Contaminants

Perturbateurs endocriniens

Elisabeth Gnansia

Présidente de la Société francophone de santé environnement (SFSE)
Retraitée de l'Anses
(Agence nationale de sécurité sanitaire, de l'alimentation et du travail)
Paris

Volume 20, numéro 2, Mars-Avril 2021

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ANALYSE D'ARTICLE

Nouvelles perspectives sur les mécanismes
de perturbation endocrinienne par les produits chimiques
dans les maladies de la thyroïde : la voie épigénétique

La préservation de l’homéostasie du système thyroïdien est essentielle pour le développement harmonieux du fœtus, mais aussi pour le maintien du bien-être psychologique et physiologique des individus après la naissance. De nombreuses études ont exploré le rôle de différentes catégories de toxiques dans l’apparition et la gravité des maladies de la thyroïde, mais les grandes études épidémiologiques sont limitées et seuls quelques travaux expérimentaux (in vivo et in vitro) ont tenté d’identifier des mécanismes d’action. Les mécanismes épigénétiques sont exposés dans cette revue de la littérature. Il s’agit d’altérations de la fonction des gènes, qui sont héréditaires mais réversibles et n’entraînent pas de modification de la séquence nucléotidique. C’est un terme général qui définit différents processus, dont la méthylation de l’ADN, la modification de la queue des histones, et les ARN non codants.

Perturbateurs de la fonction thyroïdienne et développement fœtal

Le fœtus dépend exclusivement des hormones thyroïdiennes (HT)maternelles, puisque la thyroïde ne commence à être fonctionnelle chez le fœtus qu’autour de 16-20 semaines, pour atteindre son fonctionnement normal que peu avant la naissance. Ainsi, l’homéostasie fœtale dépend du transport actif des HT maternelles (principalement la thyroxine [T4]), et en cas d’exposition maternelle à des composés susceptibles de perturber le fonctionnement thyroïdien (pesticides organochlorés, éthers diphényliques polybromés [PBDE] ou biphényles polychlorés [PCB]) il semble que les xénobiotiques pourraient agir chez la mère et le fœtus par des mécanismes épigénétiques : on a montré une association entre exposition prénatale à certains polluants organiques persistants (POP) et la méthylation de trois gènes codants pour des protéines cruciales pour le transport transplacentaire d’HT. Ces résultats vont dans le même sens que des recherches antérieures, qui ont montré une relation négative significative entre les concentrations de POP dans le sang du cordon ou le sang maternel et le taux d’HT chez le nouveau-né, alors qu’une association positive significative a été observée lors d’études utilisant la TSH (thyroid-stimulating hormone) des buvards de dépistage de l’hypothyroïdie.

Polluants et cancers de la thyroïde

Le cancer de la thyroïde est le cancer endocrinien le plus fréquent, et son incidence augmente partout dans le monde. Même si l’augmentation d’incidence peut en partie être attribuée aux progrès de l’imagerie qui permet d’identifier même les petits nodules, les produits chimiques de l’environnement jouent probablement un rôle crucial. Les preuves épidémiologiques manquent cependant, et même pour les PCB, qui ont été le plus largement étudiés, les résultats sont contradictoires. Le cadmium, le plomb, les retardateurs de flamme tels que les PBDE sont aussi des facteurs de risque évoqués expérimentalement, mais à ce jour pas prouvés pour l’espèce humaine. Le bisphénol A (BPA) a été associé à un risque accru de nodules thyroïdiens, ce qui confirme les résultats expérimentaux. Le soufre et le sélénium pourraient être responsables de l’incidence plus élevée dans les zones volcaniques. La pollution de l’eau par les nitrates utilisés comme engrais et particulièrement présents en zones agricoles est aussi un facteur de risque reconnu de cancer de la thyroïde.

L’homologie de structure entre certaines substances toxiques, comme les PBDE ou le BPA et les HT, suggère que ces polluants se lient de manière compétitive aux récepteurs des HT, ce qui entraîne une réduction de la circulation des HT et une prolifération anormale du tissu thyroïdien, et à terme le développement tumoral. Pesticides, nitrates et benzène semblent augmenter la susceptibilité aux ruptures chromosomiques. Les nitrates pourraient être cancérogènes par surproduction d’oxyde nitrique, connu pour favoriser l’instabilité génomique. Enfin, les nitrates pourraient interférer avec l’absorption des sels d’iode par la thyroïde et, par conséquent, avec la production d’HT. On a montré que des changements épigénétiques, tels qu’une méthylation aberrante ou la modification d’ARN non codants ou des proto-oncogènes, pouvaient être corrélés à des cancers thyroïdiens chez des individus sensibles. D’autres mécanismes tels que la dysrégulation du cytochrome P450 et le stress oxydant sont évoqués pour expliquer l’effet cancérogène des PBDE et des hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP).

Polluants environnementaux et thyroïdites auto-immunes

La thyroïdite de Hashimoto et la maladie de Basedow sont les formes les plus courantes de maladies auto-immunes de la thyroïde. Elles sont les archétypes de l’auto-immunité spécifique à un organe ; leur étiologie est encore mal connue. Une susceptibilité génétique a été démontrée en particulier avec un taux de concordance élevé sur des cohortes de jumelles.

Une prévalence plus élevée de ces maladies a été signalée chez des travailleurs d’une usine produisant des biphényles polyhalogénés, et d’autres études ont montré que les PBDE, mais aussi les métaux lourds, sont des facteurs de risque, les femmes étant beaucoup plus souvent atteintes.

Les mécanismes épigénétiques sont aussi impliqués dans les maladies auto-immunes, comme l’a montré l’inhibition chimique de la méthylation de l’ADN dans les cellules T CD4+ de la souris. Les altérations de la méthylation de l’ADN et les micro-ARN interviennent non seulement comme facteurs de risque de ces maladies, mais aussi dans la réponse aux traitements.

Commentaire

Cette revue très complète de la littérature confirme que les modifications épigénétiques sont l’un des mécanismes d’action des perturbateurs endocriniens. À ce jour, on n’a pas démontré d’association entre une maladie thyroïdienne spécifique et une modification épigénétique. Le nombre d’études est encore trop limité, qu’il s’agisse d’études épidémiologiques ou de modèles animaux, et la multiplicité des rôles des HT rend les études très complexes à réaliser.


Publication analysée :

* Pitto L, Gorini F, Bianchi F, Guzzolino E. New insights into mechanisms of endocrine-disrupting chemicals in thyroid diseases: the epigenetic way. Int J Environ Res Public Health 2020 ; 17 : 7787. Doi : 10.3390/ijerph17217787.