ANALYSE D'ARTICLE

De la nécessité d’améliorer les stratégies de lutte contre les maladies vectorielles

L’incidence des maladies humaines à transmission vectorielle ne cesse d’augmenter et le phénomène ne se limite pas aux régions tropicales : plus des 4/5 de la population mondiale court le risque de contracter une de ces maladies infectieuses. On évalue à 0,7 million le nombre annuel de morts qui leur sont attribuables. L’urbanisation rapide de la population mondiale, les changements importants dans l’occupation des sols, l’augmentation exponentielle du commerce et des voyages et le réchauffement climatique global sont les principaux facteurs explicatifs de l’augmentation des opportunités de contact humain avec des insectes vecteurs de parasites, de virus ou de bactéries pathogènes. En ce qui concerne les viroses humaines transmises par des moustiques, la diffusion mondiale de la dengue et du Chikungunya et les épidémies récentes de fièvre jaune et de virose Zika prouvent qu’actuellement la plupart des pays ne sont pas préparés à lutter contre ces maladies, malgré les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en la matière.

Or la charge financière de ces maladies sur le système de soins et sur toute la société n’est pas négligeable. Ce constat est la justification supplémentaire du besoin urgent de minimiser leur incidence et leur impact. Il y a donc nécessité de revoir les programmes nationaux de lutte contre ces maladies. La gestion intégrée est la meilleure approche. Elle préconise de renforcer simultanément l’infrastructure de santé (formation adaptée des professionnels de soin, soutien technique au diagnostic, disponibilité des médicaments) et le contrôle environnemental des populations vectorielles (insectes principalement). En complément, l’accent doit être mis sur les campagnes de sensibilisation et les sessions d’éducation à la santé pour obtenir la participation de toute la population à cette lutte.

Les analyses systématiques des outils et méthodes existants pour la lutte anti-vectorielle montrent que d’immenses perspectives s’ouvrent pour l’amélioration de leur impact. Dans les zones urbaines, un objectif évident consisterait à réduire la pauvreté et à améliorer les modes de vie et le cadre environnemental de la population, car cela réduirait sûrement les chances de reproduction des vecteurs et donc l’incidence de ces maladies. Par ailleurs, des efforts devraient être déployés pour promouvoir (i) la coordination des mesures de contrôle vectoriel actuellement sectorisées par grande endémie et (ii) la participation de toutes les parties concernées. De plus, les gestionnaires de programmes devront développer des approches sur mesure basées sur les facteurs locaux sociodémographiques et environnementaux. Enfin, pour améliorer le résultat de la lutte antivectorielle, il faudra promouvoir la recherche et adopter les innovations qu’elle suscite, comme l’utilisation de nouveaux insecticides, de la lutte biologique, ou de la modification génétique des insectes. Il est aussi important de pouvoir disposer d’un soutien technique pour la collecte de données en temps réel ou l’utilisation de systèmes d’information géographique.

Pour contenir les maladies à transmission vectorielle dans le monde entier, il est grand temps de donner une réponse concertée et coordonnée et tous les intervenants devraient travailler ensemble pour la réalisation de cet objectif commun.

Commentaire

Cette note d’alerte peut paraître trop abstraite au lecteur qui ne connaît pas bien les maladies à transmission vectorielles. Il est donc utile de rappeler ici, en s’appuyant sur la documentation OMS en ligne [1], l’essentiel des connaissances du champ santé-environnement portant sur ces maladies endémiques des zones tropicales, subtropicales et tempérées de la planète, qui contribuent largement à la morbidité et la mortalité mondiales (plus de 17 % du fardeau mondial des maladies infectieuses), et sur les méthodes mises en œuvre pour réduire leur incidence.

Principales maladies à transmission vectorielle dans le monde en 2017

Les vecteurs qui transmettent les agents infectieux (parasitaires, viraux ou bactériens) des 15 maladies principales sont des insectes spécifiques de chaque maladie (moustiques, mouches, moucherons, punaises ou tiques). La schistosomiase (207 millions de cas rapportés par an), maladie parasitaire, fait exception : elle est transmise par des mollusques d’eau douce. Les six maladies parasitaires transmises par les insectes sont le paludisme (estimé à 212 millions de cas par an), la filariose lymphatique (estimé à 38,5 millions de cas par an), l’onchocercose (estimée à 15,5 millions de cas par an), la maladie de Chagas (estimée à 6,6 millions de cas par an), la leishmaniose (estimée à 4 millions de cas par an), la trypanosomiase humaine (estimée à 10 700 cas par an). Les sept maladies virales sont la dengue (estimée à 96 millions de cas par an), le Chikungunya (700 000 cas suspects en 2015), la virose Zyka (500 000 cas suspects en 2016), la fièvre jaune (estimée à 130 000 cas par an), l’encéphalite japonaise (estimée à 42 500 cas par an), l’encéphalite à tiques (estimée entre 10 000 et 12 000 cas par an) et la fièvre à virus West Nile (2 600 cas par an). La seule maladie bactérienne est la borréliose (ou maladie de Lyme) transmise par des tiques (530 000 cas par an).

Liens avec la gestion de l’environnement

L’incidence de ces maladies est très sensible aux conditions climatiques (en particulier à la température, aux précipitations et à l’humidité relative). Conserver les écosystèmes terrestres et stopper la perte de la biodiversité (objectif de développement durable [ODD] n̊ 15) aide à réduire l’incidence de ces maladies dans certains endroits mais l’augmente dans d’autres. Réduire leur incidence nécessite un aménagement des politiques de développement durable et de gestion environnementale. La priorité doit être la réduction de la pauvreté (ODD n̊ 1 – réduire la pauvreté et augmenter la prospérité économique) puisque les populations les plus pauvres ont un risque plus élevé de contracter ces maladies (deux fois plus dans le cas du paludisme). Les villes et les infrastructures (routes, irrigation) doivent être construites et fonctionner de manière à réduire les habitats aquatiques des vecteurs (ODD n̊ 9 – améliorer l’infrastructure). Les réserves d’eau extérieures ouvertes, ou l’eau résiduaire abandonnée dans des récipients domestiques, constituent l’une et l’autre un habitat privilégié pour les stades larvaires des moustiques vecteurs. C’est le cas de la dengue, du Chikungunya et de la virose Zika dans le monde entier et du paludisme en Inde ; ces eaux stagnantes localisées dans l’habitation ou dans son voisinage doivent être protégées ou éliminées (ODD n̊ 6 – investissement dans l’eau propre et l’assainissement). Les latrines, qui sont des sites favorables à la transmission de la filariose lymphatique dans les zones urbaines et de la shistosomiase, doivent être améliorées (ODD n̊ 6). Les décharges de déchets solides qui fournissent des gîtes larvaires aquatiques aux moustiques du genre Aedes et aux diptères doivent être réduites (ODD n̊ 12 – élimination durable des déchets). Enfin, la gestion du contrôle environnemental de ces maladies doit prévoir la réduction à moyen terme de la quantité de produits chimiques insecticides répandue dans l’environnement pour la lutte antivectorielle.

Lutte contre la transmission vectorielle

La conduite d’une lutte efficace repose à la fois sur un système d’information sanitaire porté par l’infrastructure de santé publique sur le terrain, et sur une surveillance environnementale performante en entomologie médicale. Cette intégration permet (i) le repérage des lieux privilégiés de reproduction des vecteurs et l’étude de leur dynamique de population dans ces lieux, (ii) un suivi de la lutte chimique ou biologique contre les gîtes larvaires des vecteurs qui sera menée avec la participation de la population dans les lieux jugés pertinents en matière d’exposition, et (iii) l’évaluation des résultats de la lutte en matière d’abondance de vecteurs, de morbidité et de mortalité. Les délégués à l’Assemblée mondiale de la santé ont approuvé le 30 mai 2017 cette approche stratégique en faveur d’une action mondiale pour lutter contre les vecteurs (2017-2030).

La pratique de la lutte contre la transmission vectorielle combine des mesures barrière de protection de l’individu et de son habitation et la destruction des gîtes larvaires aquatiques. Les outils et méthodes de protection individuelle recommandés par l’OMS dans le cas du paludisme, cible prioritaire à l’échelle de la planète, sont (i) l’usage par tous les résidents de moustiquaires à imprégnation durable d’insecticide de la famille des pyréthrinoïdes, et (ii) la pulvérisation d’insecticides à effet rémanent à l’intérieur de toutes les habitations. Cette méthode a permis de réduire de 50 % la prévalence du paludisme sous les tropiques entre 2000 et 2015. Dans les années 1980 et 1990, une stratégie voisine, combinant seulement interventions au niveau communautaire et pulvérisation d’insecticides rémanents au domicile, a permis à Cuba de se débarrasser en grande partie des moustiques vecteurs de la dengue. La gestion des sites larvaires est pour l’OMS une méthode complémentaire qui est très spécifique du lieu et de l’écologie de l’espèce vectorielle impliquée. Singapour a obtenu, à partir de 1970, une faible incidence de la dengue par la surveillance entomologique et la destruction systématique des gîtes larvaires en traquant l’eau stagnante dans tous les types de récipients trouvés dans les espaces publics et privés de la ville-État.

L’OMS ne se prononce pas encore faute de données suffisantes sur la valeur de mesures de renforcement de la protection individuelle, qui sont aussi largement utilisées par les voyageurs, comme les répulsifs topiques, les vêtements traités avec un insecticide et les répulsifs spatiaux/aériens dans l’habitation.

Les innovations techniques et méthodologiques qui apparaissent au fil des ans doivent être testées en vraie grandeur avant de pouvoir être recommandées. Un groupe consultatif pour la lutte antivectorielle (VCAG pour Vector Control Advisory Group) a été créé par l’OMS pour examiner et évaluer l’utilité pour la santé publique des nouveaux outils et nouvelles approches et pour formuler des recommandations sur leur utilisation dans la lutte antivectorielle. Il s’est réuni les 8 et 10 juin 2020.

Utilisation des insecticides

L’utilisation des insecticides doit se faire dans le respect de règles de sécurité : il faut les manipuler avec précaution et les appliquer de manière appropriée. Le système OMS d’évaluation des pesticides (WHOPES) a publié des lignes directrices spécifiques sur l’utilisation des insecticides, les procédures de sécurité et le contrôle de la qualité ainsi que des recommandations concernant les essais.

Résistance des vecteurs aux insecticides

Le plan mondial pour la gestion de la résistance aux insecticides chez les vecteurs du paludisme, lancé par l’OMS en 2012, concerne les principales espèces d’insectes vecteurs et toutes les classes d’insecticides. Il propose une stratégie globale à déployer à l’échelle mondiale et nationale, et un plan d’action attribuant des responsabilités claires et fixant des priorités en termes de recherche et développement. Les parties prenantes sont invitées à prendre immédiatement les mesures nécessaires pour préserver l’efficacité des méthodes actuelles de lutte antivectorielle en évitant un usage mal ciblé des insecticides. Elle incite à produire dans les meilleurs délais possibles une nouvelle génération d’insecticides. Remarquons que la recherche de nouveaux agents de lutte biologique ou de nouvelles méthodes de modification génétique des populations locales d’insectes, deux options pourtant plus respectueuses de l’environnement et de la santé, ne bénéficie pas des mêmes incitations.

  • [1] OMS. Les délégués à l’Assemblée mondiale de la Santé approuvent les résolutions sur la lutte antivectorielle, les maladies non transmissibles et les objectifs de développement durable. 2017. https://www.who.int/fr/news-room/detail/30-05-2017-seventieth-world-health-assembly-update-30-may-2017
  • [2] OMS. Action mondiale pour lutter contre les vecteurs 2017-2030. 2017. https://www.who.int/malaria/areas/vector_control/Draft-WHO-GVCR-2017-2030-fre.pdf?ua=1
  • [3] OMS. Lignes directrices pour la lutte contre les vecteurs du paludisme. 2019.
  • [4] OMS. Plan national pour la gestion de la résistance aux insecticides chez les vecteurs du paludisme. 2012.

Publication analysée :

* Shrivastava SR. Shrivastava PS. Is there any need and scope for improvement in the vector control measures? Environ Dis 2019 ; 4 : 93-4. Doi : 10.4103/ed.ed_25_19