Milieu de vie

Pollution atmosphérique

Gaëlle Guillossou, Yelva Roustan

(1) Ingénieure de recherche
Evaluatrice de risques en santé environnement et santé au travail
EDF, Paris

(2) Chercheur au CEREA
Centre d'enseignement et de recherche
en environnement atmosphérique

Volume 20, numéro 3, Mai-Juin 2021

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ANALYSE D'ARTICLE

Particules en suspension dans l’air :
une estimation du fardeau sanitaire deux fois plus importante
que les précédentes pour les PM2,5 issues de la combustion des énergies fossiles

En 2014, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) indiquait que la pollution atmosphérique était responsable annuellement de 7 millions de décès à travers le monde [1]. En 2015, les travaux du Global Burden of Disease précisaient que 4,2 millions de décès (soit 7,6 % du total des décès dans le monde) et 103,1 millions d’années de vie corrigées de l’incapacité (DALY) étaient chaque année attribuables aux particules fines PM2,5 [2].

Une étude récente [3] indique, quant à elle, que les seules PM2,5 issues spécifiquement des sources de combustion d’énergies fossiles seraient responsables à travers le monde, chaque année, de 10,2 millions de décès anticipés, soit plus du double des résultats précédents. L’Asie, mais aussi les États-Unis et l’Europe, subissent les plus forts impacts.

Résumé

Le 9 février était publié en pre-proof dans la revue Environmental Research, l’article « Global mortality from outdoor fine particle pollution generated by fossil fuel combustion : Results from GEOS-Chem » de Vohra et al.

Ses auteurs (universités de Birmingham et de Leicester au Royaume-Uni, et de Harvard, Boston, États-Unis) ont modélisé la mortalité anticipée, sur les différents continents, ainsi que la mortalité due aux infections des voies respiratoires inférieures chez les enfants de moins de 5 ans (continents américain et européen), associées à l’exposition aux PM2,5 issues spécifiquement de la combustion de combustibles fossiles.

Les concentrations d’exposition utilisées sont issues du modèle de chimie transport GEOS-Chem, intégrant les émissions (pour l’année 2012) des secteurs de la production d’énergie, des transports, de l’extraction du gaz et du pétrole.

Les données sanitaires intégraient les résultats d’une méta-analyse [4] de 2018 incorporant des études plus récentes, portant sur une plus large gamme de concentrations d’exposition à travers les différents continents, et proposant une fonction exposition/réponse non linéaire : pente plus marquée aux faibles doses d’exposition, et diminution de celle-ci aux fortes doses.

Vohra et al. estiment ainsi à 10,2 millions (IC 95 % : -47,1 à 17,0) le nombre de décès anticipés annuellement attribuables aux PM2,5 issues de la combustion de combustibles fossiles. L’Asie (Chine : 3,9 millions de décès anticipés ; l’Inde : 2,5 millions ; Asie du Sud-Est), l’Est des États-Unis puis l’Europe sont les régions de plus fort impact. Concernant spécifiquement les décès annuels excédentaires pour infections des voies respiratoires inférieures chez les enfants de moins de 5 ans, ils sont estimés selon cette même méthodologie à 876 en Amérique du Nord, 747 en Amérique du Sud et 605 en Europe.

Commentaire

Le fardeau sanitaire présenté est plus que doublé par rapport aux résultats précédents d’un grand nombre d’études de référence publiées sur l’impact sanitaire des particules fines [2, 5], alors qu’il ne porte que sur une fraction d’entre elles, celles issues uniquement de la combustion de combustibles fossiles.

Les auteurs expliquent cela grâce à la méta-analyse d’études épidémiologiques plus récentes, couvrant une gamme de concentrations d’exposition aux particules fines plus étendue qu’auparavant : mortalité toutes causes dues à l’exposition chronique à des concentrations de PM2,5 inférieures à 10 μg/m3 (Amérique du Nord, Europe), et jusqu’à plus de 40 μg/m3 en Asie. On peut toutefois s’étonner de l’intervalle de confiance indiqué (IC 95 % : -47,1 à 17,0) présentant des valeurs de mortalité négatives...

La tranche d’âge de population prise en compte (14 à 64 ans pour la mortalité globale, et les moins de 5 ans pour la mortalité par infection des voies respiratoires inférieures), également plus vaste, augmente notablement les effectifs de population considérés, notamment dans les pays d’Asie très peuplés et ceux d’Afrique, où la population est majoritairement jeune (près de 65 % de la population a moins de 25 ans). Le fardeau sanitaire global en est donc mathématiquement augmenté.

La relation dose-réponse non linéaire utilisée,issue des travaux de Vodonos et al. de 2018 [4], semble expliquer une large partie de la différence avec les études précédentes. Une comparaison réalisée avec une estimation basée sur une précédente relation dose-réponse (Global Exposure Mortality Model) ramène l’estimation à 6,7 millions (IC 95 % : 5,3 à 8,0).

Il est à noter que cette relation porte sur les particules fines dans leur ensemble, quelle que soit leur source (transports, agriculture, production d’énergie, etc.), leur origine (naturelle, anthropique, primaire et secondaire), et leur composition (carbone élémentaire, organique, pollen, etc).

Elle a ensuite été appliquée aux concentrations d’exposition aux particules fines issues spécifiquement de la combustion d’énergies fossiles.

Or, ces particules de combustion présentent une composition particulière, riche en hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), black carbon, métaux de transition, quinones, sulfates, etc. Elles ont donc a priori une toxicité propre.

L’utilisation d’une relation dose-réponse spécifique des PM2,5 issues de sources fossiles aurait donc été plus appropriée.

Par ailleurs, les sources de combustion fossiles émettent bon nombre d’autres polluants (dioxyde de soufre [SO2], oxyde d’azote [NOX], monoxyde de carbone [CO], composés organiques volatils [COV], HAP, métaux, etc.) dont la toxicité, bien documentée, pourrait influencer celle des particules.

Aux fortes doses,les auteurs indiquent que la relation dose-réponse utilisée résulte d’un grand nombre d’études conduites en Asie, où la pollution de l’air est bien supérieure à celle des pays occidentaux (plus forte proportion d’industries émettrices de PM2,5). Elle est donc bien plus spécifique et réaliste des effets sanitaires de ces forts niveaux d’exposition aux particules fines issues de sources fossiles, très employées en Asie.

Les concentrations d’exposition utilisées reposent exclusivement sur un modèle de chimie transport contrairement à des études précédentes qui s’appuyaient sur des estimations hybrides mélangeant des informations provenant de réseaux d’observation in situ (plutôt fiables mais parcellaires), de satellites et de modèles (ayant des couvertures globales mais incorporant des incertitudes nettement plus importantes).

Ce choix réalisé permet d’isoler les émissions liées à la combustion des énergies fossiles et ainsi d’estimer la « contribution » de ces émissions. Néanmoins, les incertitudes associées aux concentrations modélisées, d’origine diverses (cadastres d’émissions utilisés, représentativité spatiale, etc.) peuvent être importantes. Les résultats du modèle semblent, par exemple, surestimer d’environ 30 % les concentrations observées en Europe. C’est un « score » raisonnable pour ce type d’outil, mais à bien considérer dans une comparaison avec une méthodologie reposant sur une estimation des concentrations de nature différente.

En conclusion

Cette nouvelle publication est intéressante car elle se base sur des données récentes et intègre de nouveaux paramètres. Elle évalue un fardeau sanitaire deux fois plus important que les estimations précédentes, pour tous les continents.

Elle pointe du doigt des sources de pollution bien identifiées, sur lesquelles des actions sont déjà engagées.

La France, par exemple, a mis en place le Plan climat en 2017 et sa Stratégie nationale bas carbone (SNBC), qui prévoient notamment une prime à la transition pour remplacer les vieux véhicules, la Loi de transition énergétique en 2015, et la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PEE) en octobre 2016, qui prévoit l’arrêt des moyens de production d’énergie au charbon d’ici 2022.

Au niveau européen, le Green Deal prévoit un mix énergétique à 20 % d’origine renouvelable. La Banque européenne d’investissement finançant les 28 États membres de l’Union européenne cessera de financer de nouveaux projets liés aux énergies fossiles à partir de 2022. Les transports électriques connaissent un essor sans précédent.

La Chine, qui mène également une politique de réduction de la pollution atmosphérique en voit également les bénéfices : ces dernières années, la surmortalité liée à l’exposition aux particules fines a fortement diminué suite aux mesures mises en place pour améliorer la qualité de l’air.

L’étude de Vohra et al. indique ainsi une baisse de 30 à 50 % des concentrations moyennes annuelles des PM2,5 dans tout le pays grâce aux mesures d’atténuation strictes mises en place. Le nombre de décès prématurés estimés, liés aux particules fines, est ainsi passé de 3,91 millions en 2013 à 2,36 millions en 2018. L’Inde a également engagé un strict contrôle des émissions d’origine fossile.

L’ensemble de ces initiatives, de ces politiques de contrôle et de réduction des pollutions d’origine fossile générera des bénéfices tant en termes de changement climatique (réduction des émissions de CO2 et autres gaz à effets de serre) que de santé.

  • [1] Ambient air pollution:A global assessment of exposure and burden of disease. Geneva: WHO; 2016. World Health Organization
  • [2] Cohen A.J., Brauer M., Burnett R. Estimates and 25-year trends of the global burden of disease attributable to ambient air pollution: an analysis of data from the Global Burden of Diseases Study 2015. Lancet. 2017;389:1907-1918. 10082
  • [3] Vohra K., Vodonos A., Schwarts J. Global mortality from outdoor fine particle pollution generated by fossil fuel combustion: Results from GEOS-Chem. Environ Res. 2021;195:110754.
  • [4] Vodonos A., Awad Y.A., Schwartz J. The concentration-response between long-term PM() exposure and mortality; A meta-regression approach. Environ Res. 2018;166:677-689. 2.5
  • [5] Apte J.S., Marshall J.D., Cohen A.J., Brauer M. Addressing global mortality from ambient PM. Environ Sci Technol. 2015;49:8057-8066. 2.513

Publication analysée :

* Vohra K, Vodonos A, Schwartz J, Marais EA, Sulprizio MP, Mickley LJ. Global mortality from outdoor fine particle pollution generated by fossil fuel combustion : Results from GEOS-Chem. Environmental Research 2021 ; 195 : 110754. Doi : 10.1016/j.envres.2021.110754