ANALYSE D'ARTICLE

Niveau de radon dans l’air intérieur et incidence du cancer du poumon et d’hématopathies malignes en Corée

Cette étude de type écologique en République de Corée retrouve un effet des concentrations en radon de l’air intérieur sur l’incidence du cancer du poumon et met en évidence une corrélation avec le lymphome non hodgkinien, dans la population féminine uniquement, qui nécessite d’être confirmée et explorée plus précisément. Aucune relation avec la leucémie n’est observée.

This ecological study in the Republic of Korea finds that indoor radon concentrations affect the incidence of lung cancer and highlights a correlation with non-Hodgkin lymphoma (in women only). These findings need confirmation and further exploration. No association with leukemia was observed.

Avec une exposition moyenne estimée à 1,65 mSv/an, le radon contribue pour environ 36 % à l’exposition totale de la population sud-coréenne aux rayonnements ionisants (RI). Bien que la mesure de son activité volumique dans l’air intérieur ait débuté en 1989, peu d’études d’impact sanitaire ont été menées jusqu’à présent, d’où l’intérêt de cette analyse de corrélation géographique avec trois types de cancers (poumon, leucémie, lymphome non hodgkinien [LNH]) à l’échelle de la région administrative.

Présentation de l’étude

Les auteurs ont inclus le cancer du poumon, pour lequel l’exposition au radon est un facteur de risque établi, dans l’objectif de comparer l’ampleur de l’effet en Corée à ce qui a été rapporté dans d’autres pays. L’hypothèse d’un impact de l’exposition au radon sur le risque de leucémie s’appuie sur la dose de rayonnement alpha potentiellement délivrée au tissu hématopoïétique, mais l’association souvent observée dans les études de type écologique est généralement absente dans les études de cohortes ou cas-témoins. L’exposition aux RI et a fortiori au radon n’est pas un facteur de risque connu de LNH, les raisons de l’augmentation récente et importante de son incidence au plan mondial (et en particulier en Corée où 95,4 % des lymphomes diagnostiqués en 2005 et 2006 étaient de type non hodgkinien) restant à identifier.

 

 

Le registre national du cancer a fourni, pour chacune des 234 régions administratives, les taux d’incidence des trois pathologies, codées conformément à la classification internationale des maladies (CIM-10), par sexe et groupe d’âge de cinq ans, pour la période 1999 à 2008. Les données relatives à la structure de la population dans chaque région, permettant d’établir des ratios standardisés d’incidence, ont été obtenues auprès du système d’informations statistiques national (données de l’année 2009). Deux autres variables populationnelles ont été prises en compte en tant que facteurs de confusion potentiels : la proportion de fumeurs des deux sexes (sur la base d’une enquête nationale de santé réalisée en 2009) et un indice de déprivation socio-économique construit à partir de cinq informations issues du recensement de l’année 2005.

L’Institut coréen de sûreté nucléaire a fourni les données des quatre campagnes de mesure de l’activité volumique du radon menées entre 1989 et 2009, totalisant 5 553 points d’échantillonnage répartis sur le territoire national (logements de zones urbaines et rurales, écoles et autres établissements publics). Ces données ont été traitées (interpolation spatiale par krigeage) et agrégées par région. La concentration en radon allait de 24 à 231 Bq/m3 avec une valeur médiane égale à 57 Bq/m3. Sa relation avec l’incidence des cancers a été examinée par modélisation hiérarchique bayésienne. Les résultats sont exprimés sous forme de risque relatif (RR) pour une augmentation de 10 Bq/m3 de la concentration en radon.

Associations observées

Deux associations sont mises en évidence, la première avec le cancer du poumon, d’ampleur équivalente dans les deux sexes, mais statistiquement significative dans la population masculine uniquement (RR = 1,01 [IC95 : 1-1,02] versus 1,01 [0,99-1,02] chez les femmes), la seconde avec le LNH dans la population féminine (RR = 1,04 [1,02-1,07]), principalement due à l’augmentation du risque dans le groupe des enfants et jeunes de moins de 20 ans (RR = 1,07 [1,01-1,13]). L’incidence de la leucémie n’apparaît pas liée à l’exposition au radon, ni dans la population totale ni dans la population pédiatrique de l’un et l’autre sexe.

Le résultat concernant le cancer du poumon est cohérent avec ceux d’autres études. Le fait que l’effet du radon soit significatif uniquement chez les hommes peut en partie s’expliquer par une prévalence du tabagisme beaucoup plus élevée (50,4 % de fumeurs en moyenne, de 31,9 à 62,4 % selon les régions) que chez les femmes (6 % en moyenne), considérant l’effet synergique des deux agents cancérogènes. La corrélation géographique entre le niveau du radon dans l’air intérieur et le risque de LNH, observée uniquement dans la population féminine, particulièrement chez les enfants et adolescentes, est en revanche inattendue. Cette relation doit être recherchée dans des études de type analytique, l’approche écologique ne permettant pas d’examiner la causalité.

Une analyse récente dans la cohorte prospective états-unienne CPS II (Cancer Prevention Study II) [1] a montré une augmentation du risque d’hémopathies malignes du tissu lymphoïde en lien avec l’exposition résidentielle au radon chez les femmes seulement. L’effet estimé était compatible avec le résultat de cette étude, et les hypothèses avancées pour expliquer l’influence du sexe pourraient également s’appliquer à la population coréenne (présence au domicile plus importante des femmes et exposition professionnelle à des facteurs cancérogènes plus importante des hommes, réduisant la contribution relative du radon domestique).


 

Commentaire

Ces trois articles [1-3] s’intéressent aux effets d’expositions à des rayonnements qui concernent l’ensemble de la population : le radon et les UV. L’impact de ces expositions sur la santé publique peut dès lors être important, et appeler à des politiques solides de prévention.

Les études de Demoury et al. et Vienneau et al. sont d’une qualité remarquable, c’est de la fort belle épidémiologie : la méthodologie mise en œuvre est sophistiquée et pertinente, les facteurs de confusion connus et possibles sont pris en compte en grand détail, des analyses de sensibilité permettent de tester l’influence de variables à distribution spécifique. Ces études représentent un très gros effort pour s’assurer que la puissance statistique est au rendez-vous. Elles bénéficient aussi de la relative simplicité, par comparaison avec des expositions à d’autres agents nocifs, de l’estimation des doses reçues. Les résultats sont cohérents avec les données déjà produites, en particulier une sensibilité aux effets des rayonnements ionisants décroissante avec l’âge atteint, retrouvée dans l’étude de Vienneau et al.

L’étude de Demoury et al. a pour résultat principal de quantifier l’effet sur les leucémies de l’enfant de l’exposition au radon et aux rayonnement gamma du bruit de fond, d’origine cosmique et tellurique. Cet effet est au pire très limité mais il serait à ce stade tout à fait prématuré de conclure à un seuil de dose pour le risque de leucémie radio-induite !

L’étude de Ha et al. est moins convaincante, en particulier en raison d’une estimation imprécise des doses reçues. Elle a cependant le mérite d’explorer le rôle possible du radon dans l’étiologie du lymphome non hodgkinien, alors que la croissance de l’incidence de ce cancer reste largement inexpliquée.

Il apparaît (Vienneau et al.) que le radon, cancérogène broncho-pulmonaire établi depuis le milieu des années 1990, semble aussi être un cancérogène cutané à effet indépendant des UV, avec un excès de risque loin d’être négligeable (de l’ordre de 10-15%) pour la mortalité par mélanome malin.

Ces études renforcent la nécessité de législation ou de réglementation pour contrôler le radon dans les habitations en France. De telles dispositions n’existent toujours pas, alors que c’est le cas dans la plupart des pays développés, par exemple en Suisse depuis 1994…

Denis Bard

1. Vienneau D, de Hoogh K, Hauri D, et al. Effects of radon and UV exposure on skin cancer mortality in Switzerland. Environ Health Perspect 2017; 125: 067009.

2. Demoury C, Marquant F, Ielsch G, et al. Residential exposure to natural background radiation and risk of childhood acute leukemia in France, 1990-2009. Environ Health Perspect 2017; 125: 714-20.

3. Ha M, Hwang S, Kang S, Park N, Chang B, Kim Y. Geographical correlations between indoor radon concentration and risks of lung cancer, non-Hodgkin's lymphoma, and leukemia during 1999-2008 in Korea. Int J Environ Res Public Health 2017; 14: 344.


 

 

  • [1] Environ Risque Sante 2016; 15: 473-5. doi: 10.1684/ers.2016.0928.

Publication analysée :

* Ha M1, Hwang S, Kang S, Park N, Chang B, Kim Y. Geographical correlations between indoor radon concentration and risks of lung cancer, non-Hodgkin's lymphoma, and leukemia during 1999-2008 in Korea. Int J Environ Res Public Health 2017; 14: 344. doi: 10.3390/ijerph14040344

1 Department of Preventive Medicine, Dankook University College of Medicine, Cheonan, Corée.