Milieu de vie

Pollution atmosphérique

Agnès Lefranc

Bureau de la santé environnementale et de l’hygiène
Paris

Volume 19, numéro 6, Novembre-Décembre 2020

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ANALYSE D'ARTICLE

Proximité aux industries pétrochimiques et hémopathies malignes : revue systématique et méta-analyses des études épidémiologiques disponibles

Une revue systématique des études épidémiologiques publiées concernant l’incidence des hémopathies malignes au sein des populations demeurant à proximité de sites industriels pétrochimiques a été effectuée. Tant le type de sites pris en compte, que les critères d’inclusion et d’exclusion des études retenues font l’objet d’une description précise et se réfèrent à des méthodes et grilles de lecture validées par ailleurs. Sur cette base, 16 études (de type cas-témoins et cohortes, les études écologiques ayant été exclues de l’analyse) ont été identifiées, portant sur des périodes entre 1960 et 2011, et dont 12 comprennent des données relatives aux leucémies (neuf comprennent des données relatives aux lymphomes hodgkiniens, neuf comprennent des données relatives aux lymphomes non-hodgkiniens et trois comprennent des données relatives aux myélomes multiples). Pour chaque étude, la qualité (par rapport au risque de biais notamment) a été évaluée au moyen d’une échelle validée. Pour chaque type d’hémopathie, une méta-analyse a été conduite à partir des données des études identifiées. Les méta-analyses réalisées permettaient notamment un contrôle sur la qualité des études ainsi évaluée, lorsqu’une hétérogénéité était observée entre les résultats des études en lien avec ce paramètre.

Les résultats des méta-analyses indiquent que :

  • le risque relatif (RR) combiné de survenue de leucémies dans les populations demeurant à proximité des industries pétrochimiques (définies comme les personnes domiciliées à moins de 5 km d’une telle industrie) est de 1,30 (intervalle de confiance à 95 % : [1,09 ; 1,55]). Après contrôle sur les modalités d’inclusion des participants dans les différentes études, le RR combiné estimé était de 1,58 pour les études présentant un haut niveau de qualité pour ce critère. Lorsque la période de collecte des données était prise en compte dans la méta-analyse, le RR combiné était plus élevé pour la période la plus récente (1,88 en 2011, contre 1,38 en 1971). Cette tendance n’est, selon les auteurs, par interprétable, mais plaide en faveur d’une absence de diminution du risque pour les populations demeurant à proximité des industries pétrochimiques malgré l’adoption, au cours du temps, de réglementations de plus en plus strictes concernant leurs émissions ;
  • le RR combiné de survenue de lymphome non-hodgkinien dans les populations demeurant à proximité des industries pétrochimiques (définies comme les personnes domiciliées à moins de 7,5 km d’une telle industrie) est de 1,06 (intervalle de confiance à 95 % : [0,97 ; 1,17]) ;
  • les résultats concernant les lymphomes hodgkinien indiquent l’existence probable d’un biais de publication. Le RR combiné estimé est proche de 1 (1,06, intervalle de confiance à 95 % : [0,81 ; 1,30]) ;
  • aucun lien clair n’a été identifié pour la survenue de myélomes multiples (RR combiné = 0,97 ; intervalle de confiance à 95 % : [0,78 ; 1,20].

Au vu des données disponibles par ailleurs concernant la plausibilité d’un lien causal entre les expositions aux polluants émis par les industries pétrochimiques et la survenue de leucémies, les auteurs ont conduit une évaluation du nombre de cas de cette maladie attribuable aux émissions des industries pétrochimiques dans une zone de la Louisiane (États-Unis, zone située le long du Mississipi entre Bâton-Rouge et la Nouvelle-Orléans) où ces industries sont massivement présentes, en se fondant sur le RR combiné estimé pour cette pathologie. Au sein de cette zone, environ 188 075 personnes résident à moins de 5 km d’une industrie pétrochimique qualifiée comme « très polluante » (dont les émissions entre 2011 et 2015 dépassent la médiane des émissions constatées en 1987 parmi l’ensemble des industries pétrochimiques états-uniennes). Il a été estimé qu’au sein de cette population, 58,7 nouveaux cas de leucémie pourraient être attribuables à l’industrie pétrochimique au cours de la période 2011-2015.

Commentaire

La revue de la littérature et les méta-analyses décrites dans cet article sont extrêmement rigoureuses et transparentes dans leur présentation. Les différentes sources de biais possibles sont largement explorées à chaque étape (sélection des études, sélection des données incluses dans la méta-analyse pour chaque étude, etc.). Le sur-risque de 30 % estimé pour la survenue de leucémies au sein des populations demeurant à moins de 5 km d’une industrie pétrochimique est cohérent avec les données épidémiologiques disponibles par ailleurs, ainsi qu’avec les connaissances concernant la toxicité des polluants émis par ces industries. Les auteurs discutent les limites de leur analyse, en particulier au regard des modalités d’évaluation des expositions dans les différentes études prises en compte. Toutes se fondent en effet sur la distance à l’industrie susceptible d’être la source de polluants, et seules deux recourent à des évaluations plus précises des niveaux d’exposition. Au-delà de ces limites présentées par les auteurs, cela entraîne de fait tout au long de l’article une identification implicite entre « émissions » et « émissions dans l’air ». Les autres contaminations possibles (eau ou sols, par exemple) par les polluants émis par les industries pétrochimiques ne sont ainsi pas du tout discutées, alors même que la distribution géographique de ces contaminations éventuelles peut s’écarter largement d’une distribution concentrique autour du site émetteur.

Le recours à une évaluation du nombre de cas attribuables dans le cas particulier des industries localisées le long du Mississipi (zone parfois dénommée « Cancer Alley ») semble légitime au regard des données concernant la plausibilité de la causalité de la relation entre proximité du domicile aux industries pétrochimique, et risque accru de survenue de leucémie. Toutefois, aurait été souhaitable une discussion plus approfondie des incertitudes afférentes à l’estimation fournie (au-delà de la seule mention d’un intervalle de confiance à 95 % découlant du seul intervalle de confiance entourant l’estimation du RR issue de la méta-analyse, et rendant donc compte de façon tout à fait incomplète des autres sources d’incertitudes s’accumulant au long de la démarche de calcul du nombre de cas attribuables).

Enfin, la présence en France dans certaines zones d’importants complexes pétrochimiques, et les inquiétudes sanitaires qu’elle peut susciter, a donné lieu à la réalisation d’études épidémiologiques, notamment écologiques, dont aucune n’a été incluse dans la méta-analyse ici décrite. Ces études, et celles éventuellement à venir, pourront toutefois bénéficier de l’éclairage apporté par cette méta-analyse pour l’interprétation de leurs résultats.


Publication analysée :

* Jephcote C, Brown D, Verbeek T, Mah A. A systematic review and meta-analysis of haematological malignancies in residents living near petrochemical facilities. Environmental Health 2020 ; 19 : 53. doi : 10.1186/s12940-020-00582-1