ANALYSE D'ARTICLE

Taux sanguins de cadmium et événements cardiovasculaires dans une cohorte suédoise

Réalisée dans une population présentant des taux sanguins de cadmium typiques de ce qui est observé en Europe et aux Etats-Unis, cette étude renforce les preuves d’un effet néfaste de l’exposition à ce toxique pour la santé cardiovasculaire. Ses résultats incitent à poursuivre les efforts de lutte contre le tabagisme et soutiennent l’intérêt de toute mesure visant à limiter les rejets industriels de cadmium dans l’environnement et la contamination des aliments.

This study of people with blood cadmium levels typical of those observed in Europe and the USA confirms the evidence that exposure to the metal is harmful to cardiovascular health. Its findings underline the need for continued efforts against tobacco smoking and for measures to limit food contamination and industrial release of cadmium into the environment.

Plusieurs études épidémiologiques antérieures à celle-ci indiquent que l’exposition au cadmium est un facteur de risque de maladies cardiovasculaires, ce qui s’accorde avec les preuves expérimentales de ses effets pro-athérogènes. Le lien entre l’exposition environnementale et la mortalité de cause cardiovasculaire a été décrit dans cinq cohortes, dont la plus vaste réunissait près de 9 000 participants à la National Health and Nutrition Examination Survey (NHANES 1999-2004), qui ont été suivis pendant cinq ans en moyenne [1]. En revanche, l’impact sur la morbidité n’a été examiné de manière prospective que dans la population amérindienne de la Strong Heart Study, soumise à une exposition relativement forte du fait des sites d’exploitation minière présents sur son territoire et des activités artisanales pratiquées dans la communauté.

 

Première étude longitudinale en Europe

Cette étude a été réalisée dans une sous-population de la Malmö Diet and Cancer Study, qui explore la relation entre l’alimentation et le cancer chez des habitants de Malmö, en Suède. Entre 1991 et 1994, un échantillon aléatoire d’environ la moitié des participants nés entre 1926 et 1945 a été constitué pour un volet « cardiovasculaire » de l’étude. Des 6 103 sujets sélectionnés, 4 819 (âge moyen 57 ans, 59 % de femmes) ont fourni toutes les données nécessaires à la présente investigation, en particulier leur exposition au tabac, qui représente une source importante de cadmium. La consommation a pu être quantifiée en nombre de paquets-années pour la quasi-totalité des fumeurs (1 208 sur 1 276) et la moitié des ex-fumeurs (815 sur 1 628), le reste des sujets (n = 1 915) n’ayant jamais fumé. Par ailleurs, des données relatives à l’exposition passive au tabac (au travail ou au domicile) étaient disponibles pour 3 967 participants.

L’exposition au cadmium a été estimée sur la base du taux sanguin, calculé à partir de la concentration érythrocytaire (la fraction plasmatique du cadmium étant négligeable) et de l’hématocrite. Comme la concentration urinaire (qui n’était pas disponible pour cette étude), le cadmium sanguin représente un biomarqueur de la charge de l’organisme, mais il est plus sensible à des fluctuations de l’exposition (dues par exemple à une modification des habitudes alimentaires ou à un sevrage tabagique), ce qui constitue une limite de l’étude. Le cadmium urinaire, plus stable, présente néanmoins l’inconvénient d’une variabilité interindividuelle en fonction de la physiologie rénale.

Le suivi s’est arrêté au 31 décembre 2010 (soit une durée de 17 à 20 ans) et seules 30 personnes ont été perdues de vue (émigration). Tous les cas, fatals ou non, de syndromes coronariens aigus (SCA) et d’accidents vasculaires cérébraux (AVC) ont été considérés, ainsi que les interventions de reperfusion myocardique (pontages coronariens et angioplasties percutanées) et les décès de cause cardiovasculaire. Les sources étaient trois registres nationaux pour les motifs d’hospitalisation, les causes de décès et les coronarographies/angioplasties, et un registre régional pour les AVC. Seuls les cas incidents ont été retenus (406 SCA et 527 événements cardiaques majeurs en incluant les gestes de reperfusion, 346 AVC dont 281 ischémiques, et 257 décès de cause cardiovasculaire) pour les analyses en fonction du taux sanguin de cadmium réparti par quartile. Comme attendu, l’influence du tabagisme était forte, 62 % des non-fumeurs ayant un taux sanguin de cadmium dans le premier quartile (0,02-0,17 μg/L ; médiane 0,13 μg/L), tandis que 81 % des fumeurs actuels se situaient dans le dernier (0,5-5,1 μg/L ; médiane 0,99 μg/L) qui comptait également une plus forte proportion de sujets ayant de faibles niveaux d’études et d’activité physique que les trois premiers quartiles.

 

Impact sur l’incidence des événements cardiovasculaires

L’analyse principale a été effectuée avec un modèle ajusté sur le sexe, le statut tabagique, la consommation d’alcool, le tour de taille, les niveaux d’études et d’activité physique, ainsi que sur trois variables biologiques identifiées comme des facteurs de confusion potentiels : les triglycérides sanguins, l’hémoglobine glyquée (HbA1c) et la C-reactive protein (CRP).

L’association entre le cadmium sanguin et les événements cardiovasculaires se traduit par un quasi-doublement du risque dans le dernier quartile comparativement au premier : les hazard ratio (HR) sont ainsi de 1,8 (IC95 = 1,2-2,7) pour les SCA et de 1,9 pour les trois autres critères sanitaires considérés : événements cardiaques majeurs (IC95 = 1,3-2,7), AVC (IC95 = 1,3-2,9) et décès de cause cardiovasculaire (IC95 = 1,1-3,2). Des excès de risque (HR supérieurs à 1) sont également observés dans les deuxième et troisième quartiles, sauf pour les AVC, et l’excès est statistiquement significatif dans le troisième quartile pour les événements cardiaques majeurs (HR = 1,5 [1,1-2]).

Les associations tendent à se renforcer pour les SCA (HR = 1,9 [1,2-2,9]) et les AVC (HR = 2,1 [1,3-3,2]) après un ajustement supplémentaire sur différents facteurs de risque cardiovasculaires (statut ménopausique, traitement hormonal de substitution, pression artérielle diastolique, traitement anti-hypertenseur, taux de LDL- et de HDL-cholestérol, traitement hypolipémiant, diabète).

Des résultats similaires à ceux de l’analyse principale sont obtenus quand la population est stratifiée selon l’âge, le sexe, le statut tabagique, le niveau d’études, le tour de taille, le traitement anti-hypertenseur ou le diabète. Les associations sont robustes à différentes analyses de sensibilité, dont deux ont été réalisées pour prendre en compte les limites liées au biomarqueur (l’hématocrite pouvant être considéré comme un facteur de risque cardiovasculaire, les analyses ont été répétées en utilisant le cadmium érythrocytaire à la place du cadmium sanguin, et alternativement en incluant l’hématocrite dans les modèles avec cadmium sanguin ou érythrocytaire). Le tabagisme étant le principal facteur de confusion, deux analyses de sensibilité ont par ailleurs été effectuées, l’une dans la sous-population des sujets pour lesquels la consommation avait pu être quantifiée, et l’autre dans celle des participants dont l’exposition passive était connue. Leurs résultats sont similaires à ceux de l’analyse principale. Enfin, les associations mises en évidence dans la population totale sont retrouvées chez les non-fumeurs, les estimations (produites à partir d’un très petit nombre de cas, seuls 72 non-fumeurs ayant un taux de cadmium sanguin dans le dernier quartile) étant un HR égal à 2,2 pour les AVC (IC95 = 1-4,8) ainsi que les événements cardiaques majeurs (IC95 = 1-4,6), à 2,3 (IC95 = 1-5,1) pour les SCA, et à 2,6 (IC95 = 1-6,9) pour la mortalité cardiovasculaire.

 

Laurence Nicolle-Mir

 

Publication analysée :

Barregard L, Sallsten G, Fagerberg B, et al. Blood cadmium levels and incident cardiovascular events during follow-up in a population-based cohort of Swedish adults: The Malmö Diet and Cancer study. Environ Health Perspect 2016; 124: 594-600.

Occupational and Environmental Medicine, Sahlgrenska University Hospital and University of Gothenburg, Göteborg, Suède.

doi: 10.1289/ehp.1509735

 

[1]Environ Risque Sante. 2013;12:208-209. 3