ANALYSE D'ARTICLE

Pollution de l’air, pression artérielle et AVC : analyse des données de cohortes européennes dans le cadre du projet ESCAPE

Deux nouvelles méta-analyses des données de cohortes participant à ESCAPE (European Study of Cohorts for Air Pollution Effects) viennent enrichir les connaissances relatives aux effets de l’exposition à la pollution atmosphérique sur les accidents vasculaires cérébraux (AVC) et la pression artérielle. Les résultats de la première renforcent la suspicion d’une nocivité des particules fines même à des niveaux de concentration inférieurs à la valeur limite européenne, et ceux de la seconde suggèrent qu’une exposition importante au trafic routier augmente la pression artérielle.

Two new meta-analyses of data from cohorts taking part in ESCAPE (European Study of Cohorts for Air Pollution Effects) provide further knowledge of the effects of exposure to air pollution on strokes and blood pressure. The results of the first reinforce the suspicion that fi ne particles are harmful even at concentration lower than the European limits, and those of the second suggest that high exposure to road traffic increases blood pressure.

Les travaux épidémiologiques traitant de la relation entre l’exposition à long terme à la pollution atmosphérique et le risque d’AVC sont encore rares et peu concluants. Il en est de même pour les effets de la pollution sur la pression artérielle et le risque d’hypertension (HTA), d’où l’intérêt de ces deux analyses dans une vaste population européenne.

 

Estimation de l’exposition

Le protocole commun à toutes les zones de l’étude ESCAPE comportait la détermination préalable des concentrations annuelles moyennes de particules en suspension (PM2,5 et PM10, permettant de calculer la fraction grossière PM2,5-10), d’oxydes d’azote (NOx) et de dioxyde d’azote (NO2) à partir de mesures réalisées entre octobre 2008 et avril 2011 selon les zones. Ces données et celles de systèmes d’informations géographiques paneuropéens et locaux ont été utilisées pour développer des modèles prédictifs tenant compte de l’utilisation des sols (land-use regression [LUR] models) spécifiques à chaque zone. L’exposition individuelle a été estimée sur la base de l’adresse de chaque participant au moment de son entrée dans la cohorte. Deux indicateurs d’exposition au trafic routier ont par ailleurs été créés : l’intensité et la charge du trafic. L’intensité se référait au nombre de véhicules motorisés (quel qu’en soit le type) passant chaque jour sur la route la plus proche du domicile. La charge était le produit de l’intensité du trafic sur toutes les routes importantes (plus de 5 000 véhicules/jour) situées dans un rayon de 100 mètres autour du domicile par la longueur de ces voies dans le périmètre.

 

Analyse du risque d’AVC

Les données de 11 cohortes mises en place en Finlande, Suède, Danemark, Allemagne et Italie ont été utilisées pour cette analyse longitudinale #. Les participants (111 931 au total) avaient été enrôlés entre 1992 et 2007 et suivis jusqu’en 2006 à 2010. Après exclusion des sujets présentant une maladie cérébrovasculaire ou une coronaropathie à l’entrée, ainsi que des participants pour lesquels toutes les informations nécessaires n’étaient pas réunies, la population analysable s’élevait à 99 446 sujets, parmi lesquels 3 086 avaient fait un AVC au cours du suivi (seuls les premiers accidents ont été pris en compte).

Les auteurs ont d’abord examiné les associations entre le risque d’AVC et l’exposition à la pollution et au trafic dans chaque cohorte, puis des méta-analyses ont été réalisées en utilisant des modèles à effets aléatoires. Les covariables contrôlées (modèle complet) étaient l’âge, l’année d’entrée dans la cohorte, le sexe, le statut marital et professionnel, le niveau d’études, le tabagisme (statut actuel, nombre d’années pour les fumeurs et ex-fumeurs, et nombre de cigarettes par jour pour les actuels fumeurs), ainsi qu’un jeu de variables socio-économiques à l’échelon de la zone étudiée (revenu moyen, indice de défaveur et taux de chômage).

Aucune relation statistiquement significative n’est mise en évidence dans l’analyse principale. L’effet le plus marqué est celui de l’exposition aux PM2,5 : une augmentation de 5 μg/m3 de leur concentration atmosphérique est associée à une augmentation de 19 % du risque d’AVC (hazard ratio [HR] = 1,19 [IC95 = 0,88-1,62]). Ce résultat n’est pas modifié par un ajustement supplémentaire sur les facteurs de risque cardiovasculaires (diabète, HTA, activité physique, consommation d’alcool, indice de masse corporelle [IMC] et taux de cholestérol) : HR = 1,91 (0,96-3,82) dans la sous-population des 24 948 sujets avec informations disponibles. Il apparaît également robuste à l’ajustement supplémentaire sur l’exposition au bruit et le degré d’urbanisation, ainsi qu’à différentes analyses de sensibilité (dont une excluant la cohorte danoise la plus influente par son importance et une autre restreinte aux sujets n’ayant pas déménagé au cours du suivi).

Des effets modificateurs de l’âge et du tabagisme sont observés. L’association entre l’exposition aux PM2,5 et le risque d’AVC devient ainsi significative dans la population âgée de plus de 60 ans (HR = 1,40 [1,05-1,87] pour une augmentation de 5 μg/m3) et chez les sujets n’ayant jamais fumé (HR = 1,74 [1,06-2,88]).

Les auteurs ont examiné la relation pour des niveaux de concentration des PM2,5 inférieurs à la limite donnée par la directive européenne sur la qualité de l’air (moyenne annuelle : 25 μg/m3). Des modèles à seuils ont été utilisés et trois valeurs seuils ont été défi nies : 15, 20 et 25 μg/m3. Les niveaux d’exposition étaient trop élevés dans les trois cohortes italiennes et l’une des deux cohortes allemandes, qui ont été exclues de l’analyse. Dans la population restante (n = 73 446), incluant des sujets dans la catégorie d’exposition la plus basse, une augmentation de 5 μg/m3 des PM2,5 est associée à une augmentation de 33 % du risque d’AVC (HR = 1,33 [1,01-1,77]).

 

Effets de l’exposition sur la pression artérielle

Cette analyse transversale des effets de l’exposition à la pollution sur la pression artérielle# a inclus les données de 13 cohortes constituées en Finlande, Norvège, Suède, Pays-Bas, Allemagne, Suisse et Espagne, incluant un total de 113 926 participants. La pression artérielle (PA) avait été mesurée en position assise à au moins deux reprises à deux minutes d’intervalle dans toutes les cohortes sauf une dans laquelle une seule mesure avait été effectuée. L’hypertension artérielle (HTA) était défi nie par une PA systolique (PAS) ≥ 140 mmHg, une PA diastolique (PAD) ≥ 90 mmHg, ou la prise d’un traitement antihypertenseur. Elle concernait 36 % de la population. Les effets de l’exposition à la pollution sur la PA ont été évalués séparément chez les participants prenant un traitement (13,1 % de la population) et ceux qui n’étaient pas traités.

Comme dans le précédent travail, les auteurs ont procédé à des analyses individuelles, cohorte par cohorte, avant de pratiquer des méta-analyses à l’aide de modèles à effets aléatoires. Le modèle complet incluait l’âge, le sexe, l’IMC, le statut tabagique actuel et le nombre de paquets-années, l’exposition au tabagisme passif, la consommation d’alcool, le niveau d’activité physique, le niveau d’études et le statut professionnel (en activité, chômeur, au foyer, retraité).

La PAS et la PAD tendent à augmenter avec l’augmentation de l’exposition aux particules mais aucune association n’est statistiquement significative. Une augmentation de 5 μg/m3 de la concentration atmosphérique des PM2,5 est ainsi associée à une augmentation de la PAS de 0,98 mmHg (IC95 = - 0,35- 2,31) chez les participants prenant un traitement antihypertenseur et de 0,20 mmHg (IC95 = - 0,76-1,16) chez les participants n’en prenant pas. Une tendance inverse est observée entre l’exposition aux oxydes d’azote et la PAS (- 0,29 mmHg [- 0,70-0,12] pour une augmentation de 10 μg/m3 de la concentration atmosphérique des NO2 dans la population non traitée).

Les effets de l’exposition au trafic sont plus clairs que ceux de l’exposition aux polluants. Une association est ainsi identifiée entre la charge du trafic dans un rayon de 100 mètres autour du domicile et la PA, uniquement dans la population non traitée : la PAS et la PAD augmentent

respectivement de 0,35 (0,02-0,68) et 0,22 (0,04-0,40) mmHg par incrément de 4 x 106 véhicules x m/jour. L’odds ratio d’HTA est égal à 1,05 (IC95 = 0,99-1,11). Ces résultats résistent à un ajustement supplémentaire sur les niveaux des différents polluants mesurés, le niveau socio-économique du quartier et l’intensité du bruit lié au trafic (estimations en façade de la résidence). Ils amènent à évoquer un effet de polluants directement émis par les véhicules, comme les particules ultrafines, pour lesquels l’exposition n’a pas été modélisée.

Laurence Nicolle-Mir


Publications analysées :

Staffogia M1, Cesaroni J, Peters A, et al. Long-term exposure to ambiant air pollution and incidence of cerebrovascular events: results from 11 European cohorts within the ESCAPE Project. Environ Health Perspect 2014; 122: 919-25.

doi: 10.1289/ehp.1307301

 1 Department of Epidemiology, Lazio Regional Health Service, Rome, Italie.

 

Fuks KB1, Weinmayr G, Foraster M, et al. Arterial blood pressure and long-term exposure to traffi c-related air pollution: an analysis in the European study of cohorts for air pollution effects (ESCAPE). Environ Health Perspect 2014; 122: 896-905.

doi: 10.1289/ehp.1307725

1 IUF – Leibniz Research Institute for Environmental Medicine, Düsseldorf, Allemagne.