricoles.

 

Faire évoluer la réglementation

Si la DCE européenne et le CWA étatsunien partagent le même objectif général d’une réduction de la charge en polluants de l’eau, l’approche états-unienne repose sur l’application d’objectifs de réduction de charge (Total Maximum Daily Load [TMDL]) alors que l’approche européenne vise à atteindre un bon état des masses d’eau (bon état écologique et chimique pour les masses d’eau de surface et bon état chimique et quantitatif pour les masses d’eau souterraines). La réglementation états-unienne fait une plus large place à la qualité microbiologique de l’eau, et surtout des sources d’eau potable (de surface et souterraines) identifiées comme prioritaires. Elle ignore, en revanche, la préparation au changement climatique, tandis que la DCE reconnaît qu’il s’agit d’un enjeu majeur pour la gestion de l’eau dans l’UE. Elle a été renforcée par deux publications de la Commission européenne, l’une en 2009, l’autre en 2012, qui incitent les États membres à bien prendre en compte le changement climatique dans les plans de gestion de district hydrographique. En l’état actuel des choses néanmoins, l’attention de l’UE est focalisée sur les aspects quantitatifs du problème (possible diminution des ressources en eau disponibles) et néglige ses aspects qualitatifs (possible dégradation de l’état microbiologique de l’eau).

Les deux textes nécessitent donc d’être consolidés. L’état des connaissances s’accompagne de grandes incertitudes quant à l’ampleur des effets du changement climatique sur la qualité de l’eau et aux risques sanitaires et écologiques qui en découleront. Dans ce contexte, les auteurs de cet article recommandent de s’appuyer sur les modèles de bassins versants déjà existants et de les développer dans la perspective de la gestion du risque plutôt que dans celle d’une recherche de prédictions précises. Les modèles doivent être améliorés pour produire des scénarios de qualité d’eau dans des conditions extrêmes de température et de précipitations, mais des incertitudes persisteront (concernant par exemple la remise en suspension de bactéries contenues dans les sédiments et la croissance ou la décroissance de populations bactériennes dans un environnement donné) et l’effort de perfectionnement ne doit pas être inutilement poursuivi au-delà de ce qui est nécessaire à la prise de décisions.

Laurence Nicolle-Mir


Publication analysée :

Coffey R1, Benham B, Krometis LA, Wolfe ML, Cummins E. Assessing the effects of climate change on waterborne microorganisms: Implications for EU and US water policies. Hum Ecol Risk Assess 2014; 20: 724-42.

doi: 10.1080/10807039.2013.802583

 

1 UCD School of Biosystems Engineering, Agriculture and Food Science Center, University College Dublin, Irlande.