ANALYSE D'ARTICLE

“L’exposome sanguin” : faire progresser la recherche sur les causes des maladies

Cet examen des substances variées, d’origine exogène (aliments, polluants, médicaments) ou endogène (issues du métabolisme), véhiculées par le sang, constitue une approche pratique du concept d’exposome qui permet de mieux appréhender son utilité pour la recherche étiologique.

This study of a variety of substances – both exogenous (nutrients, pollutants, drugs) and endogenous (metabolic products) – carried in the bloodstream is a practical approach to the concept of the exposome, which helps us better understand the utilization of this concept in etiological research.

L’exploration des facteurs de risque génétiques des maladies chroniques (cardiovasculaires, respiratoires, cancers, diabète, etc.) a fait un bond depuis le séquençage du génome humain, qui a ouvert la voie au développement de la science des « omics » (génomique, transcriptomique, protéomique et métabolomique). En regard, bien que le rôle de l’environnement et des interactions gènes-environnement apparaisse déterminant, la recherche de facteurs de risque environnementaux continue de reposer sur des méthodes « low-tech ».

L’une des façons de l’élever au même niveau que la recherche en génétique est de conduire des études d’association panexposome (exposome-wide association studies – EWAS) utilisant des méthodes de criblage à haut débit, à l’instar des études d’association pangénomique (genome-wide association studies – GWAS). Comme la comparaison du génome de sujets atteints d’une maladie à celui de sujets indemnes permet de repérer des variants génétiques possiblement associés à la maladie, les études EWAS permettraient d’identifier, dans l’exposome des sujets malades, des biomarqueurs d’exposition qui pourraient faire l’objet d’investigations ciblées, d’une part pour remonter à leurs sources, et, d’autre part, pour examiner leurs implications dans la maladie.

Mais, contrairement au génome, l’exposome n’est ni connu ni stable. S’entendant comme la totalité des expositions externes et internes, il évolue tout au long de la vie. À un instant « T », néanmoins, l’exposome peut être approché par l’ensemble des substances d’origines exogène et endogène circulant dans le sang.

 

 

Caractérisation de l’exposome sanguin

Les auteurs ont utilisé les données de la Human Metabolome Database (HMDB) et de la National Health and Nutrition Examination Survey (NHANES). La HMDB compile les résultats d’études intéressant principalement des populations de pays occidentaux : elle donne accès, comme la NHANES, aux concentrations sanguines de substances d’origine alimentaire et de polluants, et, en plus, à celles de substances endogènes et d’origine médicamenteuse. Les 1 561 molécules incluses se répartissaient en 1 223 substances endogènes, 195 d’origine alimentaire, 94 polluants et 49 médicaments. Un nombre à peu près équivalent de polluants a été écarté car ils étaient détectés dans une minorité des échantillons sanguins analysés. Chaque catégorie – polluants, composés d’origine médicamenteuse, alimentaire et endogène – contient des substances à des niveaux de concentration très variables, dans une fourchette allant de 1 à 107. La concentration médiane de polluants (2,4 x 10-4 μM) est 1 000 fois plus basse que celles des substances endogènes (0,94 μM), alimentaires (1 μM) ou médicamenteuses (0,30 μM) qui sont du même ordre de grandeur.

Une catégorisation par similarité chimique montre que les substances endogènes et d’origine alimentaire appartiennent à plus de 100 classes chimiques, les plus représentées étant les lipides, les stéroïdes, les acides aminés, les acides gras et les nucléotides. En plus des nutriments et des vitamines, plusieurs substances alimentaires bioactives sont présentes, comme des toxines (aflatoxine B1, solanidine), l’acétaldéhyde et l’oxyde de triméthylamine. Les polluants exogènes sont principalement des composés halogénés (trihalométhanes, pesticides chlorés, composés perfluorés, polychlorobiphényles [PCB], etc.) et des métaux (silicium, strontium, nickel, plomb, béryllium et arsenic pour les plus abondants). Les métaux et métalloïdes peuvent également être d’origine alimentaire ou médicamenteuse.

 

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Commentaires

C’est dans le sang que l’exposome se révèle!

L’exposome est né en 2005 et Chris Wild du CIRC (Centre international de recherche sur le cancer) à Lyon en est le père. Depuis, il a été adopté par nombre de chercheurs et plus récemment par des acteurs de santé publique. Cette notion est très ambitieuse puisqu’elle intègre l’ensemble des expositions d’un individu vie entière (voire au-delà) et qu’elle se présente comme le complément du génome pour expliquer les états de santé et de maladie. Avec un cahier de charge de cette nature, on peut comprendre qu’il soit difficile de révéler l’exposome.

Depuis des années, S. Rappaport et son équipe s’évertuent à explorer le sang des individus pour mieux révéler leurs expositions. Leur point de vue développé dans cet article est que le sang comprend à la fois un ensemble de métabolites humains qui constituent une forme d’exposition endogène, mais aussi des molécules provenant du microbiote intestinal, de l’alimentation, des xénobiotiques et de leurs métabolites. Une analyse métabolomique du sang devrait intégrer l’ensemble de ces expositions. Mais il y a une dimension qui manque dans cette approche, c’est la dimension temporelle. En effet, la métabolomique fournit une photographie moléculaire du sang à un temps donné. Il faudrait, soit répéter les prises pour en faire un fi lm, mais c’est rarement faisable, soit recourir à d’autres approches pour compléter l’historique.

Ce même groupe parvient à mesurer les adduits aux protéines qui peuvent être une solution de reconstitution d’une exposition passée récente de quelques mois, à l’image de l’hémoglobine glyquée pour évaluer l’historique récent de la glycémie. Par ailleurs, la métabolomique non ciblée ne révèle que 10 % des polluants et d’autres approches de plus grande sensibilité sont nécessaires pour explorer l’exposition aux polluants chimiques. Entre temps, des cohortes longitudinales de longue durée et des enquêtes (alimentaires, géographiques, etc.) demeurent nécessaires pour interroger cette dimension si fuyante et insaisissable : le temps.

Robert Barouki

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Considérations relatives à la recherche étiologique

Les auteurs ont effectué des recherches dans PubMed pour 960 substances identifiables par leur numéro d’enregistrement CAS afin d’estimer le niveau d’intérêt qui leur est porté en tant que facteur de risque potentiel de maladies chroniques. Environ un tiers des substances (336) font l’objet de près de 20 000 citations avec un nombre de citations par substance très variable autour d’une valeur médiane de 7,5. Outre le cholestérol (4 499 citations), quelques substances concentrent un nombre élevé de citations, comme l’acide folique (595), l’aspirine (515), la cotinine (78) et le plomb (65), mais aussi des vitamines, des hormones et des nutriments anti-oxydants. La probabilité d’être citée comme facteur de risque de maladie chronique est environ deux fois plus élevée pour une substance d’origine alimentaire que pour une substance d’une autre catégorie. La plupart des molécules endogènes présentes dans la circulation à des niveaux de concentration élevés sont, en revanche, rarement citées. Les auteurs estiment qu’il est temps d’explorer l’éventuel rôle étiologique de substances jusqu’ici peu étudiées plutôt que d’augmenter les connaissances relatives à des molécules, notamment alimentaires (cholestérol, acide folique, etc.) dont l’importance pour la santé est déjà connue ou concernant des polluants réglementés (plomb, arsenic, PCB, etc.).

Une deuxième cartographie a été établie à partir des connaissances relatives aux voies métaboliques (recherche dans la base de données Biosystems du National Center for Biotechnology Information). Au moins une voie métabolique est rapportée pour 658 substances (42 %) et le poids des molécules endogènes et des nutriments essentiels (parfois impliqués dans plusieurs centaines de voies métaboliques) est disproportionné par rapport à ceux des autres catégories. Seules 29 % des substances ayant au moins trois citations en tant que facteur de risque dans PubMed apparaissent également dans Biosystems. Un écart apparaît donc entre la recherche en épidémiologie ou en clinique et la recherche en biologie des systèmes, plus focalisée sur la description des voies métaboliques sous contrôle homéostasique que sur la découverte de perturbations biologiques induites par des substances exogènes.

Laurence Nicolle-Mir


Publication analysée :

 

Rappaport SM1, Barupal DK, Wishart D, Vineis P, Scalbert A. The blood exposome and its role in discovering causes of disease. Environ Health Perspect 2014; 122: 769-74.

doi: 10.1289/ehp.1308015

 

1 Center for Exposure Biology, School of Public Health, University of California, Berkeley, États-Unis.