ANALYSE D'ARTICLE

Exposition pré- et post-natale au PCB-153 et au DDE et croissance pondérale jusqu’à l’âge de 2 ans

Combinant les données de sept cohortes de naissances européennes, cette analyse s’appuie sur un modèle pharmacocinétique qui constitue un progrès par rapport aux méthodes habituellement employées pour évaluer l’exposition périnatale aux polluants organiques persistants. Elle suggère que l’exposition prénatale au dichlorodiphényldichloroéthylène (DDE) influence positivement la croissance pondérale du nourrisson, tandis que l’exposition post-natale au polychlorobiphényle PCB-153 a l’effet inverse.

This study pooling data from seven European birth cohorts used a pharmacokinetic model – an improvement on more conventional methods – to assess perinatal exposure to persistent organic pollutants. It suggests that prenatal exposure to dichlorodiphenyldichloroethylene (DDE) has a positive effect on infant weight gain, while postnatal exposure to polychlorinated biphenyl PCB-153 has the opposite effect.

Les polychlorobiphényles (PCB) et le dichlorodiphényltrichloroéthane (DDT) ont été largement utilisés, respectivement dans l’industrie et l’agriculture, avant que des initiatives soient prises à l’international pour les éliminer dans les années 1990 (convention de Stockholm). L’exposition à ces composés lipophiles est toujours d’actualité du fait de leur biopersistance : la demi-vie d’élimination du PCB-153 (congénère PCB majeur) est ainsi d’environ 14 ans, et celle du DDE (principal métabolite du DDT) est d’environ 13 ans.

La recherche de facteurs de risque environnementaux d’obésité a conduit à examiner le rôle d’expositions précoces à ces polluants organiques persistants (POP). Les études épidémiologiques rapportent généralement (mais pas constamment) des associations positives entre l’exposition au DDE et la rapidité de la prise de poids au début de la vie (facteur prédictif d’obésité) ou l’élévation de l’indice de masse corporelle (IMC) au cours de l’enfance, tandis que les effets de l’exposition aux PCB semblent variables, ce qui peut refléter des différences dans la composition du mélange de congénères.

La plupart des études menées jusqu’à présent ont inclus un petit nombre de sujets et sont focalisées sur l’exposition prénatale, par passage transplacentaire, alors que la participation de l’exposition post-natale, via l’allaitement, peut être substantielle. Son évaluation est toutefois difficile car d’autres facteurs que la durée de l’allaitement et la concentration de POP ponctuellement mesurée dans le lait maternel peuvent influencer la dose interne (variations du poids du nourrisson et de celui de la mère, quantité de lait ingérée, contenu lipidique, etc.). Pour améliorer l’évaluation de l’exposition des nourrissons, les auteurs de ce travail ont utilisé un modèle pharmacocinétique validé dans deux populations distinctes. L’autre point fort de cette analyse est son envergure, la combinaison des données de sept cohortes de naissances ayant permis d’examiner les effets de l’exposition périnatale au PCB-153 et au DDE sur la croissance pondérale de respectivement 2 487 et 1 864 nourissons.

 

Matériel et méthode

L’échantillon biologique dans lequel les concentrations de POP avaient été déterminées (en ng/g de lipide) était le sang du cordon dans quatre cohortes (slovaque, belge, française [PELAGIE] et allemano-hollandaise), le lait maternel dans deux autres (cohortes norvégienne et française [ELFE]) et le sang maternel à la 32e semaine de la grossesse dans la dernière (allemande). Ces données ont été utilisées pour simuler les profils de concentration plasmatique de PCB-153 et de DDE chez l’enfant (pour la période prénatale, d’une part, et pour la période post-natale jusqu’à l’âge de 24 mois d’autre part) à l’aide d’un modèle toxicocinétique à deux compartiments lipidiques (l’un représentant la mère et l’autre son enfant) connectés à travers la diffusion placentaire et l’excrétion/absorption de lait. Les profils étaient individualisés avec les variables suivantes : âge maternel, poids de pré-grossesse, âge gestationnel à la naissance, sexe, poids à la naissance et à différentes étapes du suivi selon le calendrier propre à la cohorte, et durée totale de l’allaitement. La distinction entre les périodes d’allaitement exclusif et partiel aurait permis de raffiner le modèle, mais cette information n’était pas disponible dans trois cohortes. La durée totale de l’allaitement était très variable, de 2, 3 mois (cohorte allemano-hollandaise) à 12 mois en moyenne (cohorte norvégienne). La proportion d’enfants n’ayant jamais été nourris au sein était également très variable, de 0 % (cohortes allemande, norvégienne et ELFE) à 40,9 % (PELAGIE). Des valeurs fixes ont été assignées à la prise de poids de la mère pendant sa grossesse (rarement recueillie) ainsi qu’à l’évolution de son poids en post-partum. Des données concernant la population générale ont été utilisées pour estimer la quantité de lait ingérée. La capacité prédictive de ce modèle a été testée dans deux cohortes fournissant des mesures répétées des POP : la cohorte slovaque, qui présentait la population la plus importante (938 paires mère-enfant), et une cohorte inuit non intégrée dans cette analyse poolée. Les concentrations plasmatiques estimées par le modèle expliquaient entre 40 et 83 % des concentrations de DDE mesurées chez le nourrisson aux âges de 6 et 16 mois, et entre 51 et 81 % de celles de PCB-153.

Les enfants avaient été pesés et mesurés par du personnel médical à deux reprises au minimum entre la naissance et l’âge de trois ans dans chaque cohorte. Ces données ont servi à estimer leur poids à 24 mois précisément par modélisation. Leurs z-scores de poids pour l’âge à la naissance et à 24 mois ont ensuite été établis, la population de référence pour chaque enfant étant celle de son sexe dans sa cohorte (le z-score mesure, en écarts-types, la différence entre la valeur observée pour un individu et la valeur médiane dans la population de référence). L’effet de l’exposition sur la différence entre le z-score à la naissance et le z-score à 24 mois a été examiné pour les deux POP séparément pour l’exposition prénatale et l’exposition post-natale (avec ajustement mutuel), ainsi que pour l’exposition totale (de la conception à l’âge de 2 ans).

 

Effets mis en évidence

Les analyses ont été réalisées avec un modèle ajusté sur plusieurs variables identifiées comme des facteurs de confusion ou intermédiaires potentiels : le poids de naissance, la parité, l’âge gestationnel, le tabagisme maternel pendant la grossesse, l’âge de la mère, sa taille et son poids de prégrossesse, l’ethnicité Rom (groupe représentant 19,3 % de la population dans la cohorte slovaque) et le nombre de mois d’allaitement.

La croissance pondérale apparaît positivement associée à l’exposition prénatale au DDE et négativement à l’exposition post-natale au PCB-153. Ainsi, l’augmentation d’un intervalle interquartile (IIQ) de l’exposition prénatale au DDE (correspondant à l’augmentation de la concentration plasmatique de 388 ng/g de lipide) est associée à une augmentation significative du z-score (ß = +0,12 [IC95 : 0,03-0,22]) qui peut se traduire par un poids supérieur d’environ 160 g à l’âge de 2 ans. À l’inverse, l’augmentation d’un IIQ de l’exposition post-natale au PCB-153 (soit 183 ng/g) entraîne une baisse du z-score (β = -0,10 [- 0,19 à -0,01]) correspondant à environ 140 g en moins à 2 ans. Quand la période allant de la conception à 24 mois est considérée dans son ensemble, aucune association significative n’est identifiée, ce qui souligne l’intérêt de distinguer l’exposition prénatale de l’exposition post-natale.

Étant donné l’hétérogénéité des cohortes, les auteurs estiment que leurs résultats ne peuvent pas être considérés précis, mais que les effets qu’ils indiquent justifient la poursuite des explorations.

 

Laurence Nicolle-Mir

 

Publication analysée :

Iszatt N, Stigum H, Verner M-A, et al.Prenatal and postnatal exposure to persistent organic pollutants and infant growth: a pooled analysis of seven European birth cohorts. Environ Health Perspect 2015; 123: 730-5.

Division of Epidemiology, Norwegian Institute of Public Health, Oslo, Norvège.

doi: 10.1289/ehp.1308005