ANALYSE D'ARTICLE

Effets et mécanismes d’action des phtalates
sur les processus de reproduction et la santé reproductive :
revue de littérature

Les phtalates sont des produits chimiques ubiquitaires produits en grandes quantités par l’industrie. Ils sont utilisés comme plastifiants dans les produits de consommation (emballages alimentaires, jouets, revêtements de sol en vinyle, produits cosmétiques, produits d’entretien ménager, peintures, etc.) et pratiquement dans tous les articles en PVC, fournissant aux produits plastiques leur élasticité. Ce sont des acides benzènedicarboxylique-1,2,esters de dialkyles dont la plupart sont classés perturbateurs endocriniens (PE).

L’estimation de leurs effets sur la santé humaine est rendue très difficile en raison de nombreuses interrogations sur leurs mécanismes d’action, la multiplicité des substances concernées et des voies d’exposition, et les fenêtres d’exposition critiques. Ces produits chimiques interagissent les uns avec les autres via différents mécanismes, ce qui peut entraîner des effets toxiques synergiques, additifs ou antagonistes sur la santé à de faibles doses dans l’environnement. Les phtalates, comme les hormones, peuvent exercer leurs effets physiologiques plus à faible dose qu’à forte dose (relation dose-réponse non monotone). Les populations peuvent être exposées aux phtalates par l’ensemble des voies d’exposition (voies d’ingestion, d’inhalation et cutanée). La voie cutanée contribue principalement à l’exposition totale pour les phtalates à chaîne longue (le di(2-ethylhexyl)phtalate par exemple [DEHP]). À l’inverse, la voie d’ingestion est la plus contributrice pour les phtalates à chaîne courte (le dimethyl phthalate par exemple [DMP]).

La compilation des résultats des études sur les effets sur la reproduction des hommes et des femmes aux niveaux clinique, hormonal et intracellulaire suggère différentes associations entre exposition aux phtalates et maladies/troubles de la reproduction, et permet l’identification des mécanismes endocriniens/intracellulaires associés. Le passage transplacentaire permet leurs effets toxiques au cours du développement embryonnaire et fœtal. Les phtalates en tant que PE peuvent altérer le développement du système reproductif masculin pendant la période prénatale et postnatale de l’ontogenèse (la maturation fonctionnelle de l’appareil reproducteur dure jusqu’à l’adolescence). Particulièrement, l’exposition durant la période critique de la gonadogénèse (de la 5e à la 18e semaine de la grossesse) peut sensiblement impacter le développement du système reproductif.

Les phtalates peuvent induire des altérations de la puberté, des cancers et des troubles de la fertilité chez les hommes et les femmes. Chez les hommes, les phtalates peuvent induire un syndrome de dysgénésie testiculaire associé à une délétion de la spermatogenèse. Chez les femmes, l’exposition aux phtalates peut induire une insuffisance ovarienne prématurée associée à des troubles de l’ovogenèse et de la folliculogenèse.

Au niveau hormonal, les phtalates peuvent modifier la libération d’hormones hypothalamiques, hypophysaires et périphériques qui affecte le processus de stéroïdogenèse à travers la perturbation des boucles de rétrocontrôle. Les effets de ces substances par mimétisme aux hormones naturelles se fixant à des récepteurs hormonaux spécifiques peuvent modifier l’expression des gènes et altérer l’activité cellulaire par la production de protéines non appropriées à un fonctionnement normal.

Au niveau intracellulaire, les phtalates peuvent interférer avec les récepteurs nucléaires, les récepteurs membranaires, les voies de signalisation intracellulaires, et moduler l’expression génique associée à la reproduction. Ces gènes peuvent être modulés par l’activité des récepteurs peptidiques et nucléaires. Les phtalates altèrent la prolifération et l’apoptose cellulaires par interférence de différentes voies de signalisation (entre les MAP kinases, le facteur nucléaire kappa B, la phosphoInositide 3-kinase et les récepteurs nucléaires), processus pouvant entrainer l’altération de la spermatogenèse et l’apparition de cancers.

Commentaire

En France, l’impact des substances chimiques, et des PE en particulier, sur l’environnement et la santé constituent une source de préoccupation de plus en plus importante. Pour renforcer la règlementation et améliorer les connaissances sur les PE en vue de mieux protéger les citoyens et l’environnement contre leurs effets néfastes, la France a lancé en 2014 une première Stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens (SNPE). La deuxième stratégie, élaborée en associant l’ensemble des parties prenantes, a été lancée en 2019.

Dans le cadre de ces actions, plusieurs acteurs publics et privés se sont associés pour créer PEPPER (association lancée fin 2019), une plateforme de recherche publique-privée dont l’objectif est de réaliser une « pré-validation » des méthodes d’essai en toxicologie et écotoxicologie pertinentes pour caractériser des propriétés de perturbation endocrinienne.

L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) a également été missionnée pour mettre en place une méthodologie de priorisation de substances à évaluer et définir une liste de substances chimiques d’intérêt en raison de leur potentiel caractère de PE. La liste de substances chimiques d’intérêt en raison de leur potentielle activité endocrine et d’une sélection de 16 substances prioritaires à évaluer va permettre à l’Anses d’accélérer son travail d’évaluation. Inscrit dans la SNPE, Santé publique France développe un programme de surveillance épidémiologique et d’analyse d’indicateurs de santé reproductive, sélectionnés pour leur lien avéré ou suspecté avec l’exposition aux PE. Plusieurs indicateurs sanitaires ont déjà été publiés à partir de bases de données sanitaires existantes couvrant l’ensemble du territoire. En particulier, un premier bilan a récemment été publié, avec une analyse combinée des quatre indicateurs du syndrome de dysgénésie testiculaire, présentant une altération progressive de la santé reproductive masculine en France, probablement depuis les années 1970 en ce qui concerne la qualité du sperme.

Dans le cadre du Programme national de biosurveillance, l’étude transversale Esteban a permis de mesurer pour la première fois dans la population française continentale les niveaux d’imprégnation à neuf phtalates et d’en rechercher les déterminants. La plupart des métabolites ont été quantifiés dans 80 à 99 % des échantillons des 897 adultes et des 500 enfants inclus dans l’étude entre avril 2014 et mars 2016. Malgré les restrictions d’usage de certains phtalates, ces résultats montrent que l’ensemble de la population était exposé à au moins un phtalate à un niveau de concentration urinaire quantifiable montrant le caractère ubiquitaire de ces substances dans l’environnement et dans les produits de consommation courante.


Publication analysée :

* Hlisníková H, Petrovicová I, Kolena B, Šidlovská M, Sirotkin A. Effects and mechanisms of phthalates’ action on reproductive processes and reproductive health: a literature review. Int J Environ Res Public Health 2020 ; 17(18) : 6811. Doi : 10.3390/ijerph17186811.