ANALYSE D'ARTICLE

Exposition aux particules fines et fonction cognitive dans la population vieillissante

Alors que la population âgée vivant dans de grandes métropoles augmente rapidement, cette étude alimente l’hypothèse d’une contribution de la pollution particulaire au déclin cognitif lié à l’âge.

While the number of older people living in large cities is increasing rapidly, this study supports the hypothesis that particulate pollution hastens age-related cognitive impairment.

La recherche sur les effets de l’exposition aux particules en suspension dans l’air ambiant commence à fournir des arguments indiquant son impact sur la santé et le fonctionnement du cerveau. Des études chez l’animal et l’homme montrent ainsi un lien entre l’exposition à une forte pollution et l’inflammation du tissu cérébral ou l’accumulation de dépôts amyloïdes. L’exposition aux particules pourrait par ailleurs nuire à la vascularisation cérébrale, et le cerveau vieillissant pourrait y être particulièrement sensible.

Cette analyse transversale de la relation entre l’exposition résidentielle aux PM2,5 et la fonction cognitive vient étoffer une littérature épidémiologique naissante. Elle présente l’intérêt d’avoir été conduite dans un vaste échantillon représentatif de la population étatsunienne âgée de 50 ans et plus.

 

Population et données utilisées

La population de départ était celle des 18 575 sujets ayant participé à l’étude nationale Health and Retirement Study (HRS) en 2004. Les auteurs ont exclu les répondants ayant déclaré un antécédent d’accident vasculaire cérébral, ceux qui résidaient dans un secteur de recensement éloigné de plus de 60 km d’une station de surveillance de la qualité de l’air ou dont l’adresse ne pouvait pas être rapportée à un secteur de recensement, ceux pour lesquels toutes les informations nécessaires à l’analyse n’étaient pas réunies, et ceux qui avaient eu besoin de l’assistance d’un proche pour répondre aux questions. L’échantillon final comportait 13 996 sujets (56 % de femmes) âgés de 50 à 102 ans (âge moyen : 64 ± 10,4 ans). L’évaluation cognitive reposait sur un questionnaire validé pour les enquêtes en population générale et avait été réalisée en face à face (dans 72 % des cas) ou par téléphone. Les questions permettaient de mesurer la mémoire de travail, la vitesse de traitement de l’information, l’orientation temporelle, les connaissances et les capacités de langage. Les auteurs ont considéré le score total (sur 35 points) et deux sous-scores : de mémoire épisodique (sur 20 points) et d’état mental (sur 15 points).

L’exposition aux PM2,5 (concentration annuelle moyenne pour l’année 2004) a été estimée à l’échelon du secteur de recensement sur la base des données de mesures fournies par les stations de surveillance de la qualité de l’air présentes dans un rayon de 60 km autour du point central du secteur de recensement.

 

Analyses et résultats

Quatre catégories d’exposition ont été défi nies, correspondant aux quartiles de la concentration des PM2,5, qui allait de 4,5 à 20,7 μg/m3. Du premier au dernier quartile, la concentration moyenne des PM2,5 était respectivement égale à 8,9 ± 0,8 μg/ m3, 11,1 ± 0,7 μg/m3, 13 ± 0,5 μg/m3 et 15,4 ± 1,6 μg/m3.

Des modèles de régression multiniveaux ont été utilisés pour tenir compte du regroupement des participants au sein des secteurs de recensement (chacun des 4 577 secteurs comptait en moyenne 3 participants). Différentes covariables sociodémographiques (âge, sexe, origine ethnique) et socio-économiques (niveau d’études atteint, statut professionnel, niveau de revenus) ont été prises en compte, ainsi que le statut tabagique (non-fumeur, ex-fumeur ou actuel fumeur).

L’analyse montre que le score cognitif total moyen est significativement inférieur dans les deux derniers quartiles de concentration des PM2,5 par rapport au premier, pris pour référence, mais la relation n’est pas linéaire : la différence est plus importante entre le troisième et le premier quartiles (coefficient bêta = -0,43 [IC95 = -0,63, -0,23]) qu’entre le quatrième et le premier (ß = -0,26 [IC95 = -0,47, -0,05]), l’écart entre les troisième et quatrième quartiles n’étant pas significatif (ß= -0,17 [IC95 = -0,37, 0,03]). Les résidents des secteurs les plus pollués présentent les performances cognitives de sujets ayant 1,7 à 2,8 ans de plus.

L’analyse de la relation entre l’exposition aux PM2,5 et chacune des deux composantes du score cognitif indique que l’altération des performances porte essentiellement sur la mémoire épisodique (ß = -0,35 [-0,51, -0,19] et -0,17 [-0,33, -0,01] respectivement dans les troisième et quatrième quartiles) tandis que les scores d’état mental ne sont pas significativement moins bons dans les zones les plus polluées.

L’ajustement supplémentaire sur la durée de résidence dans le secteur de recensement ne modifie pas les résultats. Il en est de même après inclusion dans les modèles de variables sanitaires potentiellement confondantes (indice de masse corporelle et diagnostics médicaux d’hypertension artérielle, d’infarctus du myocarde, de diabète, cancer et maladie pulmonaire). Par ailleurs, l’étude ne montre pas d’interactions significatives entre le niveau des PM2,5 et les facteurs socio démographiques et socio-économiques pris en compte. D’autres facteurs potentiellement importants, comme la qualité de l’alimentation ou le niveau de stimulation cognitive, n’ont toutefois pas été considérés. L’étude présente également des limites inhérentes à la population incluse : la HRS ne couvre pas la population âgée institutionnalisée et les données des participants n’ayant pas pu répondre directement n’ont pas été analysées. L’exposition individuelle aux PM2,5 était estimée sur la base de leur niveau de concentration dans l’air extérieur, sans tenir compte de l’exposition en d’autres lieux (au travail, sur la route, à la maison, etc.). Toutefois, près de la moitié de l’échantillon de population inclus n’avait pas d’activité professionnelle et des études ont montré que les niveaux de PM2,5 dans l’air extérieur étaient bien corrélés aux niveaux dans l’air intérieur et que leur variabilité spatiale dans une même zone urbaine était relativement faible.

Le caractère transversal de l’étude ne permet pas d’établir un lien causal entre l’exposition aux PM2,5 et une altération des fonctions cognitives, ce qui nécessite la poursuite des travaux. Il reste également à identifier les composants des particules qui pourraient contribuer au déclin cognitif lié à l’âge.

Laurence Nicolle-Mir


Publication analysée :

Ailshire J1, Crimmins EM. Fine particulate matter air pollution and cognitive function among older US adults. Am J Epidemiol 2014; 180: 359-66.

doi: 10.1093/aje/kwu155

 

1 University of Southern California, Devis School of Gerontology, Los Angeles, États-Unis.