Contaminants

Perturbateurs endocriniens

Elisabeth Gnansia

Présidente de la Société francophone de santé environnement (SFSE)
Retraitée de l'Anses
(Agence nationale de sécurité sanitaire, de l'alimentation et du travail)
Paris

Volume 20, numéro 2, Mars-Avril 2021

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ANALYSE D'ARTICLE

Exposition aux phtalates et neurodéveloppement :
revue systématique de la littérature et méta-analyse
des données épidémiologiques humaines

Les phtalates font partie des perturbateurs endocriniens, et plusieurs études suggèrent que l’exposition à ces produits chimiques pendant la vie fœtale et l’enfance est associée à divers troubles du développement neurologique. La voie d’exposition est principalement la voie orale, mais peut être l’inhalation ou le contact cutané. Les phtalates sont omniprésents dans l’environnement tout au long de la vie en raison de leur utilisation généralisée pour la fabrication de nombreux produits de consommation et industriels. Dans la mesure où ils traversent le placenta, et où le développement fœtal et la petite enfance sont des périodes de grande sensibilité, il est naturel de s’intéresser aux effets indésirables potentiels des phtalates.

Cette revue de la littérature épidémiologique concerne les effets des phtalates sur le neurodéveloppement, et la recherche documentaire a concerné six phtalates : phtalate de di(2-éthylhexyle) (DEHP), phtalate de diisononyle (DINP), phtalate de dibutyle (DBP), phtalate de diisobutyle (DIBP), butylbenzyl phtalate (BBP), et phtalate de diéthyle (DEP). Toutes les études référencées dans les bases de données PubMed, Web of Science ou Toxline ont été incluses, et celles dont les données étaient disponibles ont été retenues. Les études ont été évaluées selon des critères définis a priori : deux évaluateurs ont jugé du risque de biais et de sensibilité, avec une approche par domaine. Les preuves sont présentées par type d’effet et par phtalate, et la significativité des associations présentée selon un cadre structuré. Pour les études sur les effets cognitifs et moteurs chez les enfants de moins de 4 ans, une méta-analyse des effets aléatoires a été réalisée.

Les principaux effets étudiés sont les effets cognitifs (14 études), les effets moteurs (neuf études), le comportement, y compris les troubles de type hyperactivité-déficit d’attention (20 études), le comportement du nourrisson (trois études) et le comportement social, y compris les troubles du spectre autistique (sept études). À une exception près, toutes les études incluses sont des cohortes de naissance avec un suivi de la période néonatale à l’âge de 11 ans, la taille de l’échantillon allant de 135 à 657 enfants.

Pour chaque combinaison phtalate/effet, la preuve d’une association était faible ou indéterminée, à l’exception des effets moteurs pour le BBP, et le niveau de preuve était modéré. Dans l’ensemble, on ne retrouve pas d’association claire entre l’exposition aux phtalates et les troubles du développement neurologique. Cette absence d’association significative peut s’expliquer de différentes façons : une classification incorrecte des expositions, en particulier pour les travaux étudiant les effets d’un seul phtalate pendant une période donnée de susceptibilité accrue. Il peut aussi y avoir des effets spécifiques liés au sexe, qui n’apparaissent pas si on ne sépare pas les filles et les garçons, ou des effets de mélanges de phtalates qui ne peuvent pas être pris en compte. Tant que les études épidémiologiques ne construiront pas des protocoles tenant compte de toutes ces situations complexes, les résultats obtenus ne peuvent pas constituer des preuves d’absence d’effet des phtalates sur le développement neurologique.

Commentaire

Cette revue très complète et rigoureuse de la littérature ne parvient pas à mettre en évidence d’association forte entre l’exposition aux phtalates et le neurodéveloppement de l’enfant, et les auteurs évoquent pour expliquer cette absence de résultat probant divers manques dans les protocoles d’étude, mais l’alternative pourrait être l’absence réelle d’effet. Il reste intéressant cependant de proposer des études prenant en compte les manques suggérés : analyser séparément les effets chez les garçons et les filles, analyser les mélanges de phtalates, et étudier diverses périodes d’exposition.


Publication analysée :

* Radke EG, Braun JM, Nachman RM, Cooper GS. Phthalate exposure and neurodevelopment: A systematic review and meta-analysis of human epidemiological evidence. Environ Int 2020 ; 137 : 105408. Doi : 10.1016/j.envint.2019.105408.