ANALYSE D'ARTICLE

Comment va – et doit – évoluer l’épidémiologie environnementale

Fondé sur un symposium du Centre de recherche en épidémiologie environnementale (CREAL) de Barcelone, Espagne, cet article prospectif expose les facteurs clés qui vont façonner le paysage de cette discipline durant les 25 prochaines années. Les auteurs livrent leur réflexion sur la meilleure manière de s’adapter au service de la santé publique.

Un article publié au tournant du XXIe siècle identifie plusieurs défis pour l’épidémiologie environnementale : l’étude des effets d’expositions multiples et corrélées, la mise en évidence d’effets faibles, l’exploration des liens entre la santé et le changement environnemental global, et le risque que les opportunités offertes par les nouvelles technologies détournent l’attention vers ce qu’il devient possible de faire plutôt que ce qui doit être fait. Ces défis – auxquels s’ajoute la mesure précise des expositions dans le temps et l’espace – restent d’actualité pour les auteurs de cet article. Plus que jamais, à l’heure de l’accélération du développement technologique et du déferlement des « big data », les chercheurs doivent savoir identifier les questions de santé publique prioritaires et utiliser de manière pertinente les outils disponibles.

Axes de travail pour l’avenir

Des forces motrices d’ordre socio-démographique, actuellement en œuvre, vont continuer de transformer notre monde au cours des 25 prochaines années, fournissant à l’épidémiologie de nouvelles questions à résoudre.

L’allongement de la durée de vie s’accompagne de problématiques sanitaires physiques et mentales spécifiques qui vont concerner une fraction de plus en plus importante de la population, les pays les moins développés rejoignant la tendance mondiale. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) indique ainsi que l’espérance de vie est passée de 53 ans en moyenne en 1990 dans le groupe des pays à faible revenu à 62 ans en 2012. Si le processus de vieillissement s’applique à tous, la trajectoire individuelle apparaît très variable, gouvernée par l’interaction complexe de facteurs génétiques, comportementaux et environnementaux, d’où l’importance d’explorer l’influence d’expositions (qui ont pu avoir lieu tôt dans la vie) sur l’apparition et le cours évolutif des grandes maladies liées à l’âge.

Trois phénomènes vont se combiner pour bouleverser la distribution géographique de la population mondiale : la croissance démographique très inégalement répartie (la proportion de la population vivant en Afrique devrait passer de 16% actuellement à 25 % en 2050 tandis que la proportion des Européens chutera de 10 à 7 %), l’urbanisation (66 % de la population vivra en zone urbaine en 2050 contre 54 % en 2014, l’Inde, la Chine et le Nigeria pesant lourdement dans cette évolution), et les mouvements migratoires attendus à large échelle. Or, très peu de données sur les expositions environnementales et leurs effets sanitaires existent pour les pays qui connaîtront la plus forte poussée démographique et/ou le plus fort taux d’urbanisation et d’émigration. Cette inégalité de l’information dessert la connaissance scientifique autant que l’objectif d’équité sociale. Les extrapolations à partir d’observations dans les pays les plus riches (concernant les effets de la pollution atmosphérique par exemple) sont hasardeuses, les situations n’étant pas comparables (poids des maladies infectieuses, accès aux services de santé, etc.). En modifiant profondément (à la fois positivement et négativement) les expositions environnementales et les comportements, les déplacements de populations d’une zone rurale vers une zone urbaine ou d’un pays devenu hostile vers un autre plus accueillant, offrent l’opportunité d’expérimentations naturelles pour mieux comprendre l’influence de l’environnement de vie sur la santé, l’écueil étant la reconstruction des expositions passées.

Ces considérations rejoignent les préoccupations occasionnées par le changement climatique qualifié de « plus grande menace sanitaire du XXIe siècle ». Les effets combinés du réchauffement et des changements démographiques exposeront un nombre croissant de sujets vulnérables au stress thermique. Avec les changements d’affectation des sols, les modifications régionales du climat auront des conséquences sur la sécurité alimentaire et la répartition géographique des maladies à vecteurs. La nécessité d’anticiper pour faire face suppose l’acquisition d’un grand nombre de connaissances.

Évolution des méthodes

Le développement rapide de moyens permettant de générer d’importantes sommes de données sanitaires et/ou environnementales (capteurs individuels, outils connectés, satellites d’observation, technologies omiques, réseaux participatifs, etc.) pourrait faire craindre un rétrécissement du champ d’action des épidémiologistes et des biostatisticiens. À quoi servirait de constituer un échantillon de population pour des analyses statistiques si la population entière peut être observée ?

Au contraire, estiment les auteurs de cet article, la réflexion épidémiologique sera de plus en plus indispensable face à des problématiques de plus en plus complexes et globales. Mais la conception des études doit évoluer. À la place d’une approche réductionniste consistant à examiner l’effet d’un type d’exposition donné sur un critère sanitaire donné via des méthodes d’analyse de régression, il s’agit de développer des approches systémiques offrant la possibilité d’interactions entre expositions de différentes natures, variables biologiques multiples et voies d’évolution (comme l’urbanisation et l’adaptation au changement climatique). L’inflation des données nécessitera l’utilisation de méthodes de sélection des variables, de réduction de dimensions, et la construction de modèles robustes.

Les épidémiologistes de demain devront être familiarisés à la manipulation des big data, aux nouvelles méthodes statistiques et au travail en équipe avec des collaborateurs d’autres disciplines (chercheurs en sciences sociales, informaticiens, biologistes, toxicologues, pathologistes, urbanistes, etc.). Leur formation devra être plus axée sur la mise en œuvre et l’évaluation des interventions. Face à des problématiques mal définies et ambiguës, formuler la bonne hypothèse à tester sera plus compliqué. Ils devront expressément se poser les bonnes questions.


Publication analysée :

* Tonne C1, Basagana X, Chaix B, et al. New frontiers for environmental epidemiology in a changing world. Environ Int 2017; 104: 155-62. doi: 10.1016/j.envint.2017.04.003

1 Barcelona Institute for Global Health (ISGlobal), Barcelone, Espagne.