ANALYSE D'ARTICLE

Exposition précoce à la pollution liée au trafic et symptômes respiratoires à l’âge de 4 ans dans la cohorte PARIS

Cette analyse dans la cohorte de naissances PARIS (Pollution and Asthma Risk: an Infant Study) nourrit l’hypothèse d’une inégalité des enfants face à la toxicité respiratoire de la pollution liée au trafic. Le sexe masculin, le terrain atopique et l’expérience d’un événement familial stressant apparaissent augmenter le risque d’asthme lié à l’exposition à la pollution durant la première année de vie, ainsi que la persistance de symptômes évocateurs d’asthme et de rhinite allergique jusqu’à l’âge de 4 ans.

 

Le changement du profil de la pollution urbaine, aujourd’hui largement dominée par les émissions des véhicules routiers, est l’un des facteurs pouvant expliquer l’augmentation de la prévalence des maladies respiratoires et allergiques des jeunes enfants au cours des dernières décennies. La littérature épidémiologique peine cependant à établir la responsabilité de l’exposition précoce à la pollution atmosphérique d’origine automobile (PAA) dans l’apparition d’un asthme. L’hétérogénéité des résultats rapportés par les études peut être liée à des différences de critère sanitaire (l’asthme, difficile à diagnostiquer avec certitude chez des enfants d’âge pré-scolaire ou un symptôme respiratoire évocateur d’asthme, généralement le sifflement [wheezing]) ou d’indicateur d’exposition. Les études longitudinales dans des cohortes mères-enfants se réfèrent habituellement à l’adresse de naissance, l’exposition du nourrisson étant estimée par l’intensité du trafic de proximité ou les concentrations atmosphériques de différents polluants (dioxyde d’azote [NO2], oxydes d’azote [NOx], particules [PM10 ou PM2,5], carbone-suie, etc.), habituellement modélisées par Land Use Regression (LUR).

À ces considérations méthodologiques s’ajoute la sensibilité potentiellement variable de la population étudiée. Si la petite enfance est, d’une manière générale, une période vulnérable, certains facteurs peuvent modifier l’impact de l’exposition à la PAA. Quelques études suggèrent un rôle du terrain atopique (sans que l’association avec l’asthme soit constamment plus marquée dans le sous-groupe atopique) et une influence, également variable, du sexe. Un effet de l’exposition au stress a par ailleurs été rapporté, mais chez des enfants d’âge scolaire.

Cette étude est la première à examiner l’effet modificateur du stress sur la relation entre l’exposition à la PAA durant la première année de vie et l’asthme jusqu’à l’âge de 4 ans. Le sifflement a également été considéré, ainsi que la toux sèche nocturne et les symptômes de rhinite allergique, moins souvent étudiés. Ce travail se distingue également par la prise en compte des différents lieux de vie des nourrissons pour une meilleure évaluation de leur exposition.

Données utilisées

La cohorte PARIS a été constituée entre 2003 et 2006 par l’inclusion de 3 840 nouveau-nés (naissances uniques, à terme et sans complications) recrutés dans cinq maternités de la région parisienne. Un grand nombre de données a été collecté à la naissance (entretien avec la mère), puis au premier mois de vie du nourrisson (questionnaire parental administré par téléphone) et ultérieurement entre les âges de 3 mois et de 4 ans (huit questionnaires auto-administrés). Une partie importante de la population (n = 1 825) a été perdue de vue au cours de ce suivi (en raison d’un déménagement hors de la zone de l’étude dans 28 % des cas), restreignant la population analysable à 2 015 enfants. Les deux groupes étaient comparables sur la plupart des caractéristiques de base hormis le statut socio-économique de la famille (plus élevé dans le groupe ayant complété le suivi), la proportion des enfants avec antécédents paternels d’asthme, de rhinite allergique ou d’eczéma (également plus élevée) et celle des enfants exposés au tabagisme maternel in utero (moins élevée).

Les données sanitaires provenaient des questionnaires administrés aux âges de 1, 2, 3 et 4 ans, interrogeant les parents sur un diagnostic médical d’asthme et l’expérience de symptômes de type sifflements respiratoires, toux sèche nocturne et rhinite allergique (éternuements, écoulement ou obstruction nasale) en dehors d’un épisode infectieux. Tenant compte de l’évolution possible de ces symptômes durant la prime enfance, trois groupes ont été constitués : symptômes transitoires (rapportés durant les deux premières années seulement), persistants (rapportés jusqu’à l’âge de 4 ans) ou d’apparition tardive (entre 2 et 4 ans). Pour l’asthme, les auteurs ont considéré l’asthme déclaré à un moment quelconque du suivi (« ever ») et l’asthme accompagné de symptômes respiratoires à l’âge de 4 ans. L’effet de l’exposition à la PAA sur tous ces critères sanitaires a été recherché dans un modèle ajusté sur le sexe, le poids de naissance, le statut socio-économique, le niveau d’études de la mère, les antécédents parentaux d’asthme, de rhinite allergique ou d’eczéma, le tabagisme pendant la grossesse, l’utilisation de gaz pour se chauffer ou cuisiner à la maison, la présence visible de moisissures au domicile, l’exposition domestique à la fumée de tabac durant la première année de vie, l’allaitement exclusif au cours des trois premiers mois, le type de garde dans la journée durant les six premiers mois, les événements stressants au cours des deux premières années et l’indice de masse corporelle ≥ 85e percentile aux âges de 2 et 3 ans.

Les événements familiaux stressants étaient définis comme la séparation des parents, une perte d’emploi, une maladie grave (cancer, dépression, pathologie aiguë ou chronique nécessitant une hospitalisation, une intervention chirurgicale, etc.) ou le décès d’un membre de la famille ou d’un proche. Les auteurs ont examiné l’influence de tels événements survenus durant les deux premières années de vie sur la relation entre l’exposition et les différents critères sanitaires, ainsi que l’effet modificateur du sexe et du terrain atopique (antécédents parentaux d’asthme, de rhinite allergique ou d’eczéma).

Évaluation de l’exposition

Les NOx (représentant mieux les gaz d’échappement des véhicules à moteur que le seul NO2) ont été pris pour marqueurs de la PAA. L’exposition du nourrisson a été déterminée sur la base des informations relatives à ses modes et lieux de garde (à domicile, chez une assistante maternelle, à la crèche, autre), incluant le temps passé en ces différents lieux et leur étage, pour une modélisation des concentrations atmosphériques de NOx à la fenêtre, plus pertinente que celles au niveau du sol prédites par un modèle LUR. Cette composante locale de la pollution a été établie à l’aide d’un modèle de dispersion adapté de l’Operational street pollution model danois par le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) et l’Institut français des sciences et technologies des transports, de l’aménagement et des réseaux (IFSTTAR). L’indice d’exposition incluait également la pollution de fond, mesurée par l’Association de surveillance de la qualité de l’air en Île-de-France (Airparif).

Le niveau d’exposition moyen durant la première année de vie allait de 39 à 257 μg/m3 équivalent NO2, avec une valeur médiane égale à 75 μg/m3. Les effets de l’exposition sont exprimés sous forme d’odds ratio (OR) pour une augmentation d’un intervalle interquartile des concentrations (IIQ : 26 μg/m3 équivalent NO2).

Associations observées

L’exposition est associée au sifflement persistant à l’âge de 4 ans (OR = 1,27 [IC95 : 1,09-1,47]), ainsi qu’à l’asthme « ever » (OR = 1,15 [1,01-1,31]) et accompagné de symptômes respiratoires (OR = 1,20 [1,02-1,41]).

Une interaction significative entre la pollution et le stress est observée sur la toux et la rhinite. Dans le groupe des enfants d’une famille touchée par un événement stressant, l’augmentation d’un IIQ de l’exposition aux NOx est associée à un OR de toux nocturne persistante égal à 1,29 (1,08-1,55) et à un OR de symptômes persistants de rhinite égal à 1,26 (1,06-1,49). Une influence équivalente du terrain atopique est mise en évidence (associations significatives uniquement en cas d’antécédents parentaux d’asthme, de rhinite allergique ou d’eczéma), ainsi que du sexe (associations significatives chez les garçons seulement).

Le stress familial, l’atopie et le sexe masculin apparaissent également modifier l’effet de l’exposition aux NOx sur l’asthme et le sifflement persistant. Ainsi, l’exposition augmente significativement le risque de sifflement en cas d’événement stressant (OR = 1,46 [1,19-1,79] versus 1,06 [0,82-1,37] en l’absence de stress), de terrain atopique (OR = 1,42 [1,18-1,71] versus 1,05 [0,78-1,41] en cas contraire) et de sexe masculin (OR = 1,39 [1,15-1,69] versus 1,09 [0,82-1,44] chez les filles). Ces résultats qui reflètent des relations complexes entre la PAA et divers facteurs génétiques et environnementaux demandent à être confirmés dans d’autres études de cohortes.

 


Publication analysée :

* Rancière F1, Bougas N, Viola M, Momas I. Early exposure to traffic-related air pollution, respiratory symptoms at 4 years of age, and potential effect modification by parental allergy, stressful family events, and sex: a prospective follow-up study of the PARIS birth cohort. Environ Health Perspect 2017 ; 125 : 737-45. doi : 10.1289/EHP239

1 Laboratoire Santé Publique et Environnement, EA4064, Faculté de Pharmacie de Paris, Université Paris-Descartes, Sorbonne Paris Cité, Paris, France.