ANALYSE D'ARTICLE

Exposition résidentielle au champ magnétique et cancers de l’enfant : extension de l’étude danoise

En prolongeant la période étudiée, les auteurs de ce travail dans la population danoise ne retrouvent pas l’excès de risque de cancers de l’enfant (leucémies, tumeurs cérébrales et lymphomes) précédemment associé à une exposition résidentielle à un champ magnétique d’extrêmement basse fréquence d’au moins 0,4 microtesla. Les résultats obtenus à partir des données collectées entre 1987 et 2003 contredisent ceux issus de l’analyse de la période 1968-1986.

In extending the study period, the authors of this study no longer found the increased risk of childhood cancers in Denmark (leukemia, brain tumors, and lymphomas) previously reported to be associated with residential exposure to an extremely low-frequency magnetic field of at least 0.4 microtesla. The results obtained from data collected between 1987 and 2003 contradict those obtained from the 1968-1986 study.

Les auteurs ont appliqué les mêmes méthodes que pour leur première analyse, qui avait abouti à identifier une association entre une exposition résidentielle à un champ magnétique d’extrêmement basse fréquence (CM-EBF) généré par les installations électriques atteignant ou dépassant 0,4 microtesla (μT) et le risque combiné de leucémie, tumeur du système nerveux central (SNC) et lymphome malin dans la population pédiatrique danoise. Des 1 707 cas diagnostiqués entre 1968 et 1986 chez des enfants de moins de 15 ans alors considérés (données du registre national des cancers), seuls six avaient été classés dans cette frange d’exposition la plus élevée, qui incluait également trois témoins. Le risque relatif (RR) calculé sur cette base était égal à 5,72 avec un intervalle de confiance à 95 % très large (1,4 à 23,36).

 

Extension de l’étude

L’intégration de 1 570 cas incidents de leucémies, tumeurs du SNC et lymphomes diagnostiqués entre 1987 et 2003 chez des jeunes Danois de moins de 15 ans porte à 3 277 le nombre de cas inclus dans cette nouvelle analyse qui s’étend sur une période de 36 ans. Le groupe témoin, constitué par randomisation dans le registre national de la population, s’élève à 9 129 enfants (sur la base de deux témoins pour chaque cas de leucémie, trois pour chaque cas de tumeur du SNC et cinq pour chaque cas de lymphome, avec appariement sur le sexe et l’année de naissance). L’histoire résidentielle individuelle a été reconstituée via le système d’enregistrement des faits d’état civil danois (qui répertorie la municipalité de résidence, le nom et le numéro de la rue, ainsi que les dates d’arrivée et de départ), depuis la conception (adresses de la mère au cours des neuf mois précédant la naissance) jusqu’à la date du diagnostic (appliquée également aux témoins). Les adresses situées à plus de 150, 75 ou 35 mètres d’une ligne de transport d’électricité à haute tension (LHT) respectivement de 220-400 kV, 132-150 kV et 50-60 kV ont été considérées exposées à un CM-EBF inférieur à 0,1 μT. Les mêmes distances en fonction de la tension ont été utilisées pour les postes de transformation, tandis que pour les câbles souterrains, les distances définissant la moindre exposition étaient plus de 20, 5 et 2,5 m pour une tension respectivement de 220-400 kV, 132-150 kV et 50-60 kV. En deçà de ces limites, la puissance du champ a été calculée par des experts des compagnies d’électricité (ignorant le statut de cas ou de témoin des enfants) sur la base des critères suivants : distance, type de ligne, type de pylône, disposition des phases, caractéristiques du courant transporté et dates de construction et de reconstruction éventuelle. Lors de la première analyse, les estimations produites selon cette méthode avaient été comparées à des mesures du champ magnétique à six adresses voisines de lignes aériennes de 132 à 400 kV et le coefficient de corrélation était égal à 0,99. Trois groupes d’exposition ont été constitués en retenant, pour les enfants qui avaient habité à plusieurs adresses, le niveau d’exposition résidentielle le plus élevé. Le premier groupe (< 0,1 μT) réunissait 99,2 % des cas et 99,3 % des témoins. Seuls 16 cas et 48 témoins ont été classés dans le deuxième (0,1 à 0,39 μT), le groupe le plus exposé (≥ 0,4 μT) n’incluant que 11 cas et 19 témoins.

 

Absence d’association significative

L’analyse statistique ne montre pas d’association entre l’exposition et le risque de cancer pédiatrique. Par rapport au groupe le moins exposé, le risque de leucémie dans le groupe le plus exposé est égal à 1,67 (IC95 : 0,51-5,46). Les RR de tumeur du SNC et de lymphome sont respectivement de 1,33 (IC95 : 0,41-4,33) et 2,50 (IC95 : 0,46-13,65). Pour les trois types de pathologies combinées, le RR est égal à 1,63 (0,77-3,46) dans la catégorie la plus exposée et égal à 0,98 (0,55-1,74) dans la catégorie intermédiaire. Les résultats sont comparables dans la sous-population des cas diagnostiqués entre 1968 et 1991 et de leurs témoins, pour lesquels les informations disponibles permettaient l’ajustement sur un certain nombre de covariables : exposition au radon domestique et à la pollution liée au trafic, âge maternel, rang de naissance, ainsi que revenu brut moyen des habitants de la municipalité et degré d’urbanisation pour la leucémie.

Les analyses limitées à la période la plus récente (1987-2003) aboutissent à un RR égal à 1,67 (0,17-16,02) pour les lymphomes et à des RR inférieurs à 1 pour la leucémie (0,80 [0,16-4,12]), les tumeurs du SNC (0,75 [0,16-3,53]) et les trois types de cancers réunis (0,88 [0,32-2,42]). Ces résultats sont très éloignés de ceux de la première analyse sur la période 1968-1986, qui avait abouti à des risques relatifs compris entre 5 et 6. Une tendance historique similaire a été rapportée, en Grande-Bretagne, pour la leucémie, l’association avec la proximité d’une LHT (moins de 200 mètres) qui existait pour les données collectées entre 1962 et 1979 n’étant pas retrouvée postérieurement [1]. Les auteurs évoquaient la possibilité de changements concernant certaines caractéristiques (mode de vie, comportement) de la population résidant à proximité des lignes ou de l’habitat construit dans ces zones. L’hypothèse qu’une modification, au cours du temps, d’un facteur de confusion potentiel, puisse expliquer la labilité d’un excès de risque observé à une certaine période demeure purement spéculative, pratiquement aucun facteur de risque n’étant connu pour les cancers concernés. Une autre explication possible, dans le cas présent de cette étude, est que les résultats obtenus à partir d’un si petit nombre de sujets exposés soient attribuables au hasard. La rareté des pathologies examinées et des expositions résidentielles atteignant ou dépassant 0,4 μT sont des sources majeures d’incertitude quant aux estimations produites.

 

Laurence Nicolle-Mir

 

Publication analysée :

Pedersen C1, Johansen C, Schüz J, Olsen H, Raaschou-Nielsen O. Residential exposure to extremely low-frequency magnetic fields and risk of childhood leukemia, CNS tumour and lymphoma in Denmark. Br J Cancer 2015; 113: 1370-4.

Danish Cancer Society Research Center, Copenhague, Danemark

doi: 10.1038/bjc.2015.365

 

[1]. Environ Risque Sante 2014; 13(4): 286-8.