ANALYSE D'ARTICLE

Concentrations sériques des composés perfluorés et maladies cardiovasculaires dans la NHANES

Cette analyse des données de la National Health and Nutrition Examination Survey (NHANES) suggère un lien entre l’exposition aux substances perfluoroalkylées (PFAS) et les maladies cardiovasculaires. Elle contribue à combler le manque d’études sur le sujet et incite à engager des travaux susceptibles d’établir et d’expliquer cette relation.

Le rôle potentiel de l’exposition aux PFAS dans les troubles du métabolisme glucidique ou lipidique a déjà fait l’objet d’un certain nombre d’investigations en population générale. L’effet sur d’autres paramètres cliniques ou biologiques prédictifs du risque cardiovasculaire (surpoids, syndrome métabolique, hyperuricémie) a plus rarement été examiné. Si les rapports manquent de cohérence, certaines observations – en particulier l’association généralement retrouvée entre les concentrations sériques des PFAS et celles du cholestérol total, de sa fraction LDL et des triglycérides – incitent à examiner directement la relation entre l’exposition et les maladies cardiovasculaires.

Une première étude en ce sens a été conduite dans la population adulte de la NHANES (constituant un échantillon représentatif de la population états-unienne non institutionnalisée) et publiée en 2012. Son ampleur était limitée par le nombre de sujets inclus (1 216 participants aux cycles 1999-2000 et 2003-2004) et la focalisation sur l’acide perfluorooctanoïque (PFOA), l’un des deux principaux contaminants (avec le sulfonate de perfluorooctane [PFOS]) en termes de taux de détection et de concentration sérique. La maladie cardiovasculaire (MCV) était définie par un diagnostic médical (auto-rapporté) de coronaropathie et/ou d’accident vasculaire cérébral (AVC). L’odds ratio (OR) dans le dernier quartile des concentrations de PFOA (versus le premier quartile pris pour référence) était égal à 2,01 (IC95 : 1,12-3,60) avec une tendance dose-réponse significative après ajustement sur l’âge, le sexe, l’ethnicité, le niveau d’études, le tabagisme, la consommation d’alcool, l’indice de masse corporelle (IMC), le niveau du cholestérol total et un diagnostic de diabète ou d’hypertension artérielle (HTA).

Exploration approfondie

Pour cette deuxième investigation dans la NHANES, les auteurs ont considéré 12 PFAS et élargi la définition d’une MCV, qui incluait insuffisance cardiaque congestive, coronaropathie, angor, infarctus du myocarde et AVC (ces pathologies restant auto-rapportées par les participants interrogés sur la présence de maladies diagnostiquées par un médecin). Les données de sept cycles (de 1999-2000 à 2013-2014) ont été exploitées, portant la population évaluable à 10 859 participants. Aux covariables prises en compte précédemment, ont été ajoutés le niveau d’activité physique, les antécédents familiaux de MCV, le niveau des revenus de la famille (par rapport au seuil de pauvreté), l’apport calorique total (rappel alimentaire des 24 h) et la cotinine sérique.

Différentes analyses ont été réalisées pour explorer la relation entre le niveau des PFAS totaux (ou pris individuellement) et la présence d’une MCV (ou de chaque pathologie incluse), ainsi que les effets modificateurs potentiels de facteurs socio-démographiques (âge, sexe, ethnicité, niveaux d’études et de revenu), liés au mode de vie (consommation de tabac et d’alcool, activité physique) ou à une condition de santé particulière (diabète, HTA, surpoids/obésité, antécédents familiaux de MCV).

Principaux résultats

La prévalence de la MCV augmente avec la concentration sérique des PFAS totaux : les OR sont égaux à 1,23 (IC95 : 0,91-1,66) dans le deuxième quartile (12,11 à 20,61 ng/mL), à 1,47 (1,14-1,89) dans le troisième (20,61-33,63 ng/mL) et à 1,45 (1,06-1,98) dans le dernier (p [tendance] = 0,0166). L’entrée dans le modèle de deux covariables supplémentaires (protéines sériques totales et taux de filtration glomérulaire) renforce les estimations (OR dans le dernier quartile = 1,54 [1,12-2,11]).

Considérant chaque composé individuellement, des associations positives significatives sont mises en évidence avec l’acide perfluoroundécanoïque (PFUA) et le 2-(N-méthyl perfluorooctane sulfonamide) acétate (MPAH), ainsi que quatre composés mineurs (détectés dans 30 à 65 % des échantillons à de faibles niveaux de concentration) : le 2-(N-éthyl perfluorooctane sulfonamide) acétate (EPAH), l’acide perfluorododécanoïque (PFDO), le perfluorooctane sulfonamide (PFSA) et le perfluorobutane sulfonate (PFBS). L’ajustement supplémentaire sur les protéines totales et le taux de filtration glomérulaire fait émerger deux autres associations significatives avec les acides perfluorononanoïque (PFNA) et perfluorodécanoïque (PFDE). Par ailleurs l’insuffisance cardiaque apparaît spécifiquement associée aux concentrations sériques de MPAH et de PFDO, la coronaropathie à celles des PFUA, PFDE et PFNA, l’angor aux niveaux du PFUA et du PFDO, et l’infarctus au PFNA.Les analyses en sous-groupes identifient plusieurs facteurs (dont l’âge, le sexe, l’ethnicité, les niveaux de revenus et d’études, la consommation d’alcool, les antécédents familiaux et le diabète) qui modifient l’association entre les PFAS totaux et les MCV dans leur ensemble, mais aucun n’apparaît être un facteur prédictif significatif (p [interaction] constamment > 0,10).

L’arrêt graduel de la production de PFOS et de PFOA aux États-Unis depuis l’année 2000 se traduit par une nette tendance à la baisse des concentrations sériques des PFAS totaux (la valeur médiane est passée d’environ 45 ng/mL [cycle 1999-2000 : 1 031 échantillons analysés] à 15 ng/mL [cycle 2013-2014 : 1 761 échantillons]), malgré l’émergence de nouveaux produits comme le PFNA et le sulfate de perfluorohexane (PFHxS) qui ont rejoint le groupe des quatre PFAS détectables dans plus de 98,5 % des échantillons. La même tendance est observée en Europe et en Australie (tandis que la production industrielle de PFOS s’accroît en Chine), mais elle n’éteint pas les préoccupations sanitaires liées à l’exposition des populations à ces composés, étant donné leur grande résistance à la biotransformation et à la dégradation environnementale.

Rappelant que les MCV sont la première cause de décès dans le monde, les auteurs appellent à explorer la toxicité cardiovasculaire potentielle des PFAS sous l’angle épidémiologique (par des études longitudinales) et mécanistique (sans se limiter à la piste de la dyslipidémie, d’autres effets des PFAS pouvant altérer la fonction cardiovasculaire).


Publication analysée :

* Huang M1, Jiao J, Zhuang P, Chen X, Wang J, Zhang Y. Serum polyfluoroalkyl chemicals are associated with risk of cardiovascular diseases in national US population. Environ Int 2018 ; 119 : 37-46. doi : 10.1016/j.envint.2018.05.051

1 National Engineering Laboratory of Intelligent Food Technology and Equipment, Zhejiang Key Laboratory for Agro-Food Processing, Fuli Institute of Food Science, College of Biosystems Engineering and Food Science, Zhejiang University, Hangzhou, Zhejiang, Chine.