Fondements scientifiques

Méthodes

Stéphanie Billot, Mireille Gary

EDF

Volume 19, numéro 1, Janvier-Février 2020

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ANALYSE D'ARTICLE

Les bibliothécaires en tant que reviewers de la méthodologie des revues systématiques. Résultats d’une enquête en ligne

Le nombre de revues systématiques publiées a connu une croissance exponentielle durant les 20 dernières années puisqu’elles sont considérées comme le plus haut niveau de preuve pour la prise de décision en matière de santé. La qualité d’une revue systématique repose en grande partie sur l’identification des études pertinentes qui vont constituer le corpus de données à analyser. Cette identification se fait via la construction d’une stratégie de recherche qui doit être clairement exposée dans la revue afin de permettre sa reproductibilité. L’implication de professionnels de l’information, tels que des bibliothécaires et des documentalistes, experts dans la construction de stratégies de recherche, permet d’améliorer la qualité des revues systématiques et est encouragée par les organismes qui en produisent, tels que la Collaboration Cochrane. En parallèle, les éditeurs chargés d’évaluer les revues systématiques avant publication ont édité des recommandations précises pour le processus de revue par les pairs et il pourrait sembler logique de recourir à l’expertise des bibliothécaires aussi pour évaluer la partie méthodologique incluant la recherche d’informations.

Une enquête chez les professionnels de l’information

Une enquête comportant 16 questions sur l’implication dans le processus de revue de pairs a été proposée en 2018 via des listes de discussion utilisées par des professionnels de l’information dans le domaine biomédical.

Un total de 291 professionnels ont répondu, exerçant pour la plupart en bibliothèque universitaire ou en centre hospitalier universitaire (CHU). Près de 92 % d’entre eux avaient contribué à la réalisation de revues systématiques en créant les stratégies ou en réalisant les recherches bibliographiques. Par contre, 78 % n’avaient jamais été sollicités pour évaluer une revue, bien qu’ils soient prêts à le faire dans la majorité des cas (seuls neuf répondants, soit 4 %, indiquent qu’ils répondraient par la négative s’ils étaient sollicités).

La majorité des répondants qui avaient déjà reviewé (95 % !) ont rejeté le manuscrit ou recommandé des révisions, principalement en raison des faiblesses de la méthodologie de recherche (86 %).

Une expertise sous-utilisée

Une grande majorité de bibliothécaires n’ont jamais été invités à participer à une revue de pairs. Les auteurs de l’enquête suggèrent la constitution d’une liste de bibliothécaires prêts à le faire, avec leur domaine de compétence, et la mise à disposition de cette liste aux éditeurs. Lorsque les bibliothécaires ont déjà participé à la réalisation de revues systématiques et apparaissent dans la liste des co-auteurs, ils sont plus facilement identifiables, bien que, en l’absence de terme adéquat dans les listes des systèmes de soumission d’articles, ils soient souvent contraints de choisir soit une spécialité médicale, soit un terme trop vague tel qu’« éducation » ou « administration ». Ajouter la catégorie « professionnel de l’information/bibliothécaire » à ces systèmes serait relativement simple et permettrait de mieux les identifier.

Il est souligné qu’un certain nombre de répondants ne souhaitait pas participer à des revues de pairs, s’estimant manquer d’expertise pour cela. Outre le fait de pouvoir se baser sur des recommandations claires dans le processus d’évaluation, comme tout reviewer, et de former les bibliothécaires au processus, il est recommandé de leur demander d’évaluer seulement la partie pour laquelle ils s’estiment compétents, à savoir la méthodologie et la stratégie de recherche.

Alors que les organismes spécialisés dans la production de revues systématiques, tels que la Collaboration Cochrane ou la Collaboration Campbell, indiquent dans leur guide la nécessité de recourir à un professionnel de l’information, rares sont les éditeurs de journaux qui y pensent lors de l’évaluation d’un article alors qu’il est maintenant normal de recourir à un biostatisticien pour évaluer la partie relative aux analyses statistiques.

Bilan

Les répondants à cette enquête ne constituent sans doute pas un échantillon représentatif de leur profession puisqu’il s’agit de volontaires. Il n’est pas non plus possible de calculer un taux de réponse à l’enquête après diffusion sur les trois listes de discussion, certains participants étant membres de plusieurs listes. Enfin, il n’est pas à exclure qu’il y ait eu confusion sur les termes de « revue systématique » et « méta-analyse » qui n’étaient pas définis, et certains bibliothécaires sont probablement intervenus de façon informelle dans ce processus.

Malgré ses limites, cette enquête montre qu’il serait judicieux d’inclure plus souvent des bibliothécaires et professionnels de l’information dans le processus d’évaluation des revues systématiques, de même que leur contribution est reconnue comme importante pour la qualité de ces revues lors de leur élaboration. Seuls les auteurs pourraient s’en plaindre puisque les bibliothécaires sont des reviewers particulièrement sévères, recommandant la plupart du temps le rejet ou la révision du manuscrit...


Publication analysée :

* Grossetta Nardini HK1, Batten J, Funaro MC, et al. Librarians as methodological peer reviewers for systematic reviews: results of an online survey. Res Integr Peer Rev 2019 ; 4 : 23. doi : 10.1186/s41073-019-0083-5

1 Harvey Cushing/John Hay Whitney Medical Library, Yale University, New Haven, États-Unis