ANALYSE D'ARTICLE

Effets cardiovasculaires de l’exposition professionnelle au bruit : revue et méta-analyse d’études prospectives

Cette analyse d’études prospectives récentes renforce les preuves d’un effet délétère de l’exposition professionnelle au bruit sur le système cardiovasculaire, mais la littérature doit encore s’enrichir en travaux de bonne qualité pour produire des estimations plus fiables.

This analysis of recent prospective studies strengthens the evidence that occupational exposure to noise has a detrimental effect on the cardiovascular system, but further study is needed to produce more accurate estimates.

Les études épidémiologiques ayant examiné l’effet de l’exposition professionnelle au bruit sur la pression artérielle (PA) ont fait l’objet de deux méta-analyses, l’une publiée en 2002 (qui rassemblait 14 études issues d’une revue de la littérature sur la période allant de 1970 à 1999), l’autre en 2010 (15 études, période 1950-2008). La première rapporte une augmentation du risque d’hypertension artérielle (HTA) avec l’augmentation du niveau sonore (risque relatif [RR] par incrément de 5 dB(A) égal à 1,14 [IC95 : 1,01-1,29]) et la seconde montre une relation entre l’intensité de l’exposition et les valeurs de la PA (systolique : PAS, diastolique : PAD), qui sont significativement plus élevées dans le groupe le plus exposé (en moyenne 134,1/83,7 mm Hg) qu’aux niveaux d’exposition intermédiaire (128/81,5 mm Hg) et faible (126,8/80,1 mm Hg).

La plupart des études publiées jusqu’en 2000 étaient de type transversal et comportaient des faiblesses méthodologiques (manque de standardisation des mesures de la PA, médiocre qualité du groupe de référence, contrôle insuffisant des facteurs de confusion potentiels, etc.). Les auteurs de cette nouvelle méta-analyse ont choisi de n’inclure que des études prospectives publiées postérieurement. Ce travail présente également l’intérêt d’être étendu à d’autres indicateurs de l’état de santé cardiovasculaire que la PA, pour lesquels la relation avec l’exposition au bruit est moins bien documentée.

 

Cinq bases de données ont été consultées, permettant d’identifier 12 articles (publiés entre 2002 et 2013) présentant les critères de qualité méthodologique requis, sur la base de la liste du National Institute of Occupational Health pour les études observationnelles.

 

Exposition au bruit et pression artérielle

La sélection ne comportait qu’une étude rapportant les effets de l’exposition au bruit sur la PA considérée comme une variable continue. Réalisée dans une population de travailleurs coréens du secteur de la métallurgie (n = 530), avec une bonne évaluation de l’exposition et un suivi allant jusqu’à 10 ans, elle montre une relation dose-réponse entre le niveau du bruit et les chiffres de la PA.

Quatre études avaient examiné le risque d’HTA, répondant à un diagnostic médical (PAS ≥ 140 mm Hg ou PAD ≥ 90 mm Hg) ou définie par la prise d’un traitement antihypertenseur. Trois étaient des études de cohortes industrielles dans des populations masculines, la plus importante (canadienne) ayant inclus 10 872 travailleurs dans des scieries, et la plus petite (taïwanaise) 578 employés dans la construction aéronautique. La quatrième étude, en population générale danoise, avait inclus près de 220 000 individus des deux sexes.

Malgré leur bonne qualité générale, ces études présentaient le défaut commun d’avoir rétrospectivement assigné aux sujets inclus un niveau d’exposition au bruit fondé sur une matrice emploi-exposition (une étude) ou des données de mesure objectives (sonomètre ou dosimètre personnel) mais actuelles (trois études). Toutes montraient une association positive entre l’exposition à un niveau sonore dépassant 85 dB(A) et le risque d’HTA (cette association n’était statistiquement significative que chez les femmes dans l’étude en population générale). Leur méta-analyse avec un modèle à effets aléatoires (l’hétérogénéité étant importante [I2 = 88,9 %]) aboutit à un hazard ratio (HR) égal à 1,68 (IC95 : 1,10-2,57). L’estimation est robuste au biais de publication : selon la méthode « fail-safe n », le nombre d’études négatives manquantes (number of missing studies – NMS) nécessaires pour que l’effet du bruit sur le risque d’HTA ne soit plus significatif est de 50.

Dans un correctif à leur publication [1], les auteurs présentent de nouveaux résultats, plus modestes (HR = 1,37 [1,01–1,87] ; I2 = 74,4 % ; NMS = 20) après exclusion d’une étude finlandaise jugée a posteriori inéligible pour la méta-analyse. Ce travail rapportait l’effet de l’exposition pendant huit ans à trois contraintes professionnelles isolées ou associées (bruit défini comme un niveau sonore continuellement ≥ 80 dB(A) et/ou bruits impulsionnels, travail posté, charge physique) sur l’augmentation de la PAS, dans l’objectif final d’examiner l’impact de cette augmentation sur le risque de coronaropathie.

 

Événements cardiovasculaires

Cinq études avaient examiné les effets de l’exposition au bruit sur la mortalité de cause cardiovasculaire, par infarctus du myocarde (IDM : trois études) ou accident vasculaire cérébral (AVC : deux études). Une seule (cohorte canadienne de 27 464 ouvriers dans l’industrie du bois) s’appuyait sur des mesures objectives de l’exposition au bruit (dosimètres individuels). Une matrice emploi-exposition avait été utilisée dans une vaste étude en population générale et les données étaient auto-déclaratives dans les trois autres. Leur méta-analyse indique un faible excès de mortalité dû à l’exposition professionnelle au bruit : HR = 1,12 (1,02-1,24), un biais de publication ne pouvant être exclu (NMS = 6).

Trois études rapportaient des résultats sur la morbidité cardio- et cérébrovasculaire, dont deux analyses dans des sous-populations masculines de la Helsinki Heart Study employés dans divers secteurs industriels. Les sujets avaient été classés sur la base d’une matrice emploi-exposition et les cas de cardiopathie ischémique avaient été identifiés à partir de registres nationaux. L’étude la plus longue (6 005 sujets suivis pendant 18 ans) montre que l’excès de cardiopathie ischémique associé à l’exposition au bruit (plus de 80 dBA et bruits impulsionnels) persiste après le départ en retraite. Dans la troisième étude, australienne, ayant inclus des sujets des deux sexes, l’exposition professionnelle au bruit et les événements sanitaires (angine de poitrine, AVC) étaient auto-rapportés. La méta-analyse de ces études indique un effet significatif de l’exposition au bruit (HR = 1,34 [1,15-1,56] ; I2 = 0 % ; NMS = 10).

Outre la faiblesse fréquente de l’évaluation de l’exposition, les auteurs relèvent un contrôle souvent incomplet des facteurs de risque cardiovasculaire connus, qui peuvent être associés à l’exposition au bruit, et appellent à réaliser de nouvelles études longitudinales de qualité afin de réduire l’incertitude.


Publication analysée :

* Skogstad M1, Johannessen HA, Tynes T, Mehlum IS, Nordby KC, Lie A. Systematic review of the cardiovascular effects of occupational noise. Occup Med 2016; 66: 10-6.doi: 10.1093/occmed/kqv148.

1 Department of Occupational Medicine and Epidemiology, National Institute of Occupational Health, Oslo, Norvège.