ANALYSE D'ARTICLE

Champ magnétique 50 Hz et leucémies de l’enfant :
une nouvelle méta-analyse

Contexte

La question de l’augmentation du risque de cancer liée à une exposition au champ magnétique 50 Hz agite la communauté scientifique depuis la fin des années 1970, sans que la réponse ne soit tranchée. Les auteurs de cette nouvelle analyse arguent que c’est la première fois que toutes les études épidémiologiques sont incluses dans une méta-analyse.

Pour rappel, la première méta-analyse a été publiée en 1996 par Meinert [1] et la dernière avant celle analysée ici l’a été en 2018 par Amoon [2]. Certaines concernent les études sur la distance par rapport aux lignes électriques haute tension, et d’autres les expositions évaluées en μT (mesure ou calcul). Les résultats de ces études précédentes sont résumés dans le tableau 1. Les odds ratio (OR) varient de 0,8 à 2,4 selon l’indicateur d’exposition choisi.

Méthodologie

La méthodologie indique que toutes les études épidémiologiques basées sur des mesures ou des calculs, portant sur les cancers de l’enfant et publiées en langue anglaise jusqu’à janvier 2020, ont été incluses. Les études de cohorte ont été exclues de la méta-analyse mais font partie de la revue systématique. Les auteurs ont suivi les recommandations Cochrane et PRISMA pour conduire leur méta-analyse. Les calculs ont été faits avec le logiciel RevMan de Cochrane.

Le risque de biais dans chaque étude a été évalué sur l’échelle Newcastle-Ottawa (NOS) de 0 à 9 étoiles, 0 étoile représentant la meilleure méthodologie (minimisation des biais). L’hétérogénéité a été étudiée avec le Q test ; si p < 0,1, on retient une hétérogénéité entre le résultat des études. Le test I2 a été utilisé pour quantifier cette hétérogénéité ; si I2 > 50 %, on retient qu’elle est grande. Le risque de biais de publication a été examiné visuellement par le graphique en entonnoir de la taille de l’effet d’une étude par rapport à l’erreur standard (funnel plot) ; si p (bilatéral) < 0,05, le biais a été considéré comme statistiquement significatif.

Un graphique décrit parfaitement le déroulement de la sélection des études à partir des bases de données (de 1946 à la semaine 3 de 2020), EMBASE (de 1988 à la semaine 3 de 2020), et Web of Science (de 1995 à la semaine 3 de 2020). Trente-trois études ont ainsi été incluses, dont 30 études cas-témoins : 12 traitent de tous les cancers, 18 seulement des leucémies, et une seulement des tumeurs cérébrales.

Résultats

La revue de la littérature rapporte les résultats pour chaque étude en fonction des niveaux d’exposition retenus qui vont de ≥ 0,13 à ≥ 1,3 μT (en moyenne) en considérant que les expositions des sujets pris comme témoins vont de 0,001 à < 0,45 μT (par exemple, Ba Hakim [3] n’a que deux classes d’exposition, < 0,3 et ≥ 0,3 μT, de même que Feizi [4] dont le seuil est à 0,45 μT). Les trois études de cohorte ont rapporté des augmentations de risque non significatives.

La méta-analyse porte sur les 30 études cas-témoins sur les 33 sélectionnées qui regroupent 186 223 participants. Il s’agit en fait de plusieurs méta-analyses, une par pathologie (leucémies, tumeurs cérébrales, tous cancers). Les mesures ponctuelles et les mesures sur un plus long terme (moyenne de 20 min à 48 heures selon les études) ne sont pas différenciées. Les mesures qualifiées de « plus long terme » sont des mesures qui ont été moyennées sur quelques minutes à quelques heures, le plus souvent 24 heures. La méta-analyse n’a pas été réalisée pour les quatre études qui portent sur les lymphomes de l’enfant.

Leucémie

La méta-analyse porte sur 27 études qui regroupent un total de 45 029 cas et 55 376 témoins. Les études qui ont le plus de poids sont des études ayant une bonne méthodologie, validées par les pairs et, le plus souvent, reprises dans les expertises collectives : Linet [5] et Mc Bride [6], ainsi que celle de Jirik [7] (pour les expositions ≥ 0,4 μT). Les résultats sont présentés dans le tableau 2. Les auteurs indiquent qu’il n’y a ni hétérogénéité des résultats, ni biais de publication. Ils considèrent qu’une relation dose-effet existe.

Un test de sensibilité a été réalisé sur un groupe de 11 études dont l’indicateur d’exposition est la mesure directe du champ magnétique, en excluant les études de Kroll [8] et de Bunch [9] dont « le nombre de cas identifiés étaient très faibles parmi tous les participants », c’est-à-dire peu de cas exposés dans les études ayant inclus le plus grand nombre de sujets ! Les résultats montrent alors un OR de 1,27 (IC 95 % : 1,05-1,53) pour une exposition ≥ 0,2 μT et de 1,44 (IC 95 % : 0,95-2,17) pour une exposition ≥ 0,4 μT.

Tumeurs cérébrales

La méta-analyse porte sur 10 études qui regroupent un total de 21 582 cas et 29 463 témoins. Les résultats sont présentés dans le tableau 3. Les tests montrent une hétérogénéité des résultats pour les expositions ≥ 0,4 μT, et pas de biais de publication. Il n’y a pas d’augmentation du risque de tumeurs cérébrales chez les enfants : pour une exposition ≥ 0,2 μT, l’OR est de 0,95 (IC 95 % : 0,59-1,56) sur sept études, et pour une exposition ≥ 0,4 μT, l’OR est de 1,25 (IC 95 % : 0,45-3,45) sur six études.

Tous cancers

La méta-analyse porte sur huit études qui regroupent un total de 8 322 cas et 20 264 témoins. L’hétérogénéité entre les résultats des études est modérée et l’analyse montre un biais de publication. Il n’y a pas d’augmentation du risque de cancer chez les enfants : pour une exposition ≥ 0,2 μT, l’OR est de 1,1 (IC 95 % : 0,70-1,75) sur quatre études, et pour une exposition ≥ 0,4 μT, l’OR est de 2,10 (IC 95 % : 0,89-4,52) sur un groupe de quatre autres études.

Conclusion

Pour les auteurs, cette méta-analyse de l’ensemble des analyses publiées montre une association « forte » entre l’exposition au champ magnétique des lignes de transport et le risque de leucémie de l’enfant, avec une relation dose-effet. Pour les tumeurs cérébrales, ils estiment que leurs résultats sont du même ordre de grandeur que les publications précédentes, et c’est la première fois qu’est réalisée une méta-analyse « tous cancers » pour les enfants. Dans cette conclusion, on ne parle plus « que » de 36 000 cas de leucémies incluses.

Commentaires

La méthodologie de cette étude semble rigoureuse et bien conduite. Toutefois, les chiffres varient d’un chapitre de la publication à l’autre et il est difficile de s’y retrouver.

De notre point de vue, mettre ensemble des études dont la définition des témoins diffère est difficilement compréhensible. Comment comparer des témoins avec une exposition nulle (oui, cela existe dans certaines publications) avec des témoins dont l’exposition est < 0,1 μT, < 0,3 ou 0,4 μT ? Il n’y a pas que l’homogénéité globale entre les résultats des études qui intervient.

L’indicateur de l’exposition est, une fois encore, un amalgame de plusieurs indicateurs entre des mesures ponctuelles (une fois dans l’habitation), des mesures « long terme » qui sont le plus souvent une mesure dans la chambre de l’enfant quelques minutes ou heures, un jour ou une nuit, censées représenter une exposition tout au long de l’année... de l’habitation, etc.

Enfin, le test de sensibilité est-il bien choisi ? Prendre en compte toutes les mesures réellement effectuées en excluant l’exposition calculée est une bonne chose. Mais, d’une part, cet indicateur est loin d’être un indicateur d’exposition long terme, et d’autre part, l’exclusion des études de Bunch [9] et Kroll [8] ne se justifie pas. Cela augmente artificiellement le niveau de l’OR car ces études montrent que l’exposition telle que définie est très rare. Les expositions ≥ 0,2 μT concernent 2,59/10 000 enfants dans l’étude de Kroll et 2,61/10 000 enfants dans l’étude de Bunch. Celles ≥ 0,4 μT concernent 1,55/10 000 enfants dans l’étude de Kroll et 0,78/10 000 enfants dans l’étude de Bunch, ce qui confirme la rareté de l’exposition. Une méta-analyse sera toujours dépendante d’une étude ayant un résultat élevé, en l’occurrence ici, l’étude de Dockerty [10]. Les refaire en ajoutant d’autres études n’y changera rien !

  • [1] Meinert R., Michaelis J. Meta-analyses of studies on the association between electromagnetic fields and childhood cancer. Radiat Environ Biophys. 1996;35:11-18. 1
  • [2] Amoon A.T., Crespi C.M., Ahlbom A. Proximity to overhead power lines and childhood leukaemia: an international pooled analysis. Br J Cancer. 2018;119:364-373. 3
  • [3] Ba Hakim AS, Rahman NB, Mokhtar MZ, et al. ELF-EMF correlation study on distance from overhead transmission lines and acute leukemia among children in Klang Valley, Malaysia. In: IEEE conference on biomedical engineering and sciences (IECBES), 2014. IEEE, 2014 : 710-4.
  • [4] Feizi A.A., Arabi M.A. Acute childhood leukemias and exposure to magnetic fields generated by high voltage overhead power lines - a risk factor in Iran. Asian Pac J Cancer Prev. 2007;8:69-72. 1
  • [5] Linet M.S., Hatch E.E., Kleinerman R.A. Residential exposure to magnetic fields and acute lymphoblastic leukemia in children. N Engl J Med. 1997;337:1-7. 1
  • [6] McBride M.L., Gallagher R.P., Thériault G. Power-frequency electric and magnetic fields and risk of childhood leukemia in Canada. Am J Epidemiol. 1999;149:831-842. 9
  • [7] Jirik V., Pekarek L., Janout V., Tomaskova H. Association between childhood leukaemia and exposure to power-frequency magnetic fields in middle Europe. Biomed Environ Sci. 2012;25:597-601. 5
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  • [9] Bunch KJ, Keegan TJ, Swanson J, Vincent TJ, Murphy MFG. Residential distance at birth from overhead high-voltage powerlines: childhood cancer risk in Britain 1962-2008. Br J Cancer 2014 ; 110 (5) : 1402-8.
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Publication analysée :

* Seomun G, Lee J, Park J. Exposure to extremely low-frequency magnetic fields and childhood cancer: A systematic review and meta-analysis. PLoS ONE 2021 ; 16(5) : e0251628. Doi : 10.1371/journal.pone.0251628.