ANALYSE D'ARTICLE

Neurotoxicité du méthylmercure au cours du développement : elle peut passer par des mécanismes épigénétiques

On a montré au cours de la dernière décennie que la toxicité des métaux lourds passait principalement par des modifications épigénétiques. Le travail de Culbreth et al. s’intéresse particulièrement à l’un de ces métaux lourds, à savoir le mercure sous forme de méthylmercure (MeHg). Ce toxique est très présent dans l’environnement, et c’est particulièrement vrai pour les pays émergents. C’est un reprotoxique reconnu et ses effets indésirables s’exercent en particulier sur le développement du système nerveux fœtal. La principale source d’exposition des populations au MeHg est la consommation de fruits de mer contaminés.

Cette revue de la littérature inclut des études contrôlées menées en laboratoire, in vitro et in vivo. Les facteurs de confusion potentiels concernant les autres expositions environnementales ont pu être éliminés, et les effets observés ne sont ainsi attribuables qu’au MeHg. Quelques études épidémiologiques sont aussi discutées et leurs résultats comparés à ceux des études expérimentales.

Les effets observés sont principalement le résultat de mécanismes épigénétiques : le MeHg induit des modifications héréditaires de l’expression des gènes, sans modifier la séquence des gènes sur l’ADN ; ce n’est pas un mutagène. L’épigénèse passe par des changements globaux de la méthylation de l’ADN, des modifications des histones1, et/ou des changements de niveau d’expression des micro-ARN (miARN2). En outre, on a montré que ces expositions toxiques ne se limitaient pas à des effets sur la mère et l’enfant, mais qu’elles pouvaient affecter la génération suivante. On observe ainsi des effets transgénérationnels : des organismes non directement exposés au MeHg peuvent présenter des altérations biologiques et comportementales.

Les modifications épigénétiques induites identifiées in vitroportent sur les histones et la méthylation de l’ADN. Le MeHg est un inhibiteur de la prolifération et de la différenciation des cellules neuronales, par une surexpression des miARN. Dans les études in vitro, la méthylation globale de l’ADN semble diminuer dans le tissu nerveux mais pas dans le foie, mais certains gènes actifs sur le développement du cerveau sont hyperméthylés. Le MeHg agit en augmentant l’expression aberrante des gènes en général, du moins dans les cellules neuronales, ce qui rend plausible l’induction d’effets sur le comportement, mais ceux-ci sont difficiles à prévoir.

Les études in vivo ont été menées sur un modèle d’invertébré, Caenorhabditis elegans (C. elegans), et sur des modèles de vertébrés, tels que le poisson-zèbre, la souris, le rat et le vison. Plusieurs voies d’exposition et plusieurs stades de développement ont été testés. Si les études in vitro se sont limitées aux cellules nerveuses, les études in vivo ont porté sur de multiples organes (cerveau, foie, reins).

Les études in vitro et in vivo aboutissent à des résultats compatibles. Ce que l’on observe in vivo confirme les mécanismes connus de toxicité du MeHg. De plus, il apparaît que ce toxique peut entraîner des modifications épigénétiques au niveau de certains gènes qui contrôlent les cellules hépatiques et rénales.

Les effets observés sur le poisson-zèbre ne prouvent pas vraiment l’effet transgénérationnel. Toutefois, on a constaté que certains gènes étaient hypo- ou hyperméthylés sur les générations F1 et F2 après une exposition de la génération F0. Cet héritage transgénérationnel n’a pas encore été étudié chez les mammifères. Il pourrait y avoir des effets différents selon le sexe.

Les études montrent principalement une hypo- ou hyper-méthylation d’un seul gène. Les biomarqueurs d’exposition dans les populations de couples mère-enfant ont été recherchés dans les cheveux et les ongles des mères, ainsi que dans le sang du cordon ombilical, mesure plus précise de l’exposition prénatale au MeHg que le dosage dans les cheveux maternels. Il est intéressant de noter que plusieurs des modifications épigénétiques observées peuvent être corrélées avec les mécanismes connus de la toxicité du MeHg.

Commentaire

Sur la base de cette revue de la littérature, il est difficile d’édicter une conclusion générale sur les modifications épigénétiques induites par le MeHg. En fonction du tissu et de l’espèce examinés, les effets observés ne sont pas tous cohérents. Ils varient selon la durée et la voie d’exposition dont on doit tenir compte dans les études ultérieures. Certains mécanismes connus de toxicité du MeHg sont confirmés. De plus, l’héritage transgénérationnel de déficits neurocomportementaux semble plausible. Il n’y a pas suffisamment de données pour tirer des conclusions sur les effets du MeHg sur les autres tissus. Enfin, dans la mesure où des discordances existent entre les études expérimentales et épidémiologiques, il reste risqué d’extrapoler systématiquement les résultats expérimentaux à l’espèce humaine.


Publication analysée :

* Culbreth M, Aschner M. Methylmercury epigenetics. Toxics 2019 ; 7 : 56. Doi : 10.3390/toxics7040056

1 Les histones sont les constituants protéiques des chromosomes, autour desquels s’enroule l’ADN. Ils ont un rôle important dans l’organisation de la chromatine (repliement et empaquetage de l’ADN). Leur modification fait partie des modes de contrôle de l’expression des gènes.

2 Les miARN sont des fragments d’ARN non codants qui contrôlent l’expression des gènes après la transcription.