ANALYSE D'ARTICLE

Analyse poolée des études récentes
sur le champ magnétique et les leucémies de l’enfant

Contexte

Les études se suivent et ne se ressemblent pas ! Dans la dernière méta-analyse de Seomun [1] les auteurs concluaient à une augmentation du risque de leucémie de l’enfant avec l’exposition au champ magnétique (CM) des lignes haute tension. C’est le contraire dans cette analyse poolée de l’équipe de Kheifets, chercheure aguerrie dans ce domaine de recherche puisqu’elle publie depuis bientôt 40 ans sur le risque de leucémie de l’enfant et l’exposition au CM lié au transport électrique.

Cette équipe a publié en 2010 [2] une analyse poolée des études publiées depuis les années 2000, dans l’optique de se comparer aux analyses poolées d’Alhbom [3] et de Greenland [4] de 2000. Rappelons que ces deux dernières publications ont été à la base de la classification des champs électriques et magnétiques de très basses fréquences par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) en 2001.

De nouvelles études épidémiologiques ont été publiées depuis 2010, avec des résultats variables, c’est-à-dire des odds ratios (OR) tantôt > 1, tantôt < 1. Cette nouvelle analyse poolée porte sur ces études, tout en reprenant la même méthodologie que les publications de 2000 et 2010 (indicateur d’exposition, seuil), ce qui les rend comparables.

Méthodologie

Les auteurs ont retrouvé neuf études épidémiologiques sur les leucémies de l’enfant et le CM de très basse fréquence publiées depuis 2000, parmi lesquelles quatre ont été incluses dans l’analyse poolée [5-8]. Les études incluses ont été conservées sur des critères rigoureux et bien décrits. Les études non incluses [9-13] l’ont été car elles présentaient de nombreux biais méthodologiques : dans la constitution du groupe témoin, parfois absence de donnée sur le CM (étude sur la distance seulement) ou faible nombre de sujets.

Les quatre études incluses sont des études cas-témoins, appariées a minima sur le sexe et l’âge et ont des informations sur le statut socio-économique (SES). Les études californienne, danoise et anglaise utilisent comme indicateur d’exposition le CM calculé, qui prend en compte la distance par rapport à la ligne la plus proche et le courant moyen annuel dans cette ligne. L’étude italienne utilise comme indicateur le CM mesuré dans la chambre de l’enfant pendant au moins 24 heures, voire 48 heures dans 80 % de cas. Toutes ont choisi la moyenne géométrique comme indicateur représentatif de l’exposition, CM mesuré ou calculé. Les études californienne et anglaise sont basées sur l’adresse de naissance. L’étude italienne est basée sur l’adresse un an avant le diagnostic, qui était souvent la même que l’adresse de naissance, et l’étude danoise sur celle neuf mois avant le diagnostic.

Les analyses ont pris en compte divers ajustements : âge, sexe, SES, CM mesuré ou calculé, en les combinant entre eux. Les seuils d’exposition sont classiques : < 0,1 μT (référence) ; 0,1-0,4 μT, ≥ 0,4 μT ; les classes d’âge étudiées également : 0-4 ans, 5-9 ans, ≥ 10 ans.

Résultats

Cette analyse poolée porte donc sur 22 128 cas de leucémie de l’enfant, dont seulement 60 ont une évaluation de l’exposition ≥ 0,4 μT, et 27 587 témoins. Deux des études incluses montrent un OR > 1 (les études californienne et danoise) et deux montrent un OR < 1 (les études anglaise et italienne), mais dans tous les cas, les résultats sont « imprécis » (d’après les auteurs de l’analyse poolée), c’est-à-dire que le seuil de significativité n’est pas atteint (tableau 1).

Les analyses poolées, quels que soient les facteurs d’ajustements pris en compte, ont des résultats similaires : « Bien que le nombre de sujets soit faible dans les études individuelles pour les catégories les plus élevées, les résultats sont remarquablement cohérents et ne montrent pas d’association pour la catégorie ≥ 0,4 μT. » Les OR varient entre 0,95 et 1,08, tous sont « imprécis » et non significatifs.

Il n’y a pas d’augmentation du risque pour les expositions les plus élevées, quel que soit le type de leucémie, en particulier les leucémies lymphoïdes aiguës (LLA) – type de leucémie le plus fréquent chez l’enfant –, la période de naissance (selon les décennies), l’âge au diagnostic et le type d’indicateur (CM calculé ou mesuré). Cette étude ne retrouve pas de risque pour les enfants de moins de 10 ans pour tenir compte des différences potentielles de comportement des sujets liées à l’âge, ni pour le groupe d’âge de 0-4 ans, où l’incidence des LLA est maximum. Il n’y a pas d’augmentation de risque, même pour les expositions les plus élevées (≥ 0,65 μT), les risques sont même plus faibles, indiquant des résultats incompatibles avec une relation dose-effet.

En revanche, les auteurs notent un effet période, le risque étant plus élevé pour les périodes de diagnostic les plus anciennes qui sont également celles où les sujets sont moins nombreux et les évaluations d’exposition moins précises. La période la plus ancienne, 1953-1983, montre un OR = 1,54 (0,38-6,28) alors que la plus récente, 1995-2010, montre un OR = 0,71 (0,32-1,55). La même observation est retrouvée en comparant les trois analyses poolées de Ahlbom [3], Kheifets [2] et celle-ci qui ont utilisée des méthodologies comparables (tableau 2).

Conclusion

La conclusion des auteurs est donc claire : « « Contrairement aux analyses poolées précédentes, nous n’avons trouvé aucun risque accru de leucémie chez les enfants exposés aux CM les plus importants dans cet échantillon. [...] Nos résultats ne confirment PAS ceux des précédentes analyses poolées et montrent une diminution de l’effet jusqu’à l’absence d’association entre le CM et la leucémie infantile ».

Commentaire

Le fait que la méthode utilisée et les critères d’inclusions soient comparables entre les trois analyses poolées permet une véritable comparaison des résultats, ce qui est remarquable.

Les résultats montrent une diminution du risque au cours du temps, ce qui avait déjà été montré par l’étude de Bunch en 2014 [14]. Il n’y a pas d’explication évidente à ce résultat. Si la méthodologie des études individuelle était critiquable dans les années 1980, elle s’est grandement améliorée depuis les années 1990. Et si le risque était réel, cette amélioration de la méthodologie aboutirait à une augmentation du risque, s’il était réel, ce qui n’est pas le cas.

Elle ne peut s’expliquer non plus par une décroissance de l’exposition de la population, la consommation d’électricité a augmenté depuis les années 1950. Si tel était le cas, l’exposition diminuerait chez les cas et chez les témoins de la même façon, aboutissant donc à un risque stable. Certes, le nombre de sujets dans la catégorie la plus élevée est faible, mais il l’a toujours été.

Les autres facteurs de risque de leucémie de l’enfant étudiés, comme les infections, le trafic routier ou l’exposition au benzène, ne sont pas certains et n’ont pas été considérés comme des facteurs confondants dans les études sur l’exposition au CM qui les ont pris en compte.

De même, les lois de la physique des champs électromagnétiques n’ont pas changé ! Comme l’indiquait l’étude de Bunch : « Il est peu probable qu’un risque diminuant au fil du temps résulte d’un effet physique des lignes électriques et résulte plus probablement de l’évolution des caractéristiques de la population parmi les personnes vivant à proximité des lignes électriques ».

Cette étude, et surtout les commentaires des auteurs, tranche avec le discours habituellement tenu sur le risque de leucémie de l’enfant lié au CM des lignes à haute tension. La conclusion des trois analyses poolées et reproduite ci-dessous :

  • Ahlbom, 2000 [3] : « En résumé, pour une exposition jusqu’à 0,4 μT, nos données démontrent des risques relatifs proches du niveau sans effet. Pour la très faible proportion (0,8 %) de sujets dont l’exposition est supérieure à 0,4 μT, les données montrent une multiplication par deux, ce qui est peu susceptible d’être dû à une variabilité aléatoire. L’explication de l’estimation du risque élevé est inconnue, mais le biais de sélection peut avoir expliqué une partie de l’augmentation. »
  • Kheifets, 2010 [2] : « En conclusion, nos résultats sont en accord avec les précédentes analyses groupées montrant une association entre l’exposition résidentielle aux champs magnétiques et la leucémie infantile, mais l’association est plus faible dans les études récentes et imprécise en raison du petit nombre d’individus fortement exposés. [...] Par conséquent, nos résultats corroborent les conclusions de l’OMS [15] et du Comité scientifique de l’Union européenne sur les risques sanitaires émergents et nouvellement identifiés [16] que les études récentes sur les champs magnétiques et la leucémie de l’enfant ne modifient pas l’évaluation précédente selon laquelle les champs magnétiques sont peut-être cancérogènes pour l’homme. »
  • Amoon, 2021* : « En conclusion, nos résultats ne montrent pas l’augmentation du risque observée dans l’analyse combinée précédente et, au fil du temps, montrent une diminution de l’effet jusqu’à aucune association entre le CM et la leucémie infantile. Cela pourrait être dû à des problèmes méthodologiques, au hasard ou à une véritable découverte de la disparition d’un effet. Les implications de ce résultat sur la santé publique sont, bien entendu, très différentes selon que la meilleure estimation du risque réel est considérée comme la preuve la plus récente (essentiellement aucune preuve d’un risque élevé) ou comme la preuve agrégée sur l’ensemble de la période (un petit risque élevé). »
  • [1] Seomun G., Lee J., Park J. Exposure to extremely low-frequency magnetic fields and childhood cancer: A systematic review and meta-analysis. PLoS ONE. 2021;16:e0251628. 5
  • [2] Kheifets L., Ahlbom A., Crespi C.M. A pooled analysis of extremely low-frequency magnetic fields and childhood brain tumors. Am J Epidemiol. 2010;172:752-761. 7
  • [3] Ahlbom A., Day N., Feychting M. A pooled analysis of magnetic fields and childhood leukaemia. Br J Cancer. 2000;83:692-698. 5
  • [4] Greenland S., Sheppard A.R., Kaune W.T., Poole C., Kelsh M.A. A pooled analysis of magnetic fields, wire codes, and childhood leukemia. Childhood Leukemia-EMF Study Group. Epidemiology. 2000;11:624-634. 6
  • [5] Bunch K.J., Swanson J., Vincent T.J., Murphy M.F.G. Epidemiological study of power lines and childhood cancer in the UK: further analyses. J Radiol Prot. 2016;36:437-455. 3
  • [6] Kheifets L., Crespi C.M., Hooper C. Residential magnetic fields exposure and childhood leukemia: a population-based case-control study in California. Cancer Causes Control. 2017;28:1117-1123. 10
  • [7] Pedersen C., Johansen C., Schüz J. Residential exposure to extremely low-frequency magnetic fields and risk of childhood leukaemia, CNS tumour and lymphoma in Denmark. Br J Cancer. 2015;113:1370-1374. 9
  • [8] Salvan A., Ranucci A., Lagorio S., Magnani C., SETIL Research Group. Childhood leukemia and 50 Hz magnetic fields: findings from the Italian SETIL case-control study. Int J Environ Res Public Health. 2015;12:2184-2204. 2
  • [9] Auger N., Bilodeau-Bertand M., Marcoux S., Kosatsky T. Residential exposure to electromagnetic fields during pregnancy and risk of child cancer: a longitudinal cohort study. Environ Res. 2019;176:108524.
  • [10] Jirik V., Pekarek L., Janout V., Tomaskova A. Association between childhood leukaemia and exposure to power-frequency magnetic fields in middle Europe. Biomed Environ Sci. 2012;25:597-601. 5
  • [11] Nunez-Enriquez J.C., Correa-Correa V., Flores Lujano J. Extremely low-frequency magnetic fields and the risk of childhood B-lineage acute lymphoblastic leukemia in a city with high incidence of leukemia and elevated exposure to ELF magnetic fields. Bioelectromagnetics. 2020;41:581-597. 8
  • [12] Sohrabi M.R., Tarjoman T., Abadi A., Yavari P. Living near overhead high voltage transmission power lines as a risk factor for childhood acute lymphoblastic leukemia: a case-control study. Asian Pac J Cancer Prev. 2010;11:423-427. 2
  • [13] Tabrizi M.M., Bidgoli S.A. Increased risk of childhood acute lymphoblastic leukemia (ALL) by prenatal and postnatal exposure to high voltage power lines: a case control study in Isfahan, Iran. Asian Pac J Cancer Prev. 2015;16:2347-2350. 6
  • [14] Bunch K.J., Keegan T.J., Swanson J., Vincent T.J., Murphy M.F.G. Residential distance at birth from overhead high-voltage powerlines: childhood cancer risk in Britain 1962-2008. Br J Cancer. 2014;110:1402-1408. 5
  • [15] World Health Organization. Extremely low frequency fields. Environmental Health Criteria 238. Environmental Health Criteria Monograph. Genève: World Health Organization, 2007.
  • [16] Scientific Committee on emerging and newly identified health risks. Possible effects of electromagnetic fields (EMF) on human health. Bruxelles : European Commission, 2007.

Publication analysée :

* Amoon AT, Swanson J, Magnani C, Johansen C, Kheifets L. Pooled analysis of recent studies of magnetic fields and childhood leukemia. Environmental Research 2021 ; 204 : 111993. Doi : 10.1016/j.envres.2021.111993.