Pathologies

Troubles du métabolisme

YearBook 2022

Jean Simos

Chef de la division de la santé environnementale
et de la promotion de la santé
Université de Genève, Suisse

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Synthèse publiée le : 17/05/2022

SYNTHESE :
Troubles du métabolisme : obésité
et facteurs environnementaux et sociaux

Un fléau pour la santé et l’équité, des opportunités en matière de politiques publiques favorables à la santé et efficientes

Le surpoids et l'obésité font référence à une accumulation excessive de graisse qui présente des risques pour la santé [1]. Ils sont souvent mesurés à l'aide de l'indice de masse corporelle (IMC) et du tour de taille. L'IMC est calculé en divisant le poids d'une personne en kilogrammes par sa taille en mètres au carré. On parle d’obésité lorsque l’IMC est ≥ 30. Lorsque le tour de taille est ≥ 94 cm pour les hommes et ≥ 80 cm pour les femmes, il est associé à un risque plus élevé de complications métaboliques.

 

L’OMS estime à 10 % les décès en Europe liés à l’obésité et au surpoids, et à plus de 5 millions dans le monde les décès imputables à cette même cause, soit plus que pour le tabac. Les maladies liées à l’obésité emporteront plus de 90 millions de personnes dans les pays de l’OCDE au cours des 30 années à venir, entraînant un recul de l’espérance de vie de près de 3 ans. L’obésité infantile a des conséquences particulièrement graves. Plutôt à la peine à l’école, qu’ils manquent de manière relativement fréquente, les enfants en surpoids seront plus tard moins enclins à suivre des études supérieures jusqu’à leur terme. Moins épanouis, ils ont aussi trois fois plus de risques d’être victimes de harcèlement scolaire, ce qui n’est sans doute pas étranger à la faiblesse de leurs résultats. Les adultes obèses, quant à eux, s’exposent à un risque accru de développer une maladie chronique, comme le diabète, et de mourir prématurément. L’obésité est responsable de 70 % de l’ensemble des dépenses engagées pour soigner le diabète, 23 % dans le cas des maladies cardiovasculaires et 9 % en ce qui concerne le cancer ; elle s’est avérée être un facteur très aggravant à l’occasion de la pandémie de Covid-19. Par ailleurs, ses conséquences médicales entament de 3,3 % le PIB des pays de l’OCDE et grèvent les finances des ménages d'un montant de 360 USD en moyenne par habitant et par an. Les Français vivent en moyenne 2,3 ans de moins à cause du surpoids, qui représente 4,9 % des dépenses de santé et qui réduit le PIB français de 2,7 %. Pour couvrir ces frais, chaque personne en France paie 323 euros d'impôts supplémentaires par an [2].

L'obésité est causée par un déséquilibre énergétique sur le long terme, où trop d'énergie est accumulée par les aliments et les boissons et pas assez dépensée par l'activité physique. Divers facteurs peuvent influencer cette prise de poids excessive, notamment [3] :

  • génétiques et physiologiques (ex. : métabolisme, appétit, satiété, etc.) ;
  • d’inégalités de santé (ex. : zone d'éloignement, désavantage socioéconomique, groupes ethniques/culturels) ;
  • environnementaux (ex. : disponibilité des établissements de restauration rapide, taille des portions, l'environnement de la maison et du voisinage, comme l’exposition à la lumière du soir) [4] ;
  • sociétaux (ex. : médias et publicité, pratiques de vente au détail, etc.).

L'obésité peut donc être influencée par des habitudes individuelles telles que le type de nourriture et la quantité d'activité physique, mais aussi par l'environnement et la société. Les déterminants sociaux de la santé, où les inégalités et les désavantages sociaux contribuent souvent à des différences injustes et évitables dans les résultats de santé, peuvent renforcer ou péjorer la santé des individus et des communautés. Les personnes ayant des niveaux d'éducation plus élevés sont moins susceptibles d'être obèses. Dans les 28 pays de l’UE, les personnes aux revenus modestes ont une probabilité d’être obèses supérieure à celle des personnes aisées, de 90 % chez les femmes et 50 % chez les hommes, ce qui fait clairement de l’obésité un marqueur d’inégalités [2]. Vivre dans les grandes villes et dans des maisons dont on est propriétaire semble également être associé à une probabilité réduite d'obésité [3].

Partout dans le monde, le surpoids et l’obésité progressent (figure 1).

Figure 1. Progression des taux d’obésité dans différents pays (source : OECD Obesity Update 2014).

En France, 54 % des hommes et 44 % des femmes de 18 à 74 ans (données 2015) sont en surpoids ou obèses (IMC ≥ 25). Cette prévalence augmente avec l’âge tandis que quelque 17 % avaient un IMC ≥ 30, signe d’obésité. L’étude de santé sur l’environnement, la biosurveillance, l’activité physique et la nutrition (Esteban) relève également une prévalence du surpoids supérieure chez les personnes les moins diplômées. Chez les enfants de 6 à 17 ans, la prévalence du surpoids est estimée à 17 %, dont 4 % d’enfants obèses. Là aussi, le surpoids atteint davantage les enfants de parents moins diplômés ; données récemment confirmées par de nouvelles enquêtes : 75 % des 8-17 ans en surcharge pondérale sont issus de catégories populaires et inactives, soit 9 points de plus que dans la population générale [5]. Des données britanniques laissent craindre que le fossé social s’aggrave en l’occurrence (figure 2).

Figure 2. Prévalence de l’obésité enfantine selon le gradient social et l’année de mesure (source : Public Health England).

 

Les inégalités territoriales et les différences d’exposition à un environnement sain jouent également un rôle important dans la différenciation sociale de l’obésité et de ses conséquences sur la santé. Par exemple, les espaces verts dans le voisinage exercent une influence protectrice sur le développement du diabète, ce qui suggère qu'un urbanisme favorisant l'accès aux espaces verts - ainsi que des comportements sains - peut contribuer à la prévention du diabète [6]. L'association entre les espaces verts environnants et le syndrome métabolique pourrait être expliquée à travers l'activité physique induite et l'exposition à la pollution de l'air [7].

Un environnement propice peut favoriser les déplacements actifs à vélo ou à pied. Les grandes agglomérations françaises, qui ont déployé des efforts massifs ces dernières années pour les développer, ont vu la part de déplacements à vélo augmenter de façon significative (à Strasbourg, Nantes, etc.). En Écosse, le bénéfice économique annuel pour la santé du trajet domicile-travail à pied a été estimé à environ 700,2 millions d’euros, et à vélo à 79,8 millions d’euros [8]. À l’inverse, les études disponibles sur l’utilisation du vélo pour les déplacements quotidiens, notamment pour les trajets domicile-travail, mettent en évidence trois principaux freins [9] :

  • le sentiment d’insécurité des individus, notamment en milieu urbain ;
  • l’insuffisance des aménagements à destination des cyclistes et des piétons ;
  • l’absence d’aménagements adaptés sur les lieux de destination (ex. : bâtiments accueillant du public ou lieux de travail), notamment l’absence de dispositifs sécurisés de stationnement.

Comme l’OCDE l’a récemment affirmé, en consacrant des moyens dédiés aux mesures de lutte contre l’obésité et de promotion de modes de vie sains, les décideurs publics peuvent enrayer la progression de l’obésité parmi les générations futures et en même temps faire du bien à l’économie [2]. Elle estime en effet que, en moyenne, pour 1 euro ainsi investi, jusqu'à 6 euros reviennent en avantages économiques.

Quelles sont alors les bonnes mesures à adopter ? Les conclusions tirées par les auteurs du projet pilote européen sur l’équité en santé [10] permettent d’en cerner les contours :

  • à travers l’action pour une alimentation saine et équilibrée :

-         des taxes sur les denrées alimentaires « malsaines » : bon niveau de preuves par des expériences au Mexique et en Hongrie, notamment concernant les catégories les plus défavorisées, tandis que les réductions « volontaires » du taux de sucre au Royaume-Uni n’ont donné que des résultats modestes ;

-         une information sur les emballages, par exemple le Nutri-Score : preuves que les codes couleurs sont le moyen le plus compréhensible pour les catégories les plus défavorisées ;

-         des restrictions sur la publicité télévisuelle : preuves qu’elles réduisent l'exposition, en particulier pour les personnes qui sont justement les plus exposées ;

-         des interventions en milieu scolaire : peu d’effets toutefois ; elles nécessitent l’implication des parents, sont plus efficaces chez les jeunes enfants et doivent être menées sur plusieurs années ; risque de profiter davantage aux catégories les plus éduquées ; meilleures options pour réduire le gradient social : programmes de fruits/repas scolaires/clubs de petit-déjeuner gratuits ;

-         campagnes de marketing social : impact sur la santé non mesuré, mais le rappel de la campagne est plus élevé dans les catégories les plus éduquées.

  • à travers l’action pour promouvoir l’activité physique :
    • des politiques d'aménagement du territoire/d’urbanisme, de transport, des programmes de réhabilitation urbaine : bonnes preuves d’efficacité pour augmenter les niveaux d'activité de la population mais insuffisance de preuves d'impact différentiel ; toutefois, elles sont susceptibles de réduire les inégalités en matière de santé si appliquées dans les zones où les besoins sont les plus grands, et les initiatives locales de réhabilitation ciblent le plus souvent les zones défavorisées ; le principe primordial : les nouvelles conceptions doivent viser à créer des environnements vivables dans lesquels les personnes peuvent facilement et en toute sécurité marcher, faire du vélo et utiliser les transports publics, plutôt que d'être conçues autour des transports motorisés ;
    •  des interventions pour les cyclistes : bonnes preuves d’efficacité pour augmenter les taux d’utilisation du vélo ; les infrastructures cyclables ciblées sur les zones les plus défavorisées sont susceptibles de réduire les inégalités en matière de santé, mais absence de preuves de leur impact différentiel ; elles doivent être adaptées aux circonstances spécifiques de chaque pays ;
    • des interventions pour favoriser la marche à pied : efficacité et impact différentiel : idem pour le vélo, mais bien plus de personnes marchent régulièrement pour se déplacer qu’elles ne font du vélo, de sorte que la promotion efficace de la marche a un grand potentiel d'impact sur la santé publique ;
    •  les meilleures mesures joueront sur la complémentarité marche-vélo-transports publics en tenant compte de la distance et favoriseront la marche pour les trajets plus courts (1-2 km), le vélo pour les trajets plus longs (2-10 km) et les transports en commun pour les trajets plus longs : les cobénéfices pour la santé incluent l'amélioration de la qualité de l'air et la cohésion sociale ; il est important de considérer les questions d'accessibilité pour les groupes les plus défavorisés ou les personnes handicapées ; les modifications de l'environnement pour favoriser la marche et le vélo peuvent être politiquement plus populaires que de nombreuses actions de santé publique telles que les actions liées à la nutrition et impliquent généralement une réaffectation des budgets existants plutôt que des investissements supplémentaires ; elles sont très probablement rentables ;
    •  des interventions en milieu scolaire : solide base de données factuelle mais des preuves limitées de leur impact différentiel ; pour qu’elles puissent contribuer positivement à réduire les inégalités dans l'activité physique et leurs impacts sur la santé, il faut qu’elles soient planifiées de manière appropriée et appliquées à l'ensemble de l'école, qu’elles ciblent les zones les plus défavorisées et qu’elles emploient des stratégies pour assurer l'implication des élèves les plus démunis ;
    • des programmes de conseil bien planifiés et universels offerts à toute personne à risque qui fréquente les soins primaires : efficaces pour augmenter l'activité physique à court terme seulement, susceptibles d'avoir une adoption et un impact égaux dans tous les groupes socioéconomiques mais sur la durée plus susceptibles d'être adoptés par les groupes socioéconomiques supérieurs qui ont les ressources - temps, argent, absence d'obstacles - pour fréquenter un centre de loisirs.

Concernant la marche et les enfants, il faut rappeler que près de 45 % des jeunes vivent à moins de 2 km de leur établissement scolaire et 21 % entre 2 et 5 km. Or, moins de 4 enfants sur 10 se rendent à pied à la maternelle ou à l’école primaire, moins de 3 sur 10 vont au collège à pied et 30 % s’y font conduire en voiture [5].

Le Réseau français des Villes-Santé OMS a publié fin 2021 une brochure présentant les leviers d’action pour promouvoir la pratique d’activité physique et la rendre accessible à tous (https://www.villes-sante.com/wp-content/uploads/2021-12-21-PVS-promotion-de-lactivite-physique_VF.docx.pdf) et en 2020 un guide sur les espaces verts urbains promouvant l’équité et la santé (https://www.villes-sante.com/wp-content/uploads/web_Ouvrage_GreenhCity-2020.pdf).

Références

[1] World Health Organization. Report of the commission on ending childhood obesity. Geneva : WHO, 2016.

[2] OECD. The Heavy Burden of Obesity. The Economics of Prevention.OECD Health Policies Studies, 2019.

[3] Australian Institute of Health and Welfare. Inequalities in overweight and obesity and the social determinants of health. Cat. N°PHE 278. Canberra : AIHW, 2021.

[4] Lai KY, Sarkar C, Ni MY, Gallacher J, Webster C. Exposure to light at night (LAN) and risk of obesity: A systematic review and meta-analysis of observational studies. Environ Res 2020 ; 187 : 109637.

[5] Juanico R, Tamarelle-Verhaeghe M, députés. Rapport d’information sur l’évaluation des politiques de prévention en santé publique. Assemblée Nationale, Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques, N° 4400 du 21 juillet 2021.

[6] Doubleday A, Knott CJ, Hazlehurst MF, Bertoni AG, Kaufman JD, Hajat A. Neighborhood greenspace and risk of type 2 diabetes in a prospective cohort: the Multi-Ethncity Study of Atherosclerosis. Environ Health 2022 ; 21 : 18.

[7] de Keijzer C, Basagaña X, Tonne C, et al.Long-term exposure to greenspace and metabolic syndrome: A Whitehall II study. Environ Pollut 2019 ; 255 (Pt 2) : 113231.

[8] Baker G, Pillinger R, Kelly P, Whyte B. Quantifying the health and economic benefits of active commuting in Scotland. Journal of Transport and Health 2021 ; 22 : 101111.

[9] Gimbert V, Nehmar K. Rapport. Activité physique et pratique sportive pour toutes et tous. Paris : France Stratégie, 2018.

[10] Health Equity Pilot Project. Conclusions and Final Conference. Nutrition : Tim Lobstein, Director of Policy, World Obesity Federation ; Physical activity : Alison Giles, Nick Cavill & Harry Rutter. HEPP, 06.12.2018, Brussels.