ANALYSE D'ARTICLE

Associations entre radioactivité de particules atmosphériques ambiantes et pression sanguine dans l’étude NAS

Les potentiels effets sur l’appareil circulatoire d’expositions à de faibles niveaux de rayonnements ionisants, tels qu’ils peuvent être rencontrés dans l’environnement, sont mal caractérisés. Par ailleurs, concernant la pollution de l’air ambiant, bien que les concentrations de particules atmosphériques (particulate matter ou PM) mesurées en masse soient associées à la morbidité cardiovasculaire et à une pression artérielle (PA) élevée, les propriétés de ces particules (ex : composants), contribuant le plus à ces effets, ne sont pas identifiées de manière certaine. Les auteurs de cette étude ont souhaité évaluer si la PA augmentait en fonction des niveaux de radioactivité mesurés dans les particules atmosphériques de l’air ambiant.

L’étude a consisté en une analyse de mesures répétées chez 852 hommes participant à la Normative Aging Study (NAS), une étude longitudinale menée dans la région de Boston (Massachussets, États-Unis) entre 1998 et 2013, pour examiner les associations entre l’exposition aux particules et la PA, mesurée une à sept fois à l’occasion de visites médicales (dans un intervalle de trois à cinq ans), en utilisant des modèles de régression à effets mixtes ajustés sur des covariables. L’âge moyen des hommes à la visite initiale était de 70 ans. Les auteurs ont utilisé, en tant que mesure approximative de la radioactivité, l’activité bêta globale, mesurée par le réseau de surveillance du rayonnement RAdNet de l’United States Environmental Protection Agency (US EPA), dont l’objectif est la détection de potentielles variations anormales en cas d’accident. Cette mesure ne permet pas de connaître les radionucléides présents dans les particules, ce qui empêche par la suite d’évaluer les doses absorbées dans les tissus et organes de personnes exposées. Une valeur moyenne unique d’exposition a toutefois été estimée pour chaque journée et pour l’ensemble de la population d’étude résidant dans l’est du Massachusetts. Le design employé correspondait donc à une étude semi-écologique temporelle.

Des associations statistiquement significatives (p < 0,001) ont été observées entre la PA (diastolique comme systolique) et la masse de PM2,5, mais aussi avec la concentration de noir de carbone, le nombre de particules et la radioactivité mesurée dans les particules. Une augmentation de l’exposition à la radioactivité mesurée dans les particules a été associée à une augmentation des PA diastolique et PA systolique, pour des expositions moyennées sur le jour de la mesure et sur les jours précédents (moyennes mobiles) jusqu’à 28 jours. Une augmentation de l’intervalle interquartile de l’exposition à la radioactivité dans les particules moyennée sur 28 jours a été associée à une augmentation de la PA diastolique de 2,95 mmHg (intervalle de confiance (IC) à 95 % : 2,25-3,66) et à une augmentation de la PA systolique de 3,94 mmHg (IC 95 % : 2,62-5,27). Ces associations sont restées stables et significatives dans les modèles ajustés sur la masse de PM2,5. Ces associations ont été atténuées dans les modèles ajustés sur le nombre de particules et sur les concentrations de noir de carbone, mais sont demeurées statistiquement significatives pour la plupart des fenêtres d’exposition considérées.

Commentaire

Il est établi que des doses de rayonnements ionisants à des niveaux supérieurs à 0,5 gray environ peuvent être associées à des augmentations de risque de pathologies de l’appareil circulatoire, comme des infarctus du myocarde ou des accidents vasculaires cérébraux. En dessous de ces niveaux de doses, des associations ont également pu être observées par certaines études épidémiologiques, mais de manière inconstante. Si cela ne permet pas de conclure à l’absence d’effet, à ce jour, le manque de données sur de nombreux facteurs de risque de pathologies circulatoires dans les cohortes ayant pu rapporter des associations à faibles doses ne permet pas encore de lever les doutes quant à l’influence potentielle de facteurs de confusion. Très récemment toutefois, une étude menée chez des travailleurs russes du complexe militaro-industriel de Mayak en Russie a tout de même montré une légère augmentation du risque d’hypertension associé à une dose moyenne externe de 70 milligrays après ajustement sur plusieurs facteurs de risque dont le tabac et l’alcool [1].

L’étude de Nyhan et al. visait à caractériser la relation entre des variations à court terme de la tension artérielle et l’exposition à la radioactivité présente dans les particules de l’air ambiant, ainsi qu’à deux autres constituants de ces particules ou caractéristiques d’expositions (noir de carbone et nombre de particules), en plus de leur masse totale (en particules fines PM2,5) qui est l’indicateur habituellement utilisé. La méthode employée a fait appel à des hypothèses classiquement utilisées dans le domaine de l’étude des effets à court terme de la pollution atmosphérique (erreurs de Berkson : les erreurs sur les mesures individuelles de l’exposition se moyennent entre elles, ce qui a pour conséquence que la mesure de l’association entre exposition moyenne et état de santé n’est pas biaisée). Une association positive et statistiquement significative a été observée entre la radioactivité des particules et la tension artérielle.

Si l’observation de cette association statistique est intéressante, il convient de souligner plusieurs points. À défaut de connaître la dose délivrée, l’activité bêta totale après cinq heures de décroissance des aérosols prélevés, qui est choisie comme indicateur d’exposition, n’est pas nécessairement la plus pertinente. Une analyse de sensibilité en considérant d’autres durées de décroissance pourrait être indiquée. Même si elle n’a pas été formellement quantifiée, la dose susceptible d’être délivrée aux tissus par les particules inhalées, même en l’estimant selon des hypothèses majorantes pour pallier les manques d’information, est extrêmement faible (au maximum, quelques dizaines de micrograys pour un an d’exposition). Cette dose est bien inférieure à celles pour lesquelles de nombreuses autres études plus larges ne sont pas parvenues à mettre en évidence des effets sur les risques cardiovasculaires. Elle est largement inférieure également aux niveaux de doses délivrées par le rayonnement gamma tellurique et cosmique naturel, sans parler des doses dues à l’inhalation de radon. Enfin, de nombreux autres composants des particules atmosphériques pouvant générer du stress oxydatif ou une inflammation – et in fine potentiellement une augmentation de tension artérielle – n’ont pas été mesurés dans cette étude. Il n’est donc pas possible d’apprécier leurs corrélations avec les niveaux de radioactivité dans les particules et les éventuels effets de confusion associés.

En conclusion, si l’on ne peut pas formellement écarter la possibilité d’un effet, il convient de rester très prudent quant à un éventuel jugement de causalité sur l’association observée dans cet article. Il semblerait important de mesurer également d’autres composants toxiques des particules atmosphériques pour évaluer leurs corrélations avec la faible radioactivité présente dans celles-ci. En parallèle, la plausibilité de variations de tension artérielle à court terme, associée à de si faibles doses, pourrait également être testée de manière expérimentale dans des conditions d’exposition comparables. Certaines études expérimentales testant l’effet de faibles doses dans d’autres conditions (ex : exposition chronique au césium-137 à faibles doses) n’ont pas permis de mettre en évidence d’effet hypertenseur [2].

  • [1] Azizova T., Briks K., Bannikova M., Grigoryeva E. Hypertension incidence risk in a cohort of russian workers exposed to radiation at the mayak production association over prolonged periods. Hypertension. 2019;73:1174-1184.
  • [2] Guéguen Y., Lestaevel P., Grandcolas L. Chronic contamination of rats with 137 cesium radionuclide: impact on the cardiovascular system. Cardiovasc Toxicol. 2008;8:33-40. 1

Publication analysée :

* Nyhan MM, Coull BA, Blomberg AJ, et al. Associations between ambient particle radioactivity and blood pressure: the NAS (Normative Aging Study). Journal of the American Heart Association 2018 ; 7(6). pii: e008245. doi :10.1161/JAHA.117.008245

1 Harvard T.H. Chan School of Public Health Harvard University, Boston