ANALYSE D'ARTICLE

Que sait-on de la pollution associée à l’exploitation du gaz de schiste ?

Alors que l’activité d’exploitation du gaz de schiste est en plein développement aux États-Unis, cet article fait le point sur les connaissances concernant les émissions polluantes et les voies d’exposition pour les populations vivant à proximité des sites d’exploitation. Tout reste à faire pour évaluer les risques de cette activité pour la santé publique.

At a time when the mining of shale and tight gas by hydraulic fracturing (fracking) is booming in the United States, this article reviews the knowledge concerning pollutant emissions and exposure routes for populations living near fracking sites. Much remains to be done to assess the risks of this activity for public health.

La part du gaz de schiste dans la production de gaz aux États-Unis est passée de 2 % en 2000 à près de 40 % en 2012 et cet essor se poursuit. Il s’accompagne de préoccupations environnementales et sanitaires liées à la méthode d’extraction qui consiste à réaliser des forages horizontaux dans la roche-mère puis à y injecter sous très haute pression un fluide de fracturation composé d’eau, d’un agent de soutènement (généralement du sable) destiné à garder les fissures créées ouvertes et de divers produits chimiques visant à empêcher la corrosion des tubes et la formation de dépôts, et à améliorer les propriétés du fluide (agents réducteurs de frottement, gélifiants, surfactants, etc.). La composition exacte de ce mélange et les quantités d’adjuvants utilisées peuvent être tenues secrètes sous le couvert de l’Energy Policy Act en vigueur depuis 2005, même s’il contient certains produits dont la toxicité est connue (tels que le méthanol, l’éthylène glycol, le naphtalène, le formaldéhyde, le benzène, l’éthylbenzène, le toluène et le xylène [BTEX]), et que leur mélange dans des conditions de pression et de température élevées peut générer des composés secondaires toxiques.

Les effluents qui remontent du puits (dans une proportion variable, le plus souvent estimée autour de 35 % de la quantité injectée) ramènent en plus des éléments provenant de la couche géologique profonde tels que des sels (chlorures, bromures), des métaux lourds (cadmium, plomb, arsenic), des BTEX et éventuellement des radionucléides comme le radium 226. Ces effluents peuvent être stockés dans une cuve puis partiellement traités sur place et rejetés dans les eaux de surface ou utilisés pour l’irrigation de terres agricoles, ou envoyés en totalité par camions citernes vers un centre de traitement des eaux usées. Le trafic de camions citernes qui débarrassent le site d’exploitation de ses rejets s’associe au trafic nécessaire à l’apport de grandes quantités d’eau, de sable et de produits chimiques, générant une pollution atmosphérique.

C’est sur cette partie de la chaîne de production de gaz de schiste, qui commence avec la fourniture des éléments constitutifs du fluide de fracturation et se termine par l’évacuation des eaux usées, que les auteurs de cet article se sont focalisés. L’article rassemble les preuves existantes d’une pollution de l’eau et de l’air, à partir d’une recherche dans la littérature scientifique publiée jusqu’au 1er février 2014, appuyée par la consultation d’autres sources d’informations pertinentes (rapports gouvernementaux, publications des sociétés d’extraction, littérature grise).

 

 

Impacts sur la qualité de l’eau et de l’air

La contamination de l’eau peut être secondaire à des déversements accidentels de fluide de fracturation ou d’effluents en surface, à des fuites dans le système de tubage du puits, aux infiltrations à travers la roche fracturée, à la non-étanchéité des cuves de stockage des eaux usées, ou au rejet dans l’environnement d’eaux contenant encore des résidus de produits chimiques. Beaucoup de composants du fluide de fracturation sont considérés comme des polluants dangereux de l’eau, mais les adjuvants potentiellement perturbateurs endocriniens constituent un sujet de préoccupation particulier. Des données provenant du Colorado indiquent que 37 % des substances utilisées présentent ce profil. L’analyse d’échantillons d’eaux de surface et souterraines collectés dans la zone de l’État où l’activité de production est la plus importante montre que l’eau présente des niveaux d’activité oestrogénique, anti-oestrogénique et anti-androgénique significativement supérieurs à ceux d’une eau prélevée en des sites où l’activité est moindre ou inexistante.

Plusieurs rapports font état d’une contamination de l’eau des puits privés dans les zones exploitées. Ainsi, au Texas, les données de surveillance de la qualité de l’eau montrent que les niveaux de concentration de métaux lourds ont augmenté depuis le début de l’exploitation. En Pennsylvanie, l’analyse d’échantillons d’eau provenant de 141 puits révèle la présence de méthane dans 82 % des cas, à des niveaux de concentration importants pour les puits situés à moins d’1 km d’un site d’exploitation. La dangerosité de ce gaz est liée au risque d’explosion et d’asphyxie en cas de concentrations élevées dans l’air intérieur, mais la toxicité d’une exposition chronique à de faibles doses de méthane dans l’air ou l’eau n’est pas connue. De plus, la présence de méthane témoigne d’une migration d’éléments provenant du puits de gaz dans les aquifères, qui peut inclure d’autres hydrocarbures et différents composés organiques volatils (COV).

Le stockage des eaux usées en surface est un autre sujet de préoccupation, surtout en cas de pratiques visant à promouvoir l’évaporation, qui majorent l’émission de polluants dans l’atmosphère. La littérature indique que l’exploitation d’un puits s’accompagne de l’émission de plusieurs polluants dangereux incluant les BTEX, le formaldéhyde, l’hydrogène sulfuré, l’acrylonitrile, le chlorure de méthylène, des oxydes d’azote (NOx), des COV, des particules diesel et des hydrocarbures aromatiques polycycliques. En fonction des perspectives de développement en Pennsylvanie, l’exploitation du gaz de schiste contribuera, en 2020, à 6 à 20 % des émissions de NOx et à 6 à 31 % des émissions de COV de l’État. Ces deux types de polluants, ainsi que le méthane, étant des précurseurs de l’ozone, un impact important sur les concentrations atmosphériques d’ozone est attendu. L’augmentation des niveaux d’ozone est déjà constatée dans le Wyoming, le Colorado, l’Utah et le Texas. Dans le bassin d’Upper Green River (Wyoming), par exemple, les concentrations d’ozone en hiver, qui étaient comprises entre 30 et 40 parties par milliard (ppb) jusqu’en 2005, ont été mesurées à 140 ppb en février 2008.

 

Quelles conséquences sanitaires ?

L’article met en évidence un manque criant d’études épidémiologiques qui permettraient d’établir des associations entre la contamination de l’eau et la pollution de l’air et des problèmes de santé dans les populations voisines des sites d’exploitation. Il serait particulièrement intéressant d’étudier le retentissement de cette activité sur les femmes enceintes, les jeunes enfants, les personnes âgées et les sujets immunodéprimés. En l’absence d’obligation de déclarer la composition chimique du fluide de fracturation, des programmes de biosurveillance permettraient de mesurer l’exposition des populations à certains composés spécifiques.

Le personnel employé sur les sites devrait également bénéficier d’une surveillance sanitaire, en particulier de l’état de santé respiratoire du fait de l’inhalation de poussières de silice. L’analyse de 111 échantillons d’air collectés sur 11 sites dans cinq États montre que l’exposition aux poussières de silice dépasse la limite recommandée par le National Institute for Occupational Safety and Health dans 68,5 % des cas.

 

Laurence Nicolle-Mir


Publication analysée :

Shonkoff SB1, Hays J, Finkel ML. Environmental public health dimensions of shale and tight gas development. Environ Health Perspect 2014; 122: 787-95.

doi: 10.1289/ehp.1307866

 

1 Department of Environmental Science, Policy, and Management, University of California, Berkeley, États-Unis.