ANALYSE D'ARTICLE

Expositions nuisibles à la santé des enfants : quels sujets aborder et comment en parler en pratique pédiatrique

Cette publication de l’American Academy of Pediatrics (AAP) constitue un guide pour les pédiatres et autres professionnels de la santé au contact des enfants. Listant les sujets de préoccupation prioritaires à aborder au cours d’une consultation parmi les expositions domestiques, alimentaires et communautaires, elle fournit aux praticiens des messages clés à délivrer aux familles ainsi que des ressources documentaires utiles à la prévention ou à la réduction des expositions environnementales néfastes.

À l’heure où les grands titres des médias alertant sur la dernière menace pour la santé des enfants sont à portée de clic des parents, la boussole médicale est particulièrement nécessaire. Aux pédiatres, eux-mêmes surchargés d’informations et bien souvent de travail, de distinguer les sujets qui méritent réellement l’attention. En un siècle, leur pratique a radicalement changé aux États-Unis, comme dans d’autres pays industrialisés, et elle continue d’évoluer rapidement. Le fléau des maladies infectieuses a laissé la place à une « nouvelle morbidité pédiatrique », formée de conditions pathologiques chroniques telles que l’asthme, les allergies, l’autisme, le trouble déficit de l’attention/hyperactivité et l’obésité. L’augmentation de l’incidence de ces pathologies n’est pas complètement expliquée et la participation d’expositions environnementales est souvent évoquée.

En pratique, il est impossible pour un médecin d’inventorier les expositions d’un enfant lors d’une, ou même de plusieurs, consultation(s). Pour en rester aux produits chimiques, plus de 80 000 substances composent ceux actuellement sur le marché aux États-Unis, les données relatives à leur toxicité pour les fœtus, les nourrissons et les enfants manquant dans la plupart des cas. Le praticien doit exercer sa perspicacité en fonction, notamment, du profil des familles qui viennent le consulter et de l’âge de l’enfant. Les familles économiquement défavorisées et les minorités ethniques et sociales constituent généralement des groupes de populations à haut risque d’expositions variées. Les enfants dont les parents sont travailleurs agricoles, migrants, consommateurs de drogues ou souffrent de maladies mentales, doivent aussi attirer l’attention. Même si l’objet de la consultation peut être chargé et que les demandes sont nombreuses et pressantes, le médecin doit trouver le temps de dépister une situation à risque et de délivrer les conseils adéquats.

Les enfants ne sont pas des adultes miniatures : leur zone respiratoire est plus proche du sol, leur fréquence respiratoire est plus rapide, ils consomment préférentiellement certains aliments, portent à leur bouche ce qu’ils ont ramassé avec leurs mains, etc. Leurs organes sont en construction et ils ont devant eux de nombreuses années d’existence pour développer des problèmes de santé consécutifs à des expositions précoces. S’assurer que l’environnement dans lequel ils vivent, apprennent, mangent, jouent et dorment soit sain, porte le potentiel de grands bénéfices à long terme.

Panorama des expositions considérées

Au rang des expositions domestiques sont traités la pollution de l’air intérieur, la fumée de tabac, le radon, les moisissures et les pesticides. Au chapitre des expositions alimentaires et via l’eau de boisson, le document couvre le mercure dans le poisson, la contamination de l’eau des puits, ainsi que les phtalates et le bisphénol A représentant la problématique des perturbateurs endocriniens. La dernière section, sur les expositions extérieures et communautaires, aborde l’environnement scolaire et les contaminants professionnels rapportés à la maison par un parent, mais elle est surtout focalisée sur les dangers de l’exposition aux rayonnements ultraviolets (UV) et aux volumes sonores élevés.

Chaque sujet est traité de manière concise, claire et efficace, selon une structure en deux parties : synthèse de la problématique et messages clés pour prévenir ou réduire l’exposition (sous forme d’une liste à puces). S’y ajoutent parfois des critères d’orientation et/ou des éléments d’interrogatoire permettant de repérer les enfants à haut risque d’exposition. Pour certains sujets (tabagisme passif, radon, plomb, mercure, UV, bruit), à la fois la connaissance du risque et sa certitude sont élevées, et les recommandations sont bien établies, alors que ce n’est pas le cas pour les expositions chimiques. Le document, qui se veut pédagogique et utile, propose alors de délivrer des conseils de prudence et de bon sens (par exemple préférer les produits frais aux aliments transformés ou en conserve, éviter d’exposer les contenants alimentaires en plastique à une forte chaleur et choisir des bouteilles en verre plutôt qu’en plastique pour les perturbateurs endocriniens).

Conseils de communication

Les auteurs conviennent qu’il peut être difficile, pour un professionnel de la santé, de discuter de risques environnementaux, surtout en l’absence de certitude scientifique ou lorsqu’il s’agit de convaincre un adolescent des méfaits de la cigarette, des bancs à UV et de la musique forte. Ils recommandent d’une manière générale de préparer le discours à l’avance, d’utiliser un langage facilement compréhensible par l’interlocuteur, des points de comparaisons parlants, et de formuler les messages de manière positive. L’un des sujets de la dernière section – l’importance de l’environnement naturel pour la santé – s’y prête particulièrement. Certaines situations, par exemple l’observation d’un enfant occupé à un jeu bruyant dans la salle d’attente, fournissent l’opportunité de délivrer un message préventif.

Si les parents peuvent souvent prendre des mesures pour réduire les expositions de leurs enfants, les interventions les plus efficaces au plan de la santé publique résultent de décisions à plus haut niveau, comme l’interdiction de fumer dans les lieux recevant du public ou le bannissement du plomb dans l’essence. Le document engage finalement les professionnels de la santé à l’action politique, en les incitant à sensibiliser les décideurs locaux et étatiques aux problèmes de santé ayant une composante environnementale auxquels ils sont fréquemment confrontés dans leur pratique. Ainsi qu’au changement climatique, qui menace particulièrement les enfants.

Commentaires

Dans les pays industrialisés, la population est soumise en permanence – ou a accès très facilement – à une masse d’informations sur les dangers auxquels elle est exposée dans son environnement ou par son alimentation. Ces informations sont le plus souvent incomplètes et simplistes et deviennent anxiogènes fautes de perspectives claires de prévention. Or si certaines expositions sont subies, et dans ce cas les réduire suppose une action politique de la collectivité, d’autres sont choisies et relèvent alors de la responsabilité individuelle, même si le singulier reste toujours lié au collectif. Chacun est tenu alors d’adopter pour ce qui le concerne des attitudes proactives : se renseigner sur les dangers des produits utilisés, et, si nécessaire, prendre les dispositions individuelles pour limiter les possibilités d’exposition dans son environnement domestique (y compris alimentaire), communautaire ou professionnel. Parmi les populations les plus vulnérables, les femmes enceintes par exposition du fœtus, les femmes allaitantes, les nouveau-nés, les jeunes enfants avant 3 ans, et les enfants et adolescents en période de pré-puberté et puberté constituent une priorité légitime de santé publique. Il est donc normal que les professions de santé au service de ces populations se préoccupent enfin d’acquérir une compétence de médecine environnementale, le plus souvent absente de leur cursus de formation, qui leur permette de délivrer aux familles en charge d’enfants, en réponse à leurs inquiétudes, des messages clés concrets, clairs et fiables ainsi que des ressources documentaires de référence visant à la prévention ou à la réduction des expositions environnementales nocives les plus certaines.

Cet article montre le résultat du travail réalisé dans ce but pour l’Académie américaine de pédiatrie (lire attentivement le tableau 3) avec le soutien financier et intellectuel des principales agences sanitaires et environnementales des États-Unis. À titre d’exemple, parmi d’autres, un guide pratique de prévention analogue, Les mille premiers jours de la vie, a été réalisé en France en 2017 à l’initiative d’une association de pharmaciens d’officine (PHARMAPPIC, http://www.appicsante.org/nos-actions/pharmappic) et d’une association professionnelle sur l’alimentation du jeune enfant (Le grand forum des tout-petits, www.legrandforumdestoutpetits.fr), avec des moyens considérablement plus faibles et le seul soutien externe de la Société française de santé et environnement (SFSE) pour la santé environnementale. Dans ces deux cas, un travail universitaire et un travail associatif de même but, la priorisation des messages de santé délivrés n’est pas explicitée. En dehors des grandes priorités universelles de santé publique, l’alcool et le tabac, c’est en effet un exercice délicat qui ne peut découler d’une analyse comparée rigoureuse des risques, d’ailleurs scientifiquement impossible en raison de l’hétérogénéité des niveaux de preuve de causalité et de la complexité des interactions entre agents nocifs et entre sources d’exposition. De plus cette priorisation peut varier avec le contexte local socio-économique et donc épidémiologique, mais surtout elle reste soumise aux « préférences collectives » de la société considérée, qui s’expriment par ce qu’on appelle le « bon sens » en application du principe universel de prudence. C’est ainsi que dans ce guide américain d’éducation pour la santé le risque chimique prioritaire porte uniquement sur le plomb, bien sûr, sur les pesticides dans l’air intérieur – qu’il suffit d’éviter d’utiliser au même titre que les solvants volatiles, et à la surface des fruits et légumes – qu’il suffit de laver, et enfin sur les perturbateurs endocriniens, mais uniquement dans les emballages alimentaires (oubliés les retardateurs de flamme dans les articles de puériculture et les parabènes additifs des cosmétiques et des aliments). La présence possible de substances à effets cancérogènes mutagènes reprotoxiques (CMR) dans certains produits de consommation courante n’est pas évoquée, et aucune information sur l’étiquetage renseignant sur les dangers n’est rappelée. Et, pour finir par une note d’humour, les antibiotiques dans la viande ou les végétaux OGM ne sont pas signalés comme expositions alimentaires à éviter…

Jean Lesne


Publication analysée :

* Galvez MP1, Balk SJ. Environmental risks to children: prioritizing health messages in pediatric practice. Pediatr Rev 2017; 38: 263-79. doi: 10.1542/pir.2015-0165

1 Departments of Environmental Medicine and Public Health and Pediatrics, Icahn School of Medicine at Mount Sinai, New York, États-Unis.