ANALYSE D'ARTICLE

Exposition au cadmium et mortalité par cancer : étude prospective dans une population d’amérindiens

L’exposition environnementale faible à modérée au cadmium est associée, dans cette étude de cohorte, à la mortalité totale par cancer ainsi qu’à la mortalité spécifique par cancer bronchopulmonaire et du pancréas.

This cohort study links low to moderate exposure to cadmium in the environment to total cancer mortality and specific mortality from lung and pancreatic cancer.

Le cadmium est un contaminant ubiquitaire de l’environnement (air, sol et eau) du fait de son utilisation industrielle dans les batteries et les piles, les revêtements anticorrosion des pièces et objets métalliques, comme stabilisant des polymères des matières plastiques, etc. Le tabagisme et la consommation de végétaux ayant poussé sur un sol contaminé et bioaccumulé du cadmium sont les principales sources d’exposition à ce métal toxique, classé parmi les agents cancérogènes pour l’homme par le Centre international de recherche sur le cancer (Circ). La présence de sites miniers ou industriels sur le territoire et certaines activités artisanales comme la fabrication de bijoux ou la réparation de véhicules, sont des sources d’exposition supplémentaires pour les communautés indiennes des États-Unis comme celles qui ont participé à la Strong Heart Study dans laquelle cette analyse a été réalisée.

Le cancer est la deuxième cause de mortalité chez les amérindiens, seul groupe ethnique dans lequel le taux de mortalité par cancer ne diminue pas, alors qu’il a baissé de plus de 1 % par an entre 1999 et 2008 dans les autres groupes. Cette analyse de l’association entre l’exposition à long terme au cadmium – estimée par la concentration urinaire – et la mortalité par cancer contribue à combler le manque de connaissances sur les facteurs de risque environnementaux de cancer dans ces populations. Par ailleurs, elle étoffe la littérature sur les effets d’une exposition faible à modérée au cadmium, moins étudiés que ceux d’une exposition professionnelle.

 

Données analysées

La cohorte de la Strong Heart Study a été constituée par le recrutement, entre 1989 et 1991, de 4 545 hommes et femmes âgés de 45 à 75 ans appartenant à 13 communautés (d’Arizona, Oklahoma, et Dakota du Nord et du Sud). À l’entrée, les participants ont répondu à un questionnaire (caractéristiques sociodémographiques, consommation de tabac et d’alcool, état de santé), été examinés (poids, taille, pression artérielle) et ont fourni des échantillons de sang et d’urine. Après exclusion de 580 sujets pour lesquels l’échantillon d’urine était insuffisant et de 173 autres pour données manquantes (consommation de tabac ou d’alcool, indice de masse corporelle [IMC], niveau d’études), la population analysable comportait 3 792 participants.

La concentration urinaire médiane de cadmium était de 0,71 μg/g de créatinine chez les hommes (intervalle interquartile [IIQ] = 0,46-1,08) et de 1,11 μg/g chez les femmes (IIQ = 0,74-1,71). La comparaison des moyennes géométriques (0,70 μg/g chez les hommes et 1,14 μg/g chez les femmes) aux valeurs issues de la National Health and Nutrition Examination Survey (NHANES) 1988-1994 (respectivement 0,28 μg/g et 0,40 μg/g) indique une exposition au cadmium nettement plus importante que dans la population générale.

La cohorte a été suivie jusqu’au 31 décembre 2008 (durée moyenne : 17,2 ans). Dans la population analysée, 219 femmes et 155 hommes étaient décédés d’un cancer, les localisations dominantes étant le poumon et le sein chez les femmes (respectivement 34 et 25 cas) et le poumon et la prostate chez les hommes (respectivement 43 et 16 cas). L’association entre la concentration urinaire de cadmium et la mortalité par cancer a été examinée, d’une part en comparant la mortalité dans le dernier tertile de concentration à la mortalité dans le premier tertile, et, d’autre part en comparant le 80e percentile au 20e (IIQ). Les modèles étaient ajustés sur le sexe, l’âge, le statut tabagique (non-fumeur, ex-fumeur, actuel fumeur), la consommation de tabac (en paquets-années) et l’IMC. L’ajustement a été complété pour le cancer du sein (statut pré- ou post-ménopausique, traitement hormonal substitutif et nombre de grossesses) et celui du rein (hypertension artérielle, taux de filtration glomérulaire).

 

Associations observées

La concentration urinaire de cadmium est associée à la mortalité totale : hazard ratio (HR) = 1,85 (IC95 = 1,36-2,51) pour le 3e versus le 1er tertile et 1,30 (IC95 = 1,09- 1,55) pour le 80e vs le 20e percentile.

L’analyse par localisation met en évidence des associations significatives avec la mortalité par cancers bronchopulmonaire et du pancréas : HR (analyse 80e vs 20e percentile) respectivement égaux à 2,27 (IC95 = 1,58-3,27) et 2,40 (IC95 = 1,39- 4,17). Le tabagisme étant une source très importante d’exposition au cadmium, les auteurs ont postulé que l’ajustement sur le statut tabagique et la quantité consommée pouvait être insuffisant pour contrôler ce facteur de confusion. Une analyse de sensibilité a donc été effectuée en excluant les participants ayant déclaré être fumeurs à l’entrée dans la cohorte. Les associations persistent, bien que plus faibles, pour la mortalité par cancer bronchopulmonaire (HR = 2,06 [1,15-3,70]) comme par cancer du pancréas (HR = 2,22 [1,12-4,40]), ce qui suggère que l’exposition au cadmium est un facteur de risque indépendant du tabagisme pour ces deux localisations. Les résultats concernant le cancer du pancréas doivent cependant être interprétés avec prudence étant donné le petit nombre de cas (24 décès dans la population totale et 15 dans la sous-population des sujets non ou ex-fumeurs à l’entrée). Une analyse dans le sous-groupe des cancers favorisés par le tabagisme (lèvres, voies aérodigestives, estomac, colon et rectum, foie, pancréas, bronches, poumons, vessie, rein, col de l’utérus et leucémie myéloïde) montre par ailleurs un effet du cadmium dans la population totale (HR [80e vs 20e percentile] = 1,56 [1,24-1,96]), atténué dans la sous-population des participants non- ou ex-fumeurs à l’entrée (HR = 1,37 [IC95 = 1-1,87]).

Certaines études chez des travailleurs fortement exposés au cadmium montrent une augmentation de la mortalité par cancer du sein et de la prostate (ou de l’incidence de ces cancers), qui n’est pas retrouvée dans cette étude. Sa puissance statistique était toutefois limitée par le petit nombre de cas de décès pour chaque type de cancer. Trois autres limites sont relevées, qui concernent : la fiabilité de la mesure de l’exposition chronique à partir d’une seule détermination des concentrations urinaires de cadmium ; l’utilisation des certificats de décès (et non d’un registre du cancer ou de dossiers hospitaliers) comme source d’information sur les causes de décès ; et l’absence de garantie que des sujets ayant un cancer non diagnostiqué n’aient pas été inclus dans la cohorte. Des analyses de sensibilité excluant les décès survenus au cours des 2 ou 5 premières années de suivi ont néanmoins abouti à des résultats similaires à ceux des analyses dans la population totale.

Laurence Nicolle-Mir


Publication analysée :

Garcia-Esquinas E1, Pollan M, Tellez-Plaza M, et al. Cadmium exposure and cancer mortality in a prospective cohort: the Strong Heart Study. Environ Health Perspect 2014; 122: 363-70.

doi: 10.1289/ehp.1306587

1 Department of Environmental Health Science, Johns Hopkins Bloomberg School of Public Health, Baltimore, États-Unis.