ANALYSE D'ARTICLE

Substances toxiques dans l’air ambiant et tumeurs cérébrales de l’enfant : étude californienne

Selon cette étude dans une population d'enfants de moins de six ans, le risque de tumeurs cérébrales pourrait être augmenté par l'exposition in utero et durant la première année de vie à diverses toxiques du mélange de polluants atmosphériques.

According to this study of a population of children younger than six years, the risk of brain tumors could be increased by exposure, in utero and during the first year of life, to various toxic substances found among air pollutants.

Chez l’enfant, les tumeurs cérébrales sont les tumeurs solides les plus fréquentes et la première cause de décès par cancer. L’astrocytome (gliome) est la plus commune, avec deux pics d’incidence autour de cinq et 13 ans. Le médulloblastome (tumeur embryonnaire) et les autres tumeurs neuroectodermiques primitives (TNEP) dominent au cours des trois premières années de vie, puis leur incidence décline lentement jusqu’à l’âge de cinq ans et rapidement ensuite. Certaines anomalies génétiques augmentent le risque de ces cancers souvent rapidement évolutifs, mais elles expliquent moins de 5 % des cas. En dehors d’une forte exposition aux rayonnements ionisants, aucun facteur de risque environnemental n’a été identifié.

Le mélange de polluants atmosphériques urbain, essentiellement formé par les émissions automobiles et industrielles, contient certaines substances toxiques classées dans les groupes 1, 2A ou 2B par le Centre international de recherche sur le cancer (Circ). La relation entre l’exposition à ces cancérogènes avérés ou suspectés et les tumeurs cérébrales de l’enfant est méconnue. Les quelques études ayant examiné l’impact de la pollution liée au trafic sur le risque de cancer pédiatrique de tout type suggèrent un lien avec la leucémie uniquement.

Cette étude cas-témoins en Californie est la première à avoir investigué la relation entre l’exposition pré- et postnatale aux toxiques atmosphériques et le risque de tumeurs cérébrales spécifiques. Elle fait suite à trois précédentes publications de la même équipe de recherche, qui rapportaient des résultats concernant le neuroblastome, le rétinoblastome et la leucémie infantile[1]. Cette nouvelle analyse s’appuie également sur les données du registre des cancers de Californie et celles de l’Agence chargée de surveiller la qualité de l’air dans cet État (California Air Resources Board [CARB], département de l’Environmental Protection Agency).

Population incluse et polluants examinés

Les auteurs ont sélectionné 106 cas d’astrocytomes, 43 cas de TNEP et 34 cas de médulloblastome diagnostiqués entre 1990 et 2007 chez des enfants de moins de six ans, ainsi que 30 569 enfants dans la population témoin de celle de tous les cas de cancers pédiatriques enregistrés sur cette période (20 témoins par cas appariés selon l’année de naissance). Cette sélection a été opérée sur la base de l’adresse mentionnée sur le certificat de naissance, qui devait être localisée à moins de 5 miles (environ 8 km) d’une des 31 stations du CARB mesurant la concentration de toxiques dans l’air ambiant depuis 1990 (mesure réalisée tous les 12 jours à partir d’un échantillonnage durant 24 heures). Le certificat de naissance devait également mentionner l’âge gestationnel, qui a servi à dater le début de la grossesse.

Après avoir établi une première liste de 42 substances d’intérêt sur la base de la classification du Circ, les auteurs en ont conservé 26 pour lesquelles les données étaient suffisantes : au moins une détermination pour chaque mois de grossesse et pour 20 cas des trois types de tumeur cérébrale. L’exposition moyenne a été calculée pour chaque trimestre de la grossesse, pour sa durée entière et pour la première année de vie de l’enfant. L’effet d’une augmentation d’un intervalle interquartile (IIQ) de la concentration de chaque toxique au cours de ces différentes périodes a été estimé avec des modèles de régression ajustés sur l’année de naissance de l’enfant, l’origine ethnique de la mère, son pays de naissance (États-Unis ou autre), son âge et son niveau d’études. D’autres covariables examinées avaient une influence mineure et n’ont pas été retenues (assurance santé, niveau socio-économique du quartier, urbanisation, parité, sexe de l’enfant et prématurité).

Résultats

Le risque de TNEP apparaît associé à l’exposition pré- et postnatale aux solvants aromatiques (benzène, toluène, éthylbenzène et orthoxylène regroupés sous l’appellation BTEX et 1,3-butadiène), ainsi qu’à deux solvants chlorés (perchloroéthylène et trichloroéthylène), à l’acétaldéhyde et au sélénium. L’estimation la plus forte concerne l’exposition au 1,3-butadiène durant la première année de vie (odds ratio [OR] = 3,15 [IC95 = 1,57-6,32]), et la plus faible l’exposition prénatale au trichloroéthylène (OR = 1,19 [1,07-1,32]). L’analyse par trimestre de grossesse montre que les associations avec le benzène, l’éthylbenzène, l’orthoxylène, le butadiène et le sélénium sont plus marquées pour les deux premiers trimestres. Une analyse factorielle en composantes principales indique que toutes ces substances contribuent à la charge d’un même facteur, leur corrélation qui peut refléter des sources d’émission communes, ne permettant pas de savoir si l’effet observé est dû à une ou plusieurs substance(s) particulière(s) au sein du mélange. Une association avec l’exposition postnatale à l’ortho-dichlorobenzène (principalement généré par la production de pesticides agricoles) est par ailleurs mise en évidence (OR = 3,27 [1,17-9,14]), mais elle apparaît isolée au sein d’un deuxième facteur regroupant des hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP : benzo[k]fluoranthène, benzo[b]fluoranthène, indéno[1,2,3-cd]pyrène, benzo[a]pyrène, dibenzo[a,h]anthracène, benzo[g,h,i]pérylène), le chloroforme, l’ortho- et le para-dichlorobenzène, ainsi que le formaldéhyde.

Le risque de médulloblastome est associé à l’exposition prénatale à tous les HAP, l’OR le plus élevé (1,94 [1,20-3,14]) concernant le benzopérylène. L’augmentation du risque de TNEP liée à l’exposition postnatale aux HAP est de même ordre de grandeur que pour la période prénatale, mais elle reste en deçà du seuil de signification statistique (pour les HAP totaux, l’OR est ainsi égal à 1,48 [0,85-2,57] versus 1,44 [1,15-1,80] pour la période prénatale).

Enfin, l’exposition postnatale à plusieurs HAP augmente légèrement le risque d’astrocytome (OR compris entre 1,05 et 1,20), mais les associations ne sont pas significatives, comme pour le plomb (OR = 1,40 [0,97-2,03]) et l’ortho-dichlorobenzène (OR = 1,42 [0,64-3,16]). Ce cancer pouvant être diagnostiqué tardivement au cours de l’enfance et de l’adolescence, l’arrêt de la période d’observation à l’âge de six ans a pu limiter la puissance de l’étude. D’une manière générale, la recherche épidémiologique dans le champ des tumeurs cérébrales de l’enfant est compliquée par la rareté des cas de chaque type tumoral.

  • [1] Environ Risque Sante. 2015;14:11-12. 1

Publication analysée :

* von Ehrenstein O1, Heck J, Park A, Cockburn M, Escobedo L, Ritz B. In utero and early-life exposure to ambient air toxics and childhood brain tumours: a population-based case-control study. Environ Health Perspect 2016; 124: 1093-9.doi: 10.1289/ehp.1408582

1 Department of Community Health Sciences, Fielding School of Public Health, University of California, Los Angeles, États-Unis.