Contaminants

Rayonnements non ionisants - Écrans

YearBook 2021

Yves Le Dréan

Université de Rennes
Inserm, EHESP
Irset (Institut de recherche en santé, environnement et travail)
UMR 1085
Rennes

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Synthèse publiée le : 12/06/2021

SYNTHÈSE :
La 5G peut-elle présenter un risque
pour la santé humaine ?

La mise en place de la 5G a suscité de nombreuses réactions et interrogations au sein de notre société. Tout d’abord, l’avènement de cette nouvelle technologie a été l’occasion d’animer des débats entre des visions politiques divergentes. À cela se sont rajoutées des questions autour des nouvelles fréquences utilisées par cette technologie et leurs effets sanitaires éventuels. Pourtant, les connaissances actuelles montrent qu’on ne changera pas de paradigme et que l’exposition, quoi que légèrement différente, sera assez proche de celle qu’on a déjà avec la 3G et la 4G.

 

2020, l’année où la 5G est venue sur le devant de la scène médiatique

La 5G correspond à la nouvelle génération de réseaux de télécommunication mobile. Son développement répond à la demande toujours croissante en transmission de données, et les améliorations apportées par cette technologie devraient permettre d’augmenter la rapidité et le débit des communications. L’année 2020 aura marqué le début des déploiements des réseaux 5G, ainsi que la vente des premiers appareils compatibles. Parallèlement à ce démarrage, la 5G s’est retrouvée au cœur de nombreuses polémiques relayées par les médias. Nombre de ces polémiques correspondaient à des désinformations, parfois farfelues, telles que la théorie complotiste qui a accusé la 5G d’être à l’origine de la propagation du Covid-19. Le but de cet article n’est pas de répondre point par point aux diverses infox propagées par les réseaux sociaux. Pour cela, le lecteur peut se fier au travail d’investigation mené par de nombreux journalistes, notamment aux chroniques « Les décodeurs » du journal Le Monde [1].

Il est plus intéressant de noter que la 5G a également fait parler d’elle en tant qu’enjeu politique. Les fervents défenseurs de cette technologie mettent en avant les nombreuses promesses d’usage qui en découlent. La 5G, en augmentant les débits et en diminuant très fortement les temps de latence, permettra des communications nombreuses et rapides entre divers appareils. Autrement dit, on entre dans le monde de l’internet des objets connectés et dans celui des villes intelligentes. La 5G permettra aussi plus de souplesse dans l’utilisation et la gestion des réseaux. Tous ces avantages intéressent vivement l’industrie et de nombreux économistes pensent que des gains de productivité seront significatifs pour les entreprises qui utiliseront cette technologie [2]. Il est fort possible que le moteur du déploiement de la 5G se trouve du côté des groupes industriels qui voudront faire le saut vers des usines robotisées et pilotables. Dans un monde économique mondialisé et ultra-concurrentiel, il y va sans doute de la survie de ces groupes. Il faut se rappeler du devenir de la société Kodak, leader mondial en son temps, mais qui a déposé le bilan pour ne pas avoir su anticiper correctement la venue du numérique.

D’un autre côté, pour les individus qui prônent une décroissance, la 5G est devenue le symbole de la course en avant de notre société. Ces dernières années, les préoccupations environnementales ont pris de l’ampleur et de nombreuses personnes militent pour un changement radical de notre mode de vie. L’idée étant de casser la spirale de la surconsommation qui demande toujours plus d’énergie, de ressources en matières premières non renouvelables, et qui génère de la pollution. De ce point de vue, la 5G est vue comme l’emblème de cette exigence du « toujours plus ». Pour ses détracteurs, la 5G est une technologie dispensable car la 4G pourrait suffire à répondre aux besoins de télécommunication. Cette vision n’est pas sans fondement, mais seulement à la condition que les besoins en télécommunication cessent de croître continuellement comme c’est le cas actuellement, sinon les réseaux arriveront vite à saturation. L’avènement de la 5G est également réprouvé à cause des nouveaux investissements et du besoin en énergie qu’il nécessite. Il faut noter que l’augmentation du coût énergétique tiendra sans doute plus à l’augmentation des usages et des échanges, que de la technologie 5G en elle-même. Ce débat est loin d’être fini et il est important car il pose le problème de la société future qu’on veut mettre en place. Cependant, la 5G en soit n’est qu’un instrument, et ce qui importera, c’est l’usage qu’on en fera. On a encore du mal à cerner quelles seront les conséquences de l’arrivée de l’internet des objets, mais on peut raisonnablement penser qu’elles seront nombreuses et qu’elles changeront notre quotidien. Vu que tout est à inventer, il est également possible que cette technologie apporte une partie des solutions à des problèmes actuels, par exemple en permettant une meilleure gestion automatique de nos ressources et en limitant le gaspillage.

 

Les fréquences de la 5G et leurs propriétés physiques

La mise en place de la 5G prendra du temps et elle se fera en plusieurs étapes. Actuellement, la 5G se sert des fréquences déjà exploitées pour la 4G, ainsi que des stations de base existantes. De ce fait, des bandes de fréquences autour de 700 MHz, 2,1 GHz et 2,6 GHz seront employées par les 2 générations : 4 et 5G. Dans un futur proche, on aura une évolution vers des plus hautes fréquences qui permettront un débit plus élevé. Deux bandes de fréquences ont d’ores et déjà été réservées pour cela : il s’agit de la bande des 3,5 GHz et de celles des 26 GHz. En France, l’état est propriétaire des bandes de fréquences du spectre électromagnétique, mais il peut vendre des licences d’exploitation commerciale pour une durée déterminée. Ainsi, la première bande de fréquences spécifiques de la 5G, celle autour de 3,5 GHz, a été vendue aux enchères en 2020. Celle autour de 26 GHz sera vendue dans un futur proche.

La montée en fréquence a fait l’objet de nombreux questionnements en relation avec les effets éventuels de ces ondes. En effet, plus la fréquence augmente, plus l’énergie associée aux photons est importante. De ce fait, peut-on craindre que ce décalage de fréquences change la donne en termes d’exposition ? Il faut savoir que ces nouvelles fréquences appartiennent toutes à la grande famille des radiofréquences et que leurs propriétés physiques sont très proches des fréquences actuellement utilisées. Ainsi ces fréquences font également partie des rayonnements non ionisants, avec une énergie qui ne peut pas endommager la matière en arrachant des électrons aux atomes. Cette énergie associée est d’ailleurs inférieure à celles de la lumière et elle est bien en dessous des valeurs seuils permettant de rompre les liaisons de faible énergie qui régissent les interactions entre molécules au sein de la matière vivante. Par contre, dans le domaine des radiofréquences, il existe un autre effet bien établi : l’effet thermique dû à la rotation des molécules d’eau. Cette relaxation diélectrique dépend de la fréquence et elle sera plus importante à 26 GHz. Il faut noter que toute la réglementation est basée sur ces effets thermiques et que les normes et les limites mises en place protègent le public contre toute élévation de température [3].

La montée en fréquence va également jouer sur le pouvoir de pénétration de ces ondes. Les plus hautes fréquences de la 5G, notamment la bande de fréquences autour de 26 GHz, ne peuvent pas pénétrer profondément dans le corps et l’énergie électromagnétique est principalement absorbée par la peau. Autrement dit, ces ondes chauffent plus, mais de façon plus superficielle. Ce point est important car avec l’arrivée de ces hautes fréquences dans la 5G, le cerveau sera moins exposé. Il faut se rappeler que les ondes radiofréquences sont actuellement classées comme « cancérogène possible » par l’OMS, et ce sur la base d’études épidémiologiques montrant l’existence d’un sur-risque d’avoir un cancer du cerveau pour les personnes qui utilisent souvent, et sur une longue période (10 ans), leur téléphone mobile.

 

Quels éléments peut-on tirer de la littérature scientifique au sujet des éventuels effets biologiques de la 5G ?

Les scientifiques se sont largement intéressés aux radiofréquences utilisées pour la 2G, 3G et 4G. Comme certaines fréquences de la 5G sont communes avec la 4G, ces travaux peuvent servir pour l’évaluation du risque. Les études recherchant spécifiquement des effets biologiques pour les nouvelles fréquences de 3,5 et 26 GHz sont très rares et en règle générale, elles ont utilisé des niveaux de champs très élevés, dépassant les normes en vigueur [4]. Elles sont donc peu informatives pour faire une analyse du risque de la 5G. Il faut toutefois se rappeler que ces 2 nouvelles bandes de fréquences ont des propriétés physico-chimiques très proches de celles déjà utilisées. On ne va donc pas changer de paradigme, et toutes nos connaissances en termes d’exposition et d’effets biologiques ne sont pas remises à zéro. Pour évaluer les effets éventuels de la bande à 3,5 GHz, on peut s’appuyer sur les recherches effectuées à 2,1, 2,5 et 2,6 GHz, qui elles-mêmes ont donné des résultats comparables à ce qui avait été fait aux alentours de 700-900 MHz. Ces travaux ont été analysés et commentés dans de nombreux rapports gouvernementaux.Il en ressort qu’à l’heure actuelle, aucun effet avéré ne peut être ressorti. Le terme « avéré » est important car cette littérature, abondante et variée, présente des études où des effets biologiques sont parfois décrits. Cependant, ces effets ne sont pas toujours reproductibles, ce qui rend difficile toute conclusion définitive. Ma vision personnelle est la suivante : des effets biologiques (tels que le stress oxydant par exemple) peuvent être obtenus sous exposition, mais ils sont de très faibles ampleurs et ils dépendent grandement du modèle biologique utilisé. Ces effets étant minimes (de l’ordre de grandeur des variations naturelles du niveau de base), ils peuvent être pris en charge par les systèmes de réparation cellulaires qui permettent de restaurer l’homéostasie. Cette hypothèse expliquerait l’absence d’effet délétère actuellement admise. Par contre, si elle est correcte, elle implique que la recherche doit maintenant s’intéresser aux individus souffrant d’éventuelle défaillance dans ces systèmes de réparation.

Pour la bande à 26 GHz, les effets au niveau des cellules seront sans aucun doute assez proches de ceux qui ont été décrits d’une part pour les radiofréquences entre 700 MHz et 2,6 GHz et d’autre part pour les ondes millimétriques, où de nombreuses publications ont exploré les effets entre 35 et 94 GHz. Les résultats sont similaires dans les deux cas, avec une absence d’effet avéré, tant qu’on reste dans des conditions d’exposition athermiques. C’est au niveau physiologique que les choses peuvent peut-être changer. La littérature scientifique sur les ondes millimétriques suggère qu’une réponse systémique peut se mettre en place pour des niveaux de champs à la limite des effets thermiques. Il est donc important dans l’immédiat de vérifier si un dépôt d’énergie plus important au niveau de la peau, ne peut pas générer un « signal » pouvant entraîner une réponse plus globale au niveau de l’organisme. La peau n’est pas isolée du reste du corps et des signaux générés dans cet organe peuvent être transmis via la circulation sanguine et/ou les nerfs. Il faut noter que dans le cas des ondes millimétriques, ces effets systémiques n’induisent pas d’effets délétères et qu’au contraire ils ont été utilisés à des fins thérapeutiques.

 

Conclusion

Les connaissances actuelles ne mettent pas en avant un mécanisme crédible pouvant faire craindre l’apparition d’effet sanitaire. Un moratoire préventif gelant la mise en place de la 5G n’apparaît pas nécessaire, car la situation est, dans les grandes lignes, similaire à celle que l’on connaît actuellement avec la 4G. Seule la bande à 26 GHz va quelque peu changer les paramètres d’exposition, en induisant un dépôt d’énergie plus important en surface du corps. On ne sait pas encore avec précision si cette situation peut avoir un impact quelconque, mais la littérature dans le domaine du millimétrique semble plutôt indiquer qu’il faut exposer à des niveaux de champs supérieurs aux normes en vigueur pour avoir un début de réponse physiologique.

 

Références

[1] « Les décodeurs » du journal Le Monde. https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2020/09/24/5g-le-vrai-le-faux-et-ce-qu-on-ne-sait-pas-encore_6053447_4355770.html

[2] Rapport du CIGREF (Club informatique des grandes entreprises françaises), paru en janvier 2020. « 5G : Anticipation et opportunités – Influence de la 5G sur les architectures ».

[3] ICNIRP. Guidelines for limiting exposure to electromagnetic fields (100 kHz to 300 GHz). Health Physics 2020 ; 118 : 483-524.

[4] Rapport préliminaire de l’ANSES. « Exposition de la population aux champs électromagnétiques liée au déploiement de la technologie de communication 5G et effets sanitaires associés », octobre 2019.