ANALYSE D'ARTICLE

Exposition résidentielle aux pesticides et cancers de l’enfant : nouvelle méta-analyse

Les résultats de cette nouvelle méta-analyse des études ayant examiné le risque de cancers pédiatriques en lien avec l’exposition résidentielle aux pesticides sont cohérents avec ceux de deux précédents travaux de même nature. Ils indiquent, notamment, une relation entre l’utilisation d’insecticides à l’intérieur des habitations et le risque de leucémie.

The results of this new meta-analysis of studies examining the risk of childhood cancers associated with residential pesticide exposure are consistent with those of two previous works of the same type. In particular, they indicate a relation between the use of insecticides inside the home and the risk of leukemia.

Les enfants peuvent être exposés à des pesticides en de multiples lieux et circonstances : à la maison, à la crèche puis à l’école, dans les établissements d’accueil et d’activités périscolaires, dans les parcs et jardins, sur les terrains de sport, etc. Les jeux au sol et le contact mains-bouche favorisent leur exposition, et l’immaturité de leurs systèmes enzymatiques et métaboliques de détoxication augmente leur vulnérabilité. Sujet de préoccupation croissant, l’exposition chronique des enfants à de faibles doses de pesticides génère une littérature tournée, notamment, vers le risque de cancer.

Deux méta-analyses publiées en 2010 et 2011 [1] indiquent un lien entre l’exposition résidentielle aux pesticides, plus particulièrement aux insecticides, et le risque de leucémie infantile. Cette nouvelle méta-analyse intègre des études publiées postérieurement tandis que d’autres, précédemment prises en compte, ont été écartées au cours du processus de sélection.

 

Études incluses

Deux auteurs ont individuellement passé en revue la littérature de langue anglaise publiée jusqu’en janvier 2014 pour en extraire 16 études épidémiologiques répondant aux critères d’inclusion dans cette méta-analyse. En particulier, l’exposition de la population devait être environnementale et banale (les études ayant inclus des sujets professionnellement exposés, habitant dans des fermes, résidant dans des zones d’agriculture intensive ou près de sites de dépôt de déchets dangereux ont été exclues). Par ailleurs, les résultats devaient être rapportés pour des familles de pesticides distinctes (insecticides, herbicides et fongicides). Les études ayant considéré l’exposition aux pesticides en général ou à des produits chimiques incluant les pesticides ont été écartées.

Les 16 études, toutes de type cas-témoins, avaient été publiées entre 1993 et 2012. Elles provenaient d’Amérique du Nord (10 études), d’Europe (trois études), et, pour les trois plus récentes, d’Australie et de Chine. Les taux de participation des cas éligibles allaient de 65 à 96 % et ceux des groupes témoins étaient du même ordre (61 à 99 %). La plus petite étude avait inclus 45 cas et la plus vaste 1 184, l’âge maximum allant de 9 à 19 ans. Neuf études étaient focalisées sur les hémopathies malignes, quatre sur les tumeurs cérébrales, et une rapportait des résultats sur ces deux types de cancers. Deux études avaient examiné l’influence de l’exposition aux pesticides sur l’incidence du néphroblastome pour l’une, et du neuroblastome pour l’autre.

 

Analyses et résultats

Les données des études ont été regroupées par type de pesticide, lieu d’application (à l’intérieur ou à l’extérieur) et type de cancer en vue de réaliser plusieurs méta-analyses stratifiées. Un modèle à effets aléatoires recommandé par le groupe MOOSE (Meta-analysis of Observational Studies in Epidemiology) a été utilisé. Deux fenêtres d’exposition ont été considérées, incluant ou pas la période de vie anténatale (et allant jusqu’à la date du diagnostic). Les résultats étant similaires, l’article présente ceux qui se rapportent à une exposition anté- et post-natale.

Ils mettent en évidence une association entre l’utilisation de pesticides à l’intérieur des habitations et le risque de cancer en général : odds ratio (OR) égal à 1,40 (IC95 : 1,28-1,52). Cette association est supportée par une relation entre l’exposition aux insecticides et le risque d’hémopathies : OR = 1,46 (1,31-1,63) à partir des données de 11 études dans lesquelles l’exposition était due à l’utilisation d’insecticides par les parents, et OR = 1,46 (1,32-1,60) en incluant deux études supplémentaires ayant considéré les traitements de désinsectisation effectués par des professionnels. L’augmentation du risque de tumeurs cérébrales n’est pas significative (OR = 1,22 [0,83-1,81] pour une utilisation parentale d’insecticides et 1,11 [0,87-1,42] en ajoutant les données d’une cinquième étude tenant compte d’applications professionnelles). L’analyse par type d’hémopathie retrouve une association positive entre l’exposition aux insecticides et la leucémie (OR = 1,47 [1,26-1,72]) ainsi que le lymphome (OR = 1,43 [1,15-1,78]). Le premier méta-OR est fondé sur les données de sept études dont les résultats individuels sont cohérents (I2 = 30 %) et le second sur les données de quatre études sans hétérogénéité observable (I2 = 0 %), ce qui valide la mise en commun de leurs données. Pour les leucémies aiguës uniquement, l’odds ratio est égal à 1,59 (1,39-1,81). Le risque de cancer hématopoïétique, et en particulier de leucémie, tend à augmenter avec la fréquence d’application des insecticides : les OR respectifs sont de 2,04 (1,40-2,97) et 1,92 (1,27-2,89) dans les groupes les plus exposés (plus de 5 ou 10 applications par an selon les études, sur la base de quatre études pour toutes les hémopathies et de trois études pour la leucémie).

L’application d’insecticides à l’extérieur du domicile n’apparaît pas augmenter le risque de cancer pédiatrique. Les analyses indiquent en revanche une relation entre l’utilisation extérieure d’herbicides et le risque de leucémie (OR = 1,26 [1,10-1,44], à partir de cinq études, I2 = 0 %). La valeur de l’estimation concernant le risque de lymphome (OR = 1,52 [1,02-2,37]) est faible, du fait du petit nombre d’études et de leur hétérogénéité relativement importante (I2 = 58,4 %). Les données d’exposition aux fongicides ont été jugées trop limitées pour une méta-analyse.

Plusieurs analyses de sensibilité ont été réalisées, en excluant les études ayant le plus de poids, celles dont les résultats se situaient aux extrémités de la gamme des odds ratio, ou celles qui avaient inclus des témoins recrutés en population hospitalière ou parmi les amis des cas. Ces analyses indiquent la robustesse de l’association entre l’exposition domestique aux insecticides et les cancers hématopoïétiques (en général et sous-groupes des lymphomes, leucémies et leucémies aiguës) ainsi que celle de l’association entre l’exposition aux herbicides et le risque de leucémie.

Les preuves épidémiologiques de ces associations potentiellement très importantes pour la santé publique doivent être renforcées, la littérature disponible étant encore limitée et composée d’études cas-témoins exposées aux biais de sélection, de restitution, et aux erreurs consécutives de classement. Le test d’Egger et la représentation graphique (funnel plot) appliqués à la sélection d’études retenues pour cette méta-analyse n’ont pas mis en évidence de biais de publication.

 

Laurence Nicolle-Mir

 

Publication analysée :

Chen M, Chang CH, Tao L, Lu C. Residential exposure to pesticide during childhood and childhood cancers: a meta-analysis. Pediatrics 2015; 136: 719-29.

Cancer Prevention Institute of California, Berkeley, États-Unis.

doi: 10.1542/peds.2015-0006

 

 

[1] Environ Risque Sante. 2011;10:8-9. 1