Synthèse publiée le : 28/05/2018

SYNTHESE : Obésité et facteurs environnementaux

 

L'obésité : un défi mondial de santé publique

L’humanité est confrontée à une vague d’obésité stimulant la recherche, même si les causes principales sont parfaitement identifiées. Endiguer cette épidémie demande des actions politiques courageuses dans de nombreux secteurs.

 

La définition de l’obésité est hybride. Elle se réfère à la « normalité » de la répartition et de la quantité de masse grasse corporelle, difficile à appréhender. La définition s’appuie donc sur un indicateur simple : l’indice de masse corporelle (IMC), rapport du poids corporel sur la taille exprimé en kg/m2. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) classe dans la catégorie « obèse » les personnes dont l’IMC est supérieur à 30. L’IMC est indépendant de l’âge et du sexe chez l’adulte. Son évolution temporelle par sexe est connue chez les enfants, ce qui permet à l’OMS de classer comme obèses les enfants dont l’IMC est supérieur à deux écarts-types au-dessus de la médiane.

Cette définition comporte un second volet : cette « dysmorphie » du tissu adipeux doit entraîner des pathologies ou constituer un facteur de risque démontré de maladie, ce qui est le cas à l’échelle d’une population, puisque le seuil de 30 a été fixé sur les constats épidémiologiques. À l’échelon individuel, c’est au médecin de déterminer si l’IMC correspond bien à une masse grasse néfaste pour la santé.

Le praticien peut repérer les pathologies entraînées par l’obésité telles que ses conséquences psychosociales, des troubles musculosquelettiques, un syndrome d’apnée du sommeil, et il connait les effets thérapeutiques d’une alimentation équilibrée et de l’activité physique. L’épidémiologie a prouvé que l’obésité est un facteur de risque de maladies cardiovasculaires (MCV), de diabète non insulinodépendant et de cancer. Il est aussi démontré que l’obésité dans l’enfance entraîne un risque accru d’obésité, de décès prématuré et d’handicap à l’âge adulte. Ces enfants obèses avec une répartition androïde de la masse grasse sont aussi sujets à des troubles respiratoires, de l’hypertension artérielle, une résistance à l’insuline, une dégradation prématurée de leurs artères et des difficultés psychologiques.

D’où les alarmes réitérées de l’OMS qui s’est saisie de l’analyse publiée dans le Lancet en décembre 2017. À partir de 2 416 études portant sur 128,9 millions d’enfants, adolescents et adultes, cette étude décrit les tendances mondiales de l’obésité de 1975 à 2016. Les résultats sont effarants. En 40 ans, la prévalence de l’obésité a presque triplé au niveau mondial, 11 % des hommes et 15 % des femmes sont obèses. Le taux mondial d’obésité chez l’enfant et l’adolescent est passé de moins de 1 % en 1975 à 6 % chez les filles et presque 8 % chez les garçons en 2016. Les disparités régionales en taux et tendances sont spectaculaires. Cette épidémie d’obésité épargne l’Europe orientale et présente une stagnation récente dans les pays développés de langue anglaise ; en revanche, elle atteint des taux records dans certaines régions, plus de 30 % chez les filles à Nauru, une petite île du Pacifique, une augmentation de l’IMC de 1 kg/m2 par décennie en Amérique centrale. Certes, la prévalence de l’insuffisance pondérale diminue, mais de nombreux pays à revenu faible ou intermédiaire sont désormais confrontés à une « double charge » de morbidité. Ils continuent à faire face aux maladies infectieuses et à la dénutrition et ils constatent une augmentation particulièrement rapide des taux d’obésité notamment en milieu urbain. Cette double face de la malnutrition est identifiée à l’échelon de pays, de communautés voire même de familles [1,2].

 

Face à de telles évolutions, les questions sont multiples

Quels liens entre obésité et dénutrition ? Quelle part accorder à la génétique ? Qu’est-ce qu’un environnement « obésogène » ? Quels en sont les déterminants principaux ? Quels sont les facteurs protecteurs ?

La conférence d’Helsinki a défini en 1994 la santé environnementale et donc ce qu’il faut entendre par environnement , il s’agit des « aspects de la santé humaine, y compris la qualité de la vie, qui sont déterminés par les facteurs physiques, chimiques, biologiques, sociaux, psychosociaux et esthétiques de notre environnement et qui concerne également la politique et les pratiques de gestion, de résorption, de contrôle et de prévention des facteurs environnementaux susceptibles d’affecter la santé des générations actuelles et futures ». Nous retiendrons cette définition large de l’environnement particulièrement appropriée à la thématique.

 

Quelle part de l’inné dans l’obésité ?

Les études familiales chez les jumeaux et les enfants adoptés ont révélé une composante héréditaire à l’obésité, elle reste, cependant, modérée. L’obésité peut aussi être l’un des signes de maladies génétiques rares, comme le syndrome de Prader-Willy qui est dû à un défaut d’expression de gènes du chromosome 15. Pour l’obésité dite commune, les études de type GWAS (Genome Wide Association Studies) ont identifié plus de 300 polymorphismes mononucléotidiques[1] associés à une masse grasse corporelle anormale. Cette susceptibilité génétique, en favorisant la dérégulation des prises alimentaires, pourrait expliquer les différences d’IMC au sein de populations soumises à un même environnement [3].

 

Quels sont les facteurs environnementaux et comment agissent-ils ?

L’environnement pourrait modifier le mode d’expression des gènes via des mécanismes épigénétiques. Ainsi, les preuves s’accumulent aussi bien en épidémiologie qu’en toxicologie pour mettre en relation le statut nutritionnel périnatal de la mère et le risque futur d’obésité et de diabète de l’enfant, et ce, depuis les constats transgénérationnels qui ont suivi la famine de 1944 aux Pays-Bas. Les études de type EWAS (Epigenome Wide Association Studies) contribuent à l’explication épigénétique de ces phénomènes sans pour le moment être capable de bien distinguer causes et conséquences [4].

Les modèles animaux bien que précieux ne peuvent rendre compte à eux seuls de la complexité de l’alimentation humaine. S’alimenter est un acte éminemment culturel, socialement déterminé et sous influence du psychisme. La place de la symbolique alimentaire dans les comportements, apports de la sociologie et de la psychologie, est insuffisamment intégrée dans les recherches sur l’obésité selon E. Bertin [5] alors que le marketing et la publicité viales écrans sont experts pour manipuler l’hédonisme et les représentations liées à l’alimentation. Quand la multiplication des écrans, l’urbanisation et la motorisation des déplacements réduisent l’activité physique, altèrent les traditions culinaires et que s’y ajoute le manque d’attractivité et d’accessibilité d’une alimentation saine, la santé en pâtit, l’évolution de IMC constituant l’un des indicateurs de cette détérioration. De plus, ces modes de vie « obésogènes » sont dépendants du statut socioéconomique. La dernière étude de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques réalisée, à partir des enquêtes périnatales de 1995 à 2016 en France métropolitaine, le confirme : « le statut pondéral des enfants et adolescent est marqué par un gradient social » [6]. La remarquable synthèse d’E. Herrscher sur les apports de la préhistoire et de l’archéologie, montre comment les paramètres alimentaires et sanitaires ont toujours été intimement liés aux déterminants socioculturels [7]. 

Parallèlement de nombreux aliments disponibles sont supplémentés dans un but de conservation, d’amélioration organoleptique, voire de santé. Ils contiennent aussi des mélanges non intentionnels issus de multiples sources : environnement, procédés de préparation, traitements vétérinaires et phytosanitaires, contenants. Or, certaines de ces substances se sont révélées obésogènes sur des modèles animaux à doses élevées. Le mode d’action de type perturbation endocrinienne est particulièrement mis en cause ainsi que les périodes de vulnérabilité de la vie intra utéro et de l’enfance. Les effets de mélanges à faibles doses sont également l’objet d’études. Les mécanismes toxicologiques à l’origine de ces propriétés obésogènes ne peuvent toutefois être attribués à un seul mode d’action, fût-il complexe et multiple, surtout que l’homéostasie du poids reste un sujet en cours d’exploration [8].

Les produits bruts issus le plus souvent d’une agriculture productiviste sont aussi de plus en plus transformés. L’influence de la préparation industrielle des glucides est connue depuis longtemps, certains riz précuits et la purée instantanée se comportant comme des sucres dits rapides (index glycémiques élevés) contrairement aux produits bruts moins remaniés. Des études récentes ont montré que le mode d’émulsion des graisses a une influence sur la cinétique d’absorption des lipides, voire sur des phénomènes inflammatoires observés chez certains obèses et son interaction avec le microbiote intestinal. Notons qu’un impact pro- ou anti-inflammatoire de stabilisateurs d’émulsion (agents tensioactifs) utilisés en formulation alimentaire a également été mis en évidence chez la souris [9].

Le microbiote intestinal est aussi l’objet de l’attention des chercheurs depuis que des expérimentations de transfert de flore de souris obèses à des souris non obèses ont causé une inflation de leur masse grasse. Les facteurs qui l’influencent, comme le régime alimentaire, sont de mieux en mieux connus, ainsi que ses fonctions métaboliques. Ce nouveau continent cellulaire, dont on découvre la richesse grâce à la biologie moléculaire, se constitue dès la naissance et évolue au cours de l’enfance. Une synthèse récente de la revue Prescrire a fait le point sur le lien entre prises d’antibiotiques dans l’enfance et obésité à l’âge adulte ; rien de prouvé à ce stade mais l’hypothèse causale « microbiote » est plausible en dépit d’études divergentes chez l’homme [10]. Rappelons que de nombreux médicaments, et ce parmi les plus utilisés, ont des effets sur la masse grasse indépendamment de toute action antibiotique.

Les fruits en revanche sont de remarquables antiobésogènes. Pourtant, ils recèlent des teneurs élevées en sucres simples, connus pour favoriser l’obésité quand ils sont ajoutés à des aliments ; de plus, ils contiennent des traces de traitements phytosanitaires. Cette action bénéfique passe-t-elle par les modes de vie liés ? L’équilibre nutritionnel engendré ? Leurs teneurs en fibres ? En micronutriments ? Le microbiote ? La réponse pourrait ressembler à une intrication de cercles vertueux.

 

Qu’en conclure ?

Ces questionnements et recherches, potentiellement utiles en termes de prévention et de prise en charge de l’obésité, ne doivent pas occulter les faits. L’OMS est catégorique : les causes de cette épidémie d’obésité sont d’une part « la consommation d’aliments très caloriques riches en lipides », d’autre part le « manque d'activité physique en raison de la nature de plus en plus sédentaire de nombreuses formes de travail, de l’évolution des modes de transport et de l’urbanisation croissante ». L’OMS fustige « une absence de politiques dans certains secteurs, comme la santé, l’agriculture, les transports, l’urbanisme, l’environnement, la transformation des aliments, la distribution, le marketing et l’éducation ». Elle demande de favoriser les comportements sains, à savoir :

  • limiter l’apport énergétique provenant de la consommation des lipides totaux et de sucres ;
  • consommer davantage de fruits et légumes, de légumineuses, de céréales complètes et de fruits à coque ;
  • avoir une activité physique régulière.

Et bien sûr de lutter contre les autres facteurs de risque de maladies cardiovasculaires et de cancer, tels que le tabagisme, la consommation d’alcool, une consommation excessive de sel, l’hypertension artérielle, les dyslipidémies et le diabète.

 

Liens d’intérêts : aucun

 

Références

[1] Site de l’Organisation mondiale de la santé. Rubrique « Thème de santé ». Obésité. http ://www.who.int/topics/obesity/fr/

[2]. NCD Risk Factor Collaboration (NCD-RisC) correspondance to Pr Ezzati M. Worldwide trends in body-mass index, underweight, and obesity from 1975 to 2016 : a pooled analysis of 2416 population-based measurement studies in 128·9 million children, adolescents, and adults. Lancet 2017 ; 390 ; 2627-42.

[3] Goodarzi MO. Genetics of obesity : what genetic association studies have taught about the biology of obesity and its complications? Lancet Diabetes Endocrinol 2018 ; 6 : 223-36.

 [4] Van Dijk SJ, tellam RL, Morison JL, Muhlhausler BS, Molloy PL. Recent developments on the role of epigenetics in obesity and metabolic disease. Lin Epigenetics 2015 ; 7 :66.

[5] Bertin E, Ostermann G. Comportement alimentaire et obésité : place de la symbolique alimentaire Cahiers de nutrition et de diététique 2017 ; 52 : 122-8.

[6] Moisy M. Poids à la naissance et origine sociale : qui sont les enfants les plus exposés au surpoids et à l’obésité, Études et résultats, Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, 2017 ; 1045.

[7] Herrscher E. Déterminants socio-culturels collectifs et individuels à l’épreuve du temps : impact sur l’alimentation et la santé. Cahiers de nutrition et de diététique 2017 ; 52 : 312-9.

[8] Muscogiuri G, Barrea L, laudisio D, Savastano S, Colao A. Obesogenic endocrine disruptors and obesity : myths and truths. Arch Toxicol 2017 ; 91 : 3469-75.

[9] Michalski MC, Vors C, Lecomte M, Laugerette F. Impacts métaboliques et inflammatoires des matières grasses émulsionnées. Cahiers de nutrition et de diététique 2017 ; 52 : 244-56.

[10] Synthèse élaborée collectivement par la Rédaction. Antibiotiques dans la petite enfance : un facteur d’obésité ? Prescrire 2017 ; 410 : 912-4.

 

Note

[1] Dans deux génomes humains tirés au hasard, 99,9 % de la séquence d'ADN est identique. Les 0,1 % restants contiennent des variations de séquence dont le type le plus commun est le SNP (Single Nucleotide Polymorphism) dans lequel deux chromosomes diffèrent sur un segment donné par une seule paire de bases. Ces variations sont associées à de la diversité entre populations ou individus, une différence de sensibilité à des maladies et la réponse individuelle aux médicaments. http ://www.edu.upmc.fr/sdv/masselot_05001/polymorphisme/snp.html