Contaminants

Nanotechnologies

Elisabeth Gnansia

Engie
Pôle Santé-Environnement, Paris

Volume 19, numéro 2, Mars-Avril 2020

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ANALYSE D'ARTICLE

Étude épigénétique des nanomatériaux manufacturés : les dommages collatéraux sont-ils inévitables ?

Les nanomatériaux manufacturés (NMM) sont de plus en plus utilisés dans des domaines variés, et les travailleurs concernés sont donc de plus en plus exposés, induisant un risque théorique de « nanotoxicité ». C’est la raison pour laquelle il apparaît important d’évaluer ce risque et d’établir un profil toxicologique de ces NMM, particulièrement dans les milieux de la biomédecine et des biocapteurs.

De nombreuses études « toxico-omiques » ont été menées sur les NMM, mais l’on manque d’un modèle spécifique d’évaluation des risques pour l’espèce humaine qui tienne compte des modulations épigénétiques en jeu lors d’expositions à ces toxiques « modernes ». Cette revue de la littérature a pour but de mettre en évidence les caractéristiques des NMM qui rendent difficile l’évaluation correcte des risques sanitaires, en proposant des thèmes de recherche qui pourraient aider à élaborer et à mettre en œuvre des lignes directrices utiles à l’évaluation de ce que les auteurs qualifient de « nanorisques ».

Tout d’abord, la littérature relative à la caractérisation physico-chimique et au comportement toxicologique des NMM a été analysée. Le rôle des paramètres, tels que taille, forme, charge électrique, caractère hydrophobe/hydrophile, est essentiel puisque ces paramètres conditionnent la pénétration des NMM dans la cellule (par des mécanismes de pinocytose, endocytose ou phagocytose), et probablement leur toxicité. Comprendre le ou les mécanisme(s) impliqué(s) dans la pénétration dans la cellule et le trafic intracellulaire des NMM est essentiel pour évaluer leur fonction, leur bio-distribution, leur toxicité et aussi leur efficacité thérapeutique. Une fois que les NMM ont pénétré dans les tissus, ils forment avec les liquides biologiques un complexe dit « protéine-couronne ». Lors de l’interaction avec le liquide biologique, une sorte de couronne est formée autour des NMM, qui les transforme en une entité biologique nouvelle, laquelle a une action sur la réponse cellulaire et éventuellement une toxicité. Ce complexe représente l’identité réelle des NMM dans un milieu biologique qui conditionne leur devenir dans l’organisme : circulation, biodistribution, biodisponibilité, clairance.

Les NMM sont enfin susceptibles de provoquer des modifications épigénétiques qui sont stables et héritables. Elles résultent de trois types de mécanismes, eux-mêmes interconnectés : la méthylation de l’ADN, la modification des histones (protéines qui entourent l’ADN) et la régulation des acides ribonucléiques (ARN) non codants, susceptibles de moduler l’expression des gènes. Des travaux récents suggèrent la possibilité d’une toxicité épigénétique des NMM. Des études in vivo et in vitro font état de modifications des histones et d’altérations de l’expression des miRNAs (ARN mitochondrial). Des effets épigénétiques ont été observés en fonction des propriétés physiques, c’est-à-dire la forme et la taille des NMM, mais aussi leur concentration.

Les difficultés rencontrées pour la mesure des expositions, l’incertitude concernant la relation entre propriétés physico-chimiques et toxicité des NMM, ou encore la complexité des relations dose-réponse, rendent difficile l’application des méthodes classiques d’évaluation des risques. Parvenir à une approche correcte d’évaluation de ces risques spécifiques par l’établissement de lignes directrices pour l’évaluation des expositions pourrait aider grandement les actions de gestion des risques et la stratégie de communication pour ce qui est de la protection et de la sécurité des personnes exposées.

L’objectif ambitieux exprimé dans cet article est de constituer une base de données centralisée sur la toxicité des NMM. Elle permettrait de développer des lignes directrices sur ce qui est acceptable ou non pour protéger la santé des personnes exposées et cela ne peut se faire sans une collaboration étroite entre scientifiques de l’industrie et du monde académique, avec une gouvernance assurée par les gouvernements et les agences réglementaires. Cette collaboration pourrait déboucher sur des procédures d’évaluation des risques incluant des tests épigénétiques et des méthodologies à définir en fonction des moyens modernes d’analyse physico-chimique. L’objectif est évidemment d’aboutir à une stratégie de consensus pour une protection effective de la santé publique. L’article de Gedda et al. est détaillé et explique précisément les concepts auxquels il est fait allusion, mais l’on peut regretter des redondances et un travail qui oscille entre, d’une part, une description de l’existant avec une revue exhaustive des connaissances disponibles sur les différents sujets abordés et, d’autre part, des propositions de stratégies de tests non abouties.


Publication analysée :

* Gedda MR, Babele PK, Zahra K, Madhukar P. Epigenetic aspects of engineered nanomaterials: is the collateral damage inevitable? Front Bioeng Biotechnol 2019 ; 7 : 228. doi : 10.3389/fbioe.2019.00228

1 Department of Biochemistry, Institute of Science, Banaras Hindu University, Varanasi, India