ANALYSE D'ARTICLE

Contaminants environnementaux et fonction reproductrice masculine : analyse multipolluants

Cette étude, qui se démarque des précédentes par son approche « multipolluants », renforce l’hypothèse d’un lien entre l’exposition aux phtalates et l’altération de certains paramètres de la fonction reproductrice masculine. Elle confirme, par ailleurs, des effets du mercure et du PCB-153 déjà rapportés dans des études épidémiologiques plus classiques.

This study, which stands out from previous ones for its “multipollutant” approach, reinforces the hypothesis of a correlation between exposure to phthalates and changes to some biomarkers of male reproductive function. It also confirms the effects of mercury and PCB-153 previously reported in more conventional epidemiological studies.

L’exposition environnementale aux produits chimiques est suspectée de jouer un rôle dans la baisse de la fertilité masculine constatée depuis plusieurs décennies, même si la tendance au déclin de la qualité du sperme n’est pas unanimement reconnue. Les épidémiologistes se sont emparés de ce sujet de préoccupation et ont mis en évidence des effets de plusieurs substances appartenant à différentes classes sur divers paramètres hormonaux ou spermatiques. La responsabilité d’une substance particulière est néanmoins difficile à établir étant donné la complexité du mélange chimique ambiant et les corrélations entre les substances qui composent son profil. Une approche « multipolluants » a donc été choisie pour cette étude, dans le but de faire émerger des associations spécifiques entre biomarqueurs d’exposition à des contaminants environnementaux et biomarqueurs de la fonction reproductrice masculine, parmi plus de 300 combinaisons exposition-effet possibles examinées simultanément. Cette démarche s’accorde avec l’évolution des modes de pensée (introduction du concept d’exposome) et des pratiques (développement des techniques de criblage à haut débit) en épidémiologie.

 

Modèle et données utilisés

La régression linéaire multiple par la méthode des moindres carrés partiels a été utilisée pour examiner les relations entre 19 variables explicatives (biomarqueurs d’exposition) et 22 variables à expliquer (biomarqueurs de la fonction reproductrice). Cette méthode présente l’avantage, par rapport à la régression linéaire classique (par la méthode des moindres carrés ordinaire), d’être moins sensible à la multi-colinéarité entre variables explicatives, qui augmente la variance des coefficients de régression et produit des estimations instables et difficiles à interpréter.

Les données entrées dans le modèle provenaient d’une étude multicentrique (Pologne, Ukraine et Groenland) ayant inclus 1 710 couples attendant un enfant, qui avaient été recrutés entre 2002 et 2004 lors d’une visite prénatale dans un établissement participant (hôpital ou clinique). Les futurs pères ont été invités à fournir un échantillon de sang et de sperme et à répondre à un questionnaire relatif à leur mode de vie, ce que 602 d’entre eux ont accepté (206 Ukrainiens, 199 habitants du Groenland et 197 Polonais).

Les contaminants à mesurer dans le sang ont été sélectionnés en fonction du niveau de préoccupation pour leurs effets potentiels sur la santé reproductive, parmi quatre familles : les phtalates à haut poids moléculaire (plusieurs métabolites du di-2-éthylhexylphtalate [DEHP] et du diiso-nonylphtalate [DiNP]), les composés perfl uorés (sulfonate de perfl uorooctane [PFOS] et acides perfl uorooctanoïque [PFOA], perfl uorohexanoïque [PFHxS], perfl uorononanoïque [PFNA] et perfl uorodécanoïque [PFDA], ainsi que deux autres composés non retenus pour l’analyse du fait d’un taux de détection inférieur à 70 %), les métaux (cadmium, plomb et mercure) et les composés organochlorés (un polychlorobiphényle [PCB-153], l’hexachlorobenzène [HCB] et le dichlorodiphényldichloroéthylène [p,p’-DDE]).

Les biomarqueurs de la fonction reproductrice appartenaient à six catégories : taux sériques d’hormones sexuelles, caractéristiques du sperme, marqueurs de l’intégrité de la chromatine des spermatozoïdes, marqueurs d’apoptose, sécrétions épididymaires et des glandes annexes, proportion de spermatozoïdes à chromosome Y. Le modèle a été ajusté sur un jeu de covariables pertinent pour chaque biomarqueur, parmi l’âge, l’indice de masse corporelle, la durée de la période d’abstinence précédant le recueil du sperme, et le moment du prélèvement de sang.

 

Associations détectées

Dix associations sont identifiées, dont huit sont retrouvées dans chacune des trois sous-populations dans une analyse de sensibilité, malgré des variations souvent importantes du niveau des biomarqueurs d’exposition (généralement plus élevés chez les habitants du Groenland, surtout pour le mercure et le PCB-153).

La concentration plasmatique de la testostérone totale apparaît inversement corrélée à celle du mono(hydroxy-isononyl) phtalate (MHiNP, métabolite du DiNP) : l’augmentation d’un intervalle interquartile (IIQ) du MHiNP est associée à une diminution de 6 % de la testostérone (p = 0,0001). Une association négative existe également entre la fraction libre de la testostérone et le MHiNP (p = 0,002), ainsi qu’avec le mono(carboxy-isooctyl)phtalate (MOiCP), autre métabolite du DiNP (p = 0,043) : leur augmentation d’un IIQ induit respectivement une diminution de 3 et 2 % de la testostérone libre. Ces résultats sont cohérents avec un effet anti-androgénique du DiNP mis en évidence expérimentalement. Ils

méritent d’être considérés dans la mesure où l’exposition de la population européenne au DiNP a dépassé l’exposition au DEHP qui fait l’objet de restrictions d’utilisation.

La testostérone libre est en revanche positivement associée au niveau du cadmium (augmentation de 5 % pour un IIQ ; p = 0,029), mais cette association n’est plus significative dans une analyse de régression linéaire classique avec ajustement sur le taux plasmatique de cotinine. Le tabac étant une importante source de cadmium, leurs effets sont difficiles à démêler. Une étude de toxicité chronique à faible dose chez le rat a néanmoins montré un effet du cadmium sur la testostérone, pour lequel aucun mécanisme n’est connu.

Le mono(2-éthyl-5-hydroxyhexyl)phtalate (MEHHP, métabolite du DEHP) est associé à une diminution du volume de l’éjaculat (-10 % pour une augmentation d’un IIQ ; p = 0,0008), ainsi que de son contenu en alpha-glucosidase, sécrétion épididymaire (-16 % ; p = 0,0005). L’étude confirme enfin deux associations qui avaient été auparavant rapportées avec des modèles « simple-polluant/classe » : une association positive entre le mercure et l’inhibine B, produite par les cellules de Sertoli (+11 % par IIQ ; p = 0,002), et une association négative entre le PCB-153 et le pourcentage de formes mobiles de spermatozoïdes (-11 % par IIQ ; p = 0,002). La principale limite de cette étude est sa nature transversale, avec mesure unique des biomarqueurs. Toutefois, en dehors des phtalates, tous les contaminants considérés sont relativement stables dans le temps, de sorte qu’une détermination ponctuelle peut être considérée comme un bon reflet de l’exposition récente passée.

Laurence Nicolle-Mir

 

Publication analysée :

Lenters V1, Portengen L, Smit L, et al. Phthalates, perfluoroalkyl acids, metals and organochlorine and reproductive function: a multipollutant assessment in Greenlandic, Polish and Ukrainian men. Occup Environ Med 2015; 72: 385-93.

doi: 10.1136/oemed-2014-10.2264

 

1 Division of Environmental Epidemiology, Institute for Risk Assessment Sciences, Utrecht University, Pays-Bas.

Laurence Nicolle-Mir