ANALYSE D'ARTICLE

Espaces bleus, santé et bien-être : revue des études quantitatives

Trente-cinq études ont été passées en revue pour cette première synthèse des données quantitatives sur les effets bénéfiques potentiels de l’exposition aux « espaces bleus » (lacs, rivières, mer, etc.). Les relations les mieux documentées concernent la santé mentale et le niveau d’activité physique. Constatant l’hétérogénéité de cette littérature émergente, les auteurs émettent des recommandations pour la suite des recherches.

Réduction du stress, promotion de l’activité physique et des contacts sociaux, moindre exposition au bruit et à la chaleur… les bienfaits possibles de la présence d’espaces verts en ville motivent de plus en plus d’études. Par les mêmes mécanismes directs ou indirects – encore imparfaitement compris – les espaces aquatiques extérieurs, naturels ou créés par l’homme (« espaces bleus »), pourraient favoriser le bien-être et la santé.

Le sujet est important pour les politiques sanitaires et d’aménagement des territoires. Face aux risques bien connus des surfaces en eau (noyade, inondation, pollution, etc.), leurs bénéfices doivent être clairement établis pour orienter les décisions. Les auteurs de cette revue se sont concentrés sur les données quantitatives, laissant de côté les travaux de type qualitatif ou narratif sur les aspects sensoriels et perceptifs de l’interaction avec les espaces bleus, même s’ils fournissent un éclairage très utile.

 

Matériel et méthode

Deux auteurs ont indépendamment réalisé une recherche d’articles (limitée aux publications en anglais et arrêtée au 1er juillet 2016) et lu ceux présélectionnés sur la pertinence de leurs titres et résumés pour s’accorder sur une liste finale de 35 études : 29 transversales (dont trois écologiques), cinq longitudinales et une de type interventionnelle (comparaison de l’état psychologique évalué avant et après une course de 5 km sur quatre parcours différents dont deux dans un environnement aquatique [plage et berge]). Seuls 18 articles avaient été retrouvés via les moteurs de recherche classiques utilisés (Medline et Scopus), le reste ayant été identifié par un complément de recherches (dans les listes d’articles appelés en référence et d’autres sources). La nouveauté du concept d’espaces bleus par rapport à celui d’espaces verts peut l’expliquer (des mots clés alternatifs et directement relatifs aux environnements aquatiques avaient été utilisés). Des 35 articles, 24 avaient été publiés dans les cinq dernières années. L’évaluation des effets sanitaires de l’exposition aux espaces bleus était rarement le seul ou le principal objectif énoncé. Certaines études rapportant des résultats pertinents pour cette analyse ont ainsi pu passer inaperçues. Par ailleurs, un biais de publication à l’avantage des associations positives est possible.

Les deux auteurs ont procédé séparément à l’extraction des données, à l’évaluation de leur qualité et au classement du niveau de preuve d’un effet des espaces bleus sur la santé générale, la santé mentale et le bien-être, l’activité physique, le surpoids et la santé cardiovasculaire. En cas de désaccord, un consensus a été trouvé.

Une grille d’analyse précédemment élaborée pour deux revues dans le champ des espaces verts a été adaptée pour évaluer la qualité des études, qui a été jugée excellente pour une, bonne pour 22, passable pour six et médiocre pour les six autres (aucune étude n’a été classée dans la dernière catégorie). Une démarche calquée sur celle du Centre international de recherche sur le cancer (Circ) pour le classement des preuves de cancérogénicité chez l’homme a ensuite été appliquée.

Niveaux de preuves

Six études fournissaient des données sur la relation entre l’exposition aux espaces bleus et la santé générale perçue ou appréciée sur la présence de symptômes, 12 avaient évalué la santé mentale et le bien-être, 13 rapportaient des résultats en termes d’activité physique, huit avaient examiné la relation entre l’exposition aux espaces bleus et le surpoids/obésité et quatre avaient mesuré son effet sur des facteurs de risque cardiovasculaire (hypertension artérielle, hyperlipidémie, adiposité abdominale, risque global). Dans les cinq catégories, le nombre d’études (en particulier de bonne qualité) est trop faible et leur hétérogénéité (méthodologie et résultats) est trop importante pour estimer suffisantes les preuves d’une association. En revanche, des preuves limitées d’un effet bénéfique des espaces bleus se dégagent des résultats relatifs à la santé mentale et au bien-être (provenant notamment de quatre études longitudinales), ainsi qu’à l’activité physique. Les données sont insuffisantes pour conclure à l’existence ou à l’absence d’un lien entre l’exposition aux espaces bleus et la santé générale, le surpoids/obésité, ainsi que la santé cardiovasculaire.

Considérations pour l’avenir

La multiplicité et la diversité des méthodes employées pour mesurer l’exposition comme les paramètres sanitaires compliquent fortement le travail de synthèse et empêchent à ce jour toute méta-analyse. Les auteurs appellent à un effort de standardisation pour rendre les travaux suffisamment comparables, notamment dans la manière d’évaluer la présence d’espaces bleus et leur accessibilité, trop hétérogène (pourcentage de surface en eau dans une zone tampon variable autour de la résidence [en référence à l’adresse ou au code postal] ou dans l’unité administrative de recensement, distance linéaire jusqu’à un espace bleu, temps de trajet pour s’y rendre, etc.).

Comme le concept d’espaces verts, celui d’espaces bleus recouvre une variété d’environnements. La littérature examinée ne comportait que quatre études focalisées sur les eaux continentales (cours et plans d’eau naturels ou artificiels) contre 20 pour les eaux maritimes et littorales. Les eaux à la fois salées et douces avaient été considérées pour l’analyse dans 11 études. Les auteurs encouragent cette approche, ainsi que la prise en compte des espaces verts dont la présence est souvent fortement corrélée à celle des surfaces en eau, dans le but d’étudier l’interaction entre les deux et l’ampleur de leurs influences respectives sur la santé.

Plus d’études longitudinales sont requises pour augmenter le niveau de preuve des bienfaits à long terme des espaces bleus. Les observations devraient s’efforcer d’inclure les changements dans l’exposition, dûs à des déménagements mais aussi à des modifications du paysage pouvant favoriser ou entraver l’accès aux espaces et leur fréquentation (routes, constructions, phénomènes naturels).

Toutes les études rassemblées pour cette première revue sauf quatre provenaient de pays à haut niveau de revenu. La moitié avait été réalisée au Royaume-Uni ou en Australie (respectivement 11 et six études). Or les relations que les populations établissent avec les espaces bleus et qui conditionnent leur impact sur la santé et le bien-être peuvent être différentes selon la culture et le climat. Les connaissances à ce sujet devraient progresser avec le projet de recherche européen BlueHealth.

 


Publication analysée :

* Gascon M1, Zijlema W, Vert C, White MP, Nieuwenhuijsen MJ. Outdoor blue spaces, human health and well-being: a systematic review of quantitative studies. Int J Hyg Environ Health 2017; 220: 1207-21. doi: 10.1016/j.ijheh.2017.08.004

1 ISGlobal, Barcelona Ctr Int Health Res (CRESIB), Hospital Clinic, Universitat de Barcelona, Espagne.