ANALYSE D'ARTICLE

Exposition prénatale aux composés perfluoroalkylés et facteurs de risque cardiométabolique dans la cohorte INMA

Exploitant les données de la cohorte de naissances espagnole INMA (Infancia y medio ambiante, environment and childhood), les auteurs de ce travail ont examiné les relations entre les concentrations maternelles de quatre substances perfluoroalkylées (PFAS) et un ensemble de paramètres cliniques et biologiques prédictifs du risque cardiométabolique, mesurés entre les âges de 6 mois et 7 ans. Il en résulte très peu d’indications d’un effet de l’exposition prénatale aux PFAS.

L’exposition précoce à des substances « obésogènes » est l’une des causes évoquées de l’augmentation graduelle de l’obésité infantile constatée depuis quatre décennies. Quelques études épidémiologiques ont à ce titre été réalisées pour estimer l’effet de l’exposition prénatale à des substances perfluoroalkylées (PFAS) (acide perfluorooctanoïque [PFOA] et sulfonate de perfluorooctane [PFOS] principalement) sur divers paramètres comme l’importance de la prise de poids au cours des premiers mois de vie et l’indice de masse corporelle (IMC) ou l’adiposité abdominale chez l’enfant. L’impact de l’exposition aux PFAS sur d’autres facteurs prédictifs du risque de maladies cardiovasculaires et métaboliques à l’âge adulte, fréquemment associés au surpoids (tels qu’une pression artérielle [PA] élevée et des anomalies lipidiques ou de l’homéostasie glucidique), a par ailleurs été examiné dans quelques études. Les résultats de ces travaux encore peu nombreux manquent de cohérence.

Les relations entre l’exposition prénatale aux PFAS et plusieurs paramètres cliniques et biologiques pertinents au regard du risque cardiométabolique (gain de poids de la naissance à l’âge de 6 mois, IMC, adiposité abdominale et PA aux âges de 4 et 7 ans, lipides sanguins et score global de risque cardiométabolique à l’âge de 4 ans) ont été recherchées ici dans la cohorte de naissances espagnole INMA.

 

Données utilisées

Entre 2003 et 2008, 2 150 femmes enceintes des régions de Gipuzkoa, Sabadell et Valence ont été incluses dans la cohorte. Les concentrations maternelles de quatre PFAS (PFOS, PFOA, acide perfluorononanoïque [PFNA] et sulfate de perfluorohexane [PFHxS]) ont été déterminées chez 1 243 participantes (58 % de la population totale) au premier trimestre de leur grossesse. Leurs valeurs témoignaient d’une faible exposition prénatale : concentrations moyennes respectivement égales à 5,8 ng/mL (PFOS), 2,32 ng/mL (PFOA), 0,66 ng/mL (PFNA) et 0,61 ng/mL (PFHxS).

Les mesures anthropométriques permettant d’établir un z-score pour le gain de poids entre la naissance et l’âge de 6 mois étaient disponibles pour 1 154 nourrissons, dont 270 (24 %) présentaient une croissance pondérale précoce rapide augmentant le risque de développer une obésité.

Respectivement 1 230 et 1 086 enfants avaient été vus lors des visites de suivi aux âges de 4 et 7 ans. Les mesures staturopondérales ont servi à calculer des z-scores (âge et sexe-spécifiques) pour l’IMC : 27 % des enfants étaient en surpoids (z-score ≥ 85e percentile) à 4 ans et 34 % à 7 ans. Le tour de taille et la PA avaient été mesurés chez tous les enfants à l’âge de 7 ans, mais seulement chez ceux des centres de Sabadell et Valence à l’âge de 4 ans (n = 839). Le rapport tour de taille sur hauteur dépassait 0,5, indiquant une adiposité abdominale excessive chez 26 % des enfants à l’âge de 4 ans et 19 % à 7 ans.

Les lipides plasmatiques (triglycérides [TG], cholestérol total [CT] et fraction HDL permettant de calculer la fraction LDL) étaient disponibles pour 627 enfants des trois centres qui avaient accepté une prise de sang à la visite des 4 ans, mais le prélèvement n’avait été effectué à jeun qu’à Valence.

À partir des données des centres de Sabadell et Valence collectées à 4 ans, un score global de risque cardiométabolique a été établi pour 386 enfants. Les auteurs regrettent l’absence de marqueur de l’homéostasie glucidique (ou de la sensibilité à l’insuline) dans leur indice dérivé des z-scores (âge, sexe et région-spécifiques) pour le tour de taille, la PA moyenne (sur la base des valeurs de la systolique et de la diastolique), les TG et le HDL-C (facteur protecteur entré en terme négatif). Afin de mieux examiner l’impact potentiel de l’exposition prénatale aux PFAS sur le risque de syndrome métabolique et de maladie ultérieure, l’utilisation d’un score plus complet à un âge plus avancé est souhaitée.

Rares associations positives

Les associations entre chaque substance individuellement et les variables continues (score de risque cardiométabolique et z-scores pour le gain de poids à 6 mois, l’IMC, le tour de taille, la PA, les TG, le CT, le HDL-C et le LDL-C) ont été recherchées par régression linéaire multivariée. La régression de Poisson a été utilisée pour les variables binaires (croissance pondérale précoce rapide, surpoids et adiposité abdominale excessive). Les covariables contrôlées étaient l’âge et le sexe de l’enfant, ainsi que des caractéristiques maternelles : pays de naissance (Espagne ou autre), région de résidence, antécédents d’allaitement (en nombre de semaines), âge à l’accouchement, et IMC de pré-grossesse.

Seules trois associations significatives émergent des analyses. La première est observée entre le PFOA et le gain de poids à 6 mois, uniquement chez les garçons : le coefficient de régression ß (représentant la différence en écart-type du z-score pour un doublement de la concentration) est égal à 0,13 (IC95 : 0,01-0,26). Une association existe par ailleurs entre le PFHxS et les TG à 4 ans dans l’échantillon total analysé (n = 627) : ß = 0,11 (0,01-0,21). Elle est retrouvée chez les garçons (ß = 0,16 [0,03-0,30]) mais pas chez les filles (ß = 0,07 [-0,08 à 0,22]). Enfin, l’exposition au PFNA est associée à une augmentation du score de risque cardiométabolique à 4 ans, significative uniquement dans l’échantillon total (n = 386) : ß = 0,60 (0,04-1,16). D’une manière générale, les résultats n’indiquent pas clairement un effet modificateur du sexe.

Diverses analyses de sensibilité ont été réalisées, notamment en excluant les enfants nés prématurément, avec un faible poids ou par césarienne, en introduisant le débit de filtration glomérulaire maternel (influençant le taux d’excrétion rénale des PFAS) dans les modèles, et en stratifiant la population selon l’allaitement maternel et sa durée (pas d’allaitement, moins de 4 mois, entre 4 et 6 mois ou plus de 6 mois). Dans cette dernière analyse, l’effet de l’exposition prénatale au PFOA sur les z-scores d’IMC devient significatif dans le sous-groupe (20 % de la population) des allaitements très prolongés, à l’âge de 4 ans (ß = 0,14 [0,03-0,26]) comme de 7 ans (ß = 0,17 [0,02-0,32]). Ces résultats suggèrent un rôle de l’exposition post-natale, soutenu par deux études rapportant des associations entre les concentrations sériques de PFAS et l’adiposité ou les lipides sanguins chez des adolescents. Cette hypothèse ne peut être vérifiée dans la cohorte INMA (Infancia y medio ambiante, environment and childhood) en l’absence de mesure directe de l’exposition post-natale aux PFAS.

 

 

Commentaires

Les étudiants en épidémiologie connaissent bien cette phrase : « Si vous torturez les données, elles finiront bien par parler ». La boutade en préambule ne doit pas remettre en cause l’étude de Manzano-Salgado et al., qui tente d’explorer l’existence d’une relation entre l’exposition prénatale à une catégorie de perturbateurs endocriniens (PE) et le risque cardio-métabolique après la naissance. Le protocole a été soigneusement rédigé, et l’étude semble avoir été menée aussi bien que possible, si l’on connaît toutes les difficultés d’une enquête épidémiologique à grande échelle.

Ce travail tente de mettre en relation quatre substances perfluoroalkylées (PFAS) et un grand nombre de paramètres cliniques et biologiques prédictifs du risque cardiométabolique.

L’analyse multivariée a consisté en un très grand nombre de comparaisons, a pris soin de contrôler autant de facteurs de confusion que possible (sexe, âge maternel, zone géographique d’origine et autres caractéristiques de la mère) ; cependant les résultats significatifs sont très peu nombreux, avec des interprétations discutables : seul le paramètre « allaitement maternel très prolongé » a donné lieu à un résultat significatif, sur une possible augmentation de l’indice de masse corporelle (IMC) de l’enfant à 4 ans et 7 ans. Ce résultat est interprété par les auteurs comme la conséquence possible d’un rôle de l’exposition post-natale aux PFAS. Le risque que de tels résultats fassent remettre en cause les bienfaits de l’allaitement maternel s’en trouverait heureusement écarté.

De bonnes études antérieures ont permis d’évoquer un lien entre l’exposition prénatale à des PFAS (concentrations maternelles mesurées) et le taux de cholestérol mesuré chez l’enfant aux âges de 7 et 15 ans. On peut considérer cela comme en faveur d’une association réelle avec le risque de dyslipidémie. Mais l’ensemble des éléments ci-dessus ne constituent que des arguments indirects, et en aucun cas la preuve d’un lien entre PFAS et syndrome cardiométabolique.

La littérature de la dernière décennie contient un foisonnement d’études sur les PE, dont l’immense majorité prouve que les individus sont/ont été exposés, mais dont bien peu parviennent à un lien de causalité avec le risque cardiométabolique ou d’autres pathologies. Or la Commission européenne continue de se tenir à sa définition des PE : « Une substance qui a des effets indésirables sur la santé humaine, qui agit sur le système hormonal et dont le lien entre les deux est prouvé ». Certains, surtout en France, la remettent en question, mais dans l’immédiat il serait préférable de faire appliquer les mesures dont on sait qu’elles sont efficaces contre l’obésité – régime alimentaire équilibré, lutte contre la sédentarité – et d’ouvrir les hypothèses de recherche à d’autres facteurs de risque.

Elisabeth Gnansia

 


Publication analysée :

* Manzano-Salgado CB1, Casas M, Lopez-Espinosa MJ, et al. Prenatal exposure to perfluoroalkyl substances and cardiometabolic risk in children from the Spanish INMA birth cohort study. Environ Health Perspect 2017 ; 125(9) : 097018. doi : 10.1289/EHP1330

1 ISGlobal, Centre for Research in Environmental Epidemiology (CREAL), Barcelone, Espagne.