ANALYSE D'ARTICLE

Impacts de la pollution de l’air sur la fertilité : état des lieux des connaissances

À la fois les études expérimentales et épidémiologiques soutiennent la notion d’un effet de la pollution de l’air sur la gamétogenèse, réduisant la capacité reproductrice des sujets exposés. La littérature passée en revue dans cet article est toutefois hétérogène et ne permet ni de désigner les polluants responsables, ni d’établir les mécanismes d’action en œuvre.

Plusieurs types d’effets biologiques de la pollution de l’air peuvent expliquer son impact sur différentes fonctions de l’organisme, y compris la fonction reproductrice. La fertilité pourrait ainsi pâtir d’une action perturbatrice endocrinienne (de type œstrogénique, anti- œstrogénique ou anti-androgénique) exercée par des polluants comme les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) et les métaux (cuivre, plomb, zinc, etc.) contenus dans les particules atmosphériques (PM). La formation d’espèces réactives de l’oxygène (que les HAP, les métaux lourds, le dioxyde d’azote [NO2] et l’ozone [O3] sont notamment capables d’induire) est susceptible d’endommager les gamètes des deux sexes. La membrane cellulaire des spermatozoïdes, riche en acides gras polyinsaturés, est particulièrement sensible à la peroxydation lipidique, et la folliculogenèse ovarienne est perturbée par le stress oxydant. L’altération de l’ADN (formation d’adduits et modifications épigénétiques) est un troisième mécanisme d’action général de la pollution de l’air, qui peut affecter les cellules germinales.

 

Ces hypothèses physiopathologiques sont encore mal étayées par la littérature. Les quelques études existantes, chez l’homme, l’animal de laboratoire, ou in vitro, sont présentées dans cet article de revue résultant d’une recherche dans PubMed sur la période allant du 1er janvier 2000 au 4 janvier 2016 (articles rédigés en anglais uniquement), réalisée selon les recommandations PRISMA (Preferred Reporting Items for Systematic Reviews and Meta-Analyses). Pour leur synthèse des connaissances cliniques, les auteurs ont considéré les études chez le mammifère en plus des études épidémiologiques, en ne conservant que celles focalisées sur la fertilité (les articles traitant des effets de la pollution de l’air sur des pathologies telles que le cancer de l’ovaire, le syndrome des ovaires polykystiques, l’endométriose ou la puberté précoce ont été écartés).

Pollution de l’air et procréation spontanée ou assistée

Seules deux études chez la souris exposée au mélange de polluants de l’air ambiant (principalement dû au trafic automobile) de la ville de São Paulo (Brésil) sont disponibles. Par rapport à ceux respirant un air filtré, les souriceaux femelles exposés à l’air pollué ont ensuite des portées moins nombreuses et un taux d’avortement supérieur dans l’une de ces deux études, tandis que l’autre rapporte une augmentation de la durée des périodes de chaleurs mais une diminution de l’indice de fertilité chez les souris exposées à l’âge adulte par rapport à celles respirant un air filtré.

Quatre études épidémiologiques provenant de différents pays (République tchèque, Espagne, États-Unis) fournissent des résultats cohérents quant à l’impact de la pollution de l’air sur la fertilité humaine, mais discordants quant aux polluants incriminés. La seule étude prospective (dans la cohorte Nurses’ Health Study II) fondée sur des données de géolocalisation précises montre une association significative entre la proximité résidentielle d’une voie à fort trafic et le risque d’infertilité, corroborant les études expérimentales.

Les investigations dans des populations ayant recours à la fécondation in vitro (FIV) offrent la possibilité d’observer précisément les étapes d’ovulation, de fécondation et d’implantation. Les données existantes sont toutefois peu nombreuses : deux études chez la souris et trois chez l’homme dont l’apport est limité, s’agissant d’études rétrospectives avec de longues périodes d’observation (sept à dix ans) durant lesquelles l’efficacité des techniques de FIV s’est améliorée et une évaluation approximative de l’exposition (utilisation d’un modèle national de qualité de l’air dans une étude et des comptes journaliers de particules à l’échelle de la ville entière dans les deux autres). Les résultats concernant l’effet des PM10 – seul polluant évalué en commun dans les trois études – apparaissent contradictoires, ce qui peut être dû à l’importante différence des niveaux de pollution entre les sites d’études.

Effets sur les gamètes

Une dizaine d’études conduites chez le rongeur rassemblées pour cette revue montre que l’exposition à différents mélanges de polluants (trafic automobile, émissions diesel et de sources industrielles) retentit sur la production des spermatozoïdes et la qualité du sperme (pourcentage des formes normales et mobiles). Au niveau hormonal, l’exposition à des HAP (dont le benzo[a]pyrène) a été associée à une diminution des taux plasmatiques de testostérone et à une élévation de ceux de la LH, gonadotrophine hypophysaire stimulant sa production.

Chez l’homme, les effets de la pollution de l’air sur la spermatogenèse ont été examinés dans le cadre de la recherche de facteurs environnementaux pouvant expliquer le déclin de la qualité du sperme observé depuis plusieurs décennies dans les pays industrialisés. La littérature est riche, mais les études sont peu comparables du fait de la diversité des méthodes employées, des populations étudiées, des durées et périodes d’exposition, ainsi que des polluants dont l’effet a été recherché. Une majorité met en évidence des altérations du spermogramme en termes de morphologie et de mobilité des spermatozoïdes. Il existe moins de preuves d’une association entre l’exposition à la pollution et une diminution de la vitalité des gamètes (pourcentage des formes vivantes) ou de la concentration spermatique. Une seule des 11 études sélectionnées, incluant une petite population (48 donneurs de sperme résidant à Los Angeles, États-Unis), a été réalisée selon un schéma de type prospectif, avec un suivi sur une période de deux ans durant laquelle chaque donneur a fourni au moins 10 échantillons de sperme. Elle identifie une association négative significative entre la concentration spermatique et l’exposition résidentielle à l’O3 (parmi quatre polluants examinés, les autres étant le NO2, le monoxyde de carbone et les PM10) pour les trois fenêtres d’exposition considérées (entre 0 et 9 jours avant le don, entre 10 et 14 jours et entre 70 et 90 jours). En désaccord avec la plupart des études, aucun effet de la pollution sur la mobilité des spermatozoïdes (seul autre paramètre du spermogramme examiné) n’est retrouvé.

Comparativement à la littérature sur les gamètes masculins, celle sur les gamètes féminins (plus difficiles à recueillir et étudier) est très pauvre. La sélection se résume à une étude chez la souris et trois études épidémiologiques (deux transversales et une de cohorte) chez des femmes professionnellement exposées aux solvants organiques dont le benzène ou aux polluants du trafic (officiers de police affectés à la circulation). Ces travaux suggèrent un impact de la pollution sur la durée du cycle menstruel et le niveau d’estradiol durant les phases folliculaire et lutéale, mais ne permettent pas de savoir si les polluants exercent un effet direct ou indirect sur l’axe hypothalamo-hypophyso-gonadique.

Tout en soulignant les lacunes des connaissances (responsabilité individuelle des polluants ? mécanismes de toxicité ?), les auteurs estiment que l’impact sur la santé reproductive est un argument supplémentaire pour accroître le niveau de préoccupation de la population et des autorités publiques vis-à-vis de la pollution atmosphérique.

 

Commentaires

La dégradation de notre environnement porte-t-elle atteinte à la fertilité humaine ? Cette question angoissante est au cœur d’interrogations scientifiques et sociétales depuis plus d’un demi-siècle. Dès 1962, l’Américaine Rachel Carson dans son livre Silent Spring [1], lançait un cri d’alarme qui a eu un grand retentissement aux États-Unis : la pollution chimique de l’environnement ne risque-t-elle pas de dégrader la reproduction des espèces vivantes dont l’espèce humaine ? De fait, de nombreux signaux sont inquiétants, dont la dégradation de la qualité du sperme qu’on trouve dans la plupart des pays industrialisés. Dans un numéro thématique du Bulletin Épidémiologique Hebdomadaire (BEH) consacré aux enjeux environnementaux pour la fertilité humaine [2], les études temporelles sur la qualité du sperme en France et à l’échelle internationale montrent une tendance plus ou moins marquée à la diminution du nombre de spermatozoïdes et de leur mobilité. Cependant, les études réalisées en France à partir des données des centres d’études et de conservation des oeufs et du sperme humain (CECOS) montrent de grandes disparités régionales, la région parisienne étant particulièrement touchée alors que d’autres régions le sont beaucoup moins. D’après l’étude du CECOS de Paris Bicètre réalisée sur des donneurs de la région parisienne, le nombre de spermatozoïdes dans le liquide spermatique a diminué de 30 % en vingt ans [3]. Comment expliquer une telle dégradation ? Quelle est la part des facteurs de risques individuels, tabac, alcool, surpoids, et des facteurs environnementaux, métaux lourds, pesticides, polluants persistants, solvants, perturbateurs endocriniens ? La question est loin d’être résolue et les mécanismes cellulaires et moléculaires qui conduisent à cette évolution sont encore largement incompris.

Les articles de Min et al. et de Carré et al. se penchent sur d’autres facteurs de risques environnementaux dont on sait qu’ils ont un impact sanitaire avéré : le bruit et la pollution atmosphérique. La première étude, très originale car jamais encore réalisée, porte sur les effets du bruit sur l’infertilité masculine dans une très large cohorte sud-coréenne de plus de 200 000 hommes. Elle fait suite à toutes ces autres études qui tendent à comprendre la lourde tendance dans les pays développés de la baisse de la qualité du sperme. Outre l’effectif très large, son intérêt réside en son suivi sur huit ans et une bonne rigueur dans l’exécution. Cependant, elle souffre, comme nombre de ces études, de la difficulté à caractériser correctement l’exposition au bruit de sorte qu’elle ne permet pas de conclure s’il s’agit d’un facteur aggravant de la dégradation spermatique même si une tendance existe !

La revue bibliographique de Carré et al. porte plus largement sur l’impact de la pollution atmosphérique sur la fertilité. La difficulté pour de jeunes couples à procréer est un sujet de préoccupation sociétale majeur. L’infertilité involontaire, c’est-à-dire l’absence de grossesse dans un couple qui cherche à avoir un enfant, est de l’ordre de 18 à 24 % après un an et de 8 à 11 % après deux ans en France [4]. Si l’âge avancé intervient comme un facteur essentiel d’infertilité chez la femme, dans 15 à 30 % des cas, il n’y a pas d’explication et les facteurs environnementaux sont alors incriminés. La pollution atmosphérique peut-elle être un de ces facteurs ? Il faut admettre qu’à nouveau, les études actuelles ne permettent pas de conclure même si les suspicions s’alourdissent. On voit ici à quel point dans des domaines complexes où de nombreux facteurs interviennent, le rôle des déterminants environnementaux est très difficile à mettre en évidence, et qu’il est nécessaire de continuer les recherches si l’on veut pouvoir apporter des arguments scientifiques face à la montée des peurs irrationnelles.

1. Rachel Carson. Silent Spring. Boston : Houghton Mifflin, 2002.

2. InVS. Numéro thématique : enjeux environnementaux pour la fertilité humaine. BEH 2012 ; 7-8-9 : 85-124.

3. Auger J, Kunstmann JM, Czyglik F, Jouannet P. Decline in semen quality among fertile men in Paris during the past 20 years. N Engl J Med 1995 ; 332(5) : 281-5.

4. ORS Rhônes-Alpes. Fertilité et environnement. 2014.

Francelyne Marano

 


Publication analysée :

*Carré J1, Gatimel N, Moreau J, Parinaud J, Léandri R. Does air pollution play a role in infertility ? A systematic review. Environ Health 2017 ; 16 : 82. doi : 10.1186/s12940-017-0291-8

1 Médecine de la reproduction, CHU Toulouse, France.