ANALYSE D'ARTICLE

Impact de l’amaigrissement sur les concentrations sériques de polluants organiques persistants

Mobilisant les polluants organiques persistants stockés dans le tissu adipeux, l’amaigrissement entraîne une élévation de leurs concentrations plasmatiques. En quelle proportion ? Pour combien de temps ? Et quelles peuvent en être les conséquences sanitaires ? Tirant des ébauches de réponses de la littérature existante, les auteurs de cet article soulignent d’importants besoins de connaissance, concernant en particulier les femmes qui perdent du poids avant une grossesse.

To what extent does weight loss increase blood concentrations of persistent organic pollutants stored in adipose tissue? How long do the levels remain high? And what might be the health consequences? While the current literature provides some answers, the authors of this article underline the urgent need for more knowledge, particularly about women who lose weight before a pregnancy.

Résistants aux processus de dégradation naturels, les polluants organiques persistants (POP) tendent à s’accumuler dans l’environnement et dans les organismes vivants, le degré de contamination augmentant avec le niveau de l’espèce dans la chaîne alimentaire. La plupart des POP étant lipophiles et stockés dans les organes et tissus riches en lipides, ils sont remis en circulation quand la masse grasse fond.

Appuyé sur une revue de la littérature, cet article discute de l’importance du phénomène de relargage des POP induit par l’amaigrissement, à l’heure où une population croissante de sujets obèses nécessite une prise en charge.

Publications consultées

Après une recherche dans les bases de données Medline, Embase, PubMed et Web of Science (articles en anglais publiés jusqu’au 7 avril 2016), les auteurs ont sélectionné 17 études provenant d’Europe (Belgique, Finlande, France, République tchèque, Suède) et d’Amérique du Nord, incluant une population totale de 2 061 sujets. Le sexe des participants n’était pas précisé dans deux petites études, la population restante (n = 1 988) comportant 60 % de femmes.

Quatorze études documentaient l’évolution des concentrations plasmatiques de diverses substances (familles des organochlorés [OC], des polychlorobiphényles [PCB], des polybromodiphényléthers [PBDE] et des composés perfluorés [PFC]) chez des sujets en surpoids variables et diversement traités (restriction calorique, activité physique, chirurgie bariatrique, fenfluramine). Le suivi était relativement bref (trois à six mois) dans six d’entre elles et d’au moins un an dans les huit autres. L’amaigrissement était mesuré en kilos de poids corporel perdus dans dix études, les quatre autres présentant des résultats sous forme de pourcentage de poids perdu ou de diminution de l’indice de masse corporelle. Enfin, trois études de type rétrospectif fournissaient des données de biosurveillance chez des sujets rapportant une perte de poids autodéclarée.

Ces publications indiquent que l’amaigrissement s’accompagne d’une augmentation des concentrations plasmatiques de tous les groupes chimiques, à l’exception des PFC, ce qui peut s’expliquer par leur caractère à la fois hydrophobe et lipophobe qui leur confère une affinité pour les protéines plasmatiques et hépatiques, alors que les POP lipophiles sont stockés dans le tissu adipeux. Toutefois, une seule étude avait mesuré ces substances avant et un an après une intervention de chirurgie bariatrique, chez 105 patients souffrant d’obésité morbide, qui avaient perdu en moyenne 31,7 kg.

Estimation quantitative

Cinq des dix études ayant mesuré la perte de poids en kilos, incluant au moins 16 participants et qui présentaient toutes les données nécessaires, ont pu être conservées pour établir la relation entre la diminution du poids et l’augmentation des concentrations sériques de 17 POP (neuf congénères PCB et huit OC). Les données combinées indiquent que les concentrations augmentent proportionnellement au poids perdu, de 2 à 4 % par kilo selon les polluants.

Les auteurs recommandent de considérer que cette estimation est fondée sur un échantillon de population limité (les cinq études incluaient au total 270 participants avec une plage de perte de poids moyenne de 4,4 à 22 kg) et peu diversifié (quatre études étaient canadiennes). Par ailleurs, les concentrations de POP étaient ajustées sur celles des lipides plasmatiques dans trois études seulement, et une seule spécifiait que les échantillons sanguins avaient été prélevés chez des sujets à jeun.

Implications pour le traitement de l’obésité

La possibilité que l’augmentation des niveaux de POP entraîne des effets sanitaires délétères (qu’il reste à établir) conduit les investigateurs de l’une des cinq études à suggérer de modérer l’objectif de perte de poids. Considérant l’activité potentiellement perturbatrice endocrinienne, métabolique ou adipogène de bon nombre de POP, certains estiment que leur mobilisation peut contrarier le traitement de l’obésité, en diminuant l’ampleur des bénéfices attendus ou en retardant les améliorations métaboliques. Si l’élévation des concentrations plasmatiques de POP n’est pas d’ordre à remettre en cause les bénéfices sanitaires majeurs à long terme de l’amaigrissement, cet élément doit être pris en compte.

La vulnérabilité des fœtus et des nourrissons constitue une préoccupation spécifique, étant donné l’importante proportion des femmes en âge de procréer dans la population prise en charge pour obésité. Face aux bénéfices obstétricaux de la perte de poids (diminution de l’incidence du diabète gestationnel, de l’hypertension artérielle gravidique et de la macrosomie fœtale notamment), il serait nécessaire d’étudier les risques pour la santé de l’enfant d’une exposition majorée aux POP, in utero, puis via l’allaitement. La question se pose tout particulièrement pour la chirurgie bariatrique pour obésité morbide, qui entraîne une diminution rapide et massive du poids corporel allant jusqu’à 40 %. Les données disponibles permettent d’estimer entre 150 à 400 % l’augmentation consécutive de la concentration plasmatique totale des POP.

L’amélioration des connaissances nécessite la réalisation d’études longitudinales de bonne qualité, incluant un nombre suffisant de participants, permettant de caractériser l’évolution des concentrations à long terme et d’explorer la signification clinique de leur augmentation.

Commentaire

La question de l’importance pour la santé des augmentations de mélanges de polluants organiques persistants (POP) documentées dans cet article fait partie des préoccupations de projets de recherche en cours, tels qu’Euromix (http://www.euromixproject.eu).

Dans Euromix, cette question est abordée de façon prédictive, en intégrant la pharmacocinétique (qui étudie le devenir des substances dans le corps) et la modélisation des adverse outcome pathways (AOP) [1], qui permet de relier expositions internes et effets pathologiques, tels que la stéatose hépatique ou la perturbation des cycles hormonaux. Il existe des modèles pharmacocinétiques physiologiques capables de prédire l’accumulation et la mobilisation des POP chez l’humain ([2] par exemple). La modélisation quantitative des AOP est plus en retard, mais progresse à grands pas dans le cadre d’Euromix et d’autres projets européens tels que EU-ToxRisk (http://www.eu-toxrisk.eu). Nous devrions pouvoir obtenir rapidement une réponse au moins partielle au problème posé, en tout cas une réponse qui permette d’évaluer raisonnablement les risques et les bénéfices des réductions de la masse corporelle adipeuse. Une attitude de précaution qui ne demande guère de réflexion, consiste à éviter en premier lieu la prise de poids excessive...

Frédéric Bois

  • [1] Brochot C., Bois F.Y. AOP/MOA. Environ Risque Sante. 2016;15:248-250. 10.1684/ers.2016.0856
  • [2] Bois F.Y. Modélisation toxicogénétique de la concentration sanguine de 2,3,7,8-tétrachloro--dioxine après ingestion chez la femme. Environ Risque Sante. 2003;2:45-53. p

Publication analysée :

* Jansen A1, Lyche JL, Polder A, Aaseth J, Skaug MA. Increased blood levels of persistant organic pollutants (POP) in obese individuals affter weight loss. A review. J Toxicol Environ Health B Crit Rev 2017 ; 20 : 22-37.doi: 10.1080/10937404.2016.1246391

1 Center for Morbid Obesity, department of Surgery, Innlandet Hospital Trust, Gjovik, Norvège