ANALYSE D'ARTICLE

Enquête sur la connaissance des facteurs de risque réels et mythiques de cancer

Administrée à un échantillon représentatif de la population anglaise, cette enquête mesurant le degré d’accord avec des propositions de facteurs de risque établis ou imaginaires de cancer indique un faible taux de reconnaissance pour les deux. Le jeu de variables associées aux réponses correctes est moins évident qu’attendu.

Entre un tiers et la moitié des cancers pourraient être évités par des changements comportementaux, ce qui représente plus d’1 million de cas par an en Europe où 12 recommandations ont été formulées pour le grand public (Code européen contre le cancer, quatrième édition), couvrant notamment le tabagisme, la consommation d’alcool, la sédentarité, l’exposition au soleil, la mauvaise alimentation et le surpoids. Malgré l’information accessible, les enquêtes dans différents pays d’Europe continuent de montrer un faible niveau de conscience du lien entre les comportements favorisant le cancer et la probabilité d’en être atteint. Elles renseignent sur la connaissance des facteurs de risque scientifiquement établis de cancer, mais qu’en est-il des croyances à propos des causes de la maladie ? Quelques données chez des patients de cancérologie indiquent que leur impact comportemental n’est pas négligeable. Les efforts peuvent être orientés vers l’éviction de facteurs de risque « imaginaires » au détriment de facteurs de risques réels auquel le sujet ne craindra pas de s’exposer. Les choix individuels et familiaux en termes d’alimentation, de mode de vie, de participation aux programmes de dépistage et de vaccination, et de recours aux soins conventionnels, peuvent être largement influencés par des croyances erronées.

La présente investigation a la particularité de porter à la fois sur la connaissance des facteurs de risque prouvés de cancer et la croyance en des causes sans fondement scientifique. Leur prévalence a été mesurée dans un échantillon représentatif de la population anglaise adulte (n = 1 330) constitué par la société TNS Research International, interrogé entre janvier et mars 2016. Différentes analyses ont été réalisées à la recherche d’associations entre les réponses et des variables sanitaires (tabagisme [actuel, passé, jamais], surpoids [indice de masse corporelle > 25 kg/m2], niveau d’activité physique, consommation de fruits et légumes et consommation d’alcool [conformes ou pas aux recommandations]), et socio-démographiques (âge, sexe, groupe ethnique [blanc ou autre], statut marital [marié ou vivant en couple : oui/non], niveau d’études [diplôme d’études supérieures : oui/non)] et région de résidence [nord, centre ou sud de l’Angleterre]).

Connaissance des facteurs de risque réels et mythiques

Le questionnaire (administré en face à face à domicile) était le Cancer Awareness Measure (CAM), un outil d’évaluation des connaissances générales relatives au cancer développé et validé au Royaume-Uni (neuf sections et 47 items). La section consacrée aux facteurs de risque recueille l’accord du sujet (réponses possibles : « pas du tout d’accord », « pas d’accord », « ne sait pas », « d’accord » ou « tout à fait d’accord ») pour 11 propositions de facteurs pouvant augmenter le risque de développer un cancer : fumer des cigarettes, être exposé à la fumée d’autrui, boire plus d’une unité d’alcool par jour, manger moins de cinq portions de fruits et légumes par jour, manger chaque jour de la viande rouge ou transformée, être en surpoids, avoir eu plus d’un coup de soleil dans l’enfance, être âgé de plus de 70 ans, avoir un proche parent atteint de cancer, être infecté par le virus du papillome humain (VPH), et faire moins de 30 min d’activité physique modérée cinq fois par semaine (toutes les précisions quantitatives et qualitatives nécessaires sont apportées au répondant).

Un équivalent (CAM-MYCS pour Mythical Cause Scale) a été établi pour 12 facteurs couramment présentés comme des causes possibles de cancer : boire des boissons conditionnées en bouteilles plastique, consommer des aliments contenant des édulcorants artificiels, des aliments OGM (provenant d’organismes génétiquement modifiés ou en contenant), des aliments contenant des additifs, utiliser un four à micro-ondes, des produits en présentation aérosol, un téléphone portable, des produits de nettoyage, vivre près de lignes électriques, se sentir stressé, avoir eu un traumatisme physique, être exposé à des ondes électromagnétiques.

Les réponses considérées correctes étaient les deux premières (« pas du tout d’accord » et « pas d’accord ») pour le CAM-MYCS (score pouvant aller de 0 à 12) et les deux dernières (« d’accord » et « tout à fait d’accord ») pour le CAM (score compris entre 0 et 11). Afin d’assurer la comparabilité, les scores ont été convertis en un pourcentage de réponses correctes (0 à 100 %).

Dans la base totale, ce pourcentage est plus élevé pour le CAM (53 %) que pour le CAM-MYCS (36 %), mais les deux sont faibles, signifiant qu’un peu plus de la moitié seulement des facteurs de risque réels de cancer sont reconnus et qu’un peu plus d’un tiers des causes mythiques de cancer sont identifiées comme telles. La combinaison des deux scores indique que moins de la moitié des items (44 %) est correctement classée comme favorisant ou pas le cancer.

Les propositions du CAM recueillant le plus fort agrément (réponses « d’accord » ou « tout à fait d’accord ») sont le tabagisme actif (88 %) et passif (80 %). En revanche, moins d’un tiers des répondants reconnaissent l’infection par le VPH et la consommation insuffisante de fruits et légumes comme des facteurs de risque de cancer. Les croyances les plus fortes concernent le lien entre le cancer et le stress (43 % de répondants « d’accord » ou « tout à fait d’accord »), les additifs alimentaires (42 %), l’exposition aux ondes électromagnétiques (35 %) et les aliments OGM (34 %). À l’opposé, moins d’une personne sur cinq estime que l’utilisation d’un four à micro-ondes ou la consommation de boissons en bouteilles plastique peut augmenter le risque de développer un cancer.

Corrélations avec les variables socio-démographiques et sanitaires

La connaissance des facteurs de risque réels de cancers apparaît corrélée à l’ethnicité blanche et à un diplôme du supérieur, et inversement corrélée au tabagisme actuel et à une consommation insuffisante de fruits et légumes. Cohérents avec ceux de précédentes études au Royaume-Uni, ces résultats engagent à accroître les efforts en direction des groupes de population socio-économiquement défavorisés afin de combattre le creusement des inégalités face au cancer.

La capacité à identifier les mythes relatifs aux causes du cancer est associée à l’ethnicité blanche, au sexe masculin, à la région Nord, et inversement corrélée à l’âge. Les résultats sur le volet sanitaire sont plus surprenants, identifiant une association positive avec le score total de risque lié au comportement (cumulant les facteurs de risque individuels tabagisme, surpoids, et niveaux d’activité physique, de consommation de fruits et légumes et de consommation d’alcool non conformes aux recommandations). Le tabagisme actuel ou passé est particulièrement corrélé aux réponses correctes. L’étude fournit un autre résultat inattendu : la forte corrélation négative entre les scores de réponses correctes au CAM et au CAM-MYCS (r = -0,43 ; p < 0,01). Une tendance marquée à attribuer des causes au cancer, quelles qu’elles soient, pourrait être une explication. Elle engagerait à adopter des comportements protecteurs, comme le suggèrent la faible prévalence du tabagisme et la consommation importante de fruits et légumes chez les personnes montrant un fort niveau d’accord avec les items à la fois du CAM et du CAM-MYCS. À l’inverse, un taux de tabagisme élevé est noté chez celles qui rejettent indifféremment les propositions de facteurs de risque réels et mythiques de cancer, optant peut-être pour un déni général de l’influence du mode de vie. À ce titre, il serait intéressant d’examiner le rôle du fatalisme, de la religiosité ou d’autres variables pouvant expliquer la façon dont les individus perçoivent le cancer et ses causes.

Élever le niveau des connaissances est un premier pas nécessaire dans la séquence vers un changement de comportement, mais la relation entre les deux est complexe, comme l’indique les jeux de variables corrélées aux réponses correctes dans cette étude, qui nécessitent d’être validés dans d’autres pays à travers l’Europe.

 

Commentaires

On ne sait si on doit avoir une lecture optimiste ou pessimiste de ces résultats. Verre à moitié vide : des causes évitables de cancers, telles que le surpoids, l’infection par le virus HPV ou la faible consommation de fruits et légumes restent largement ignorées par les sondés ; le stress, les additifs alimentaires, les champs électromagnétiques ou les OGM sont, par contre, identifiés à tort comme des cancérigènes (et ces fausses croyances semblent en progression !). Verre à moitié plein : les causes qui ont fait l’objet des efforts d’éducation sanitaire les plus importants, comme le tabagisme actif ou passif, sont aussi celles qui sont le plus souvent correctement identifiées ; un niveau d’éducation plus élevé est associé avec un meilleur score dans la reconnaissance des causes réelles comme dans celles du caractère fallacieux des causes « mythiques » proposées (ce qui permet d’espérer qu’il soit possible d’améliorer les performances globales, même si à court terme, cela pose un sérieux problème d’inégalité face à la prévention) ; et enfin, les fausses croyances, même si on peut craindre qu’elle engendrent inutilement de l’anxiété, ne semblent pas détourner leurs adeptes d’adopter des comportements sains.

Ce dernier point est par ailleurs le corollaire du résultat le plus inattendu, et peut-être le plus intéressant, de cette étude : la population semble moins se diviser en « sachants » et « non sachants » qu’en « inquiets-actifs » qui croient aux causes (réelles ou mythiques) du cancer et qui adoptent des comportements de prévention et « négationnistes-fatalistes » qui ont une attitude de déni vis-à-vis de l’ensemble des causes réelles ou mythiques du cancer et qui renoncent à modifier leurs comportements. Cette hypothèse typologique mérite d’être creusée par de futurs travaux. Elle serait cohérente avec ce que l’on sait depuis longtemps sur la distance qui sépare la connaissance et l’adoption de comportements vertueux en termes de prévention sanitaire.

Georges Salines

 


Publication analysée :

* Shahab L1, McGowan JA, Waller J, Smith SG. Prevalence of beliefs about actual and mythical causes of cancer and their association with socio-demographic and health-related characteristics: findings from a cross-sectional survey in England. Eur J Cancer 2018, Apr 23. pii : S0959-8049(18)30778-0. doi : 10.1016/j.ejca.2018.03.029

1 Department of Behavioural Science and Health, University College London, Londres, Royaume-Uni.