ANALYSE D'ARTICLE

Exposition prénatale aux PBDE et neurodéveloppement : état des lieux de la littérature

La majorité des études ayant examiné les compétences cognitives, comportementales ou motrices d’enfants en relation avec leur exposition prénatale aux polybromodiphényléthers (PBDE) soutient un effet délétère de ces composés. Cette littérature présente toutefois des failles qui empêchent une conclusion définitive selon les auteurs de cet article. Ils appellent les investigateurs à uniformiser leurs pratiques et à s’intéresser de plus près au mécanisme de toxicité.

Seize études publiées entre août 2009 et avril 2018 ont été rassemblées pour ce bilan des preuves d’effets neurodéveloppementaux de l’exposition prénatale aux PBDE. Le précédent travail de ce type, embrassant les trois grands domaines du développement neurologique de l’enfant – la cognition, le comportement et la motricité – datait de 2014. Il reposait sur huit études publiées jusqu’en novembre 2013, dont cinq rapportaient les effets de l’exposition in utero (estimée par la mesure des concentrations dans le sang maternel ou du cordon) et ont été conservées pour cette mise à jour. Les trois autres, fondées sur des mesures dans le lait maternel (indicatives de l’exposition en période prénatale mais ne permettant pas de la distinguer de l’exposition postnatale) ou dans le sang de l’enfant, ont été écartées. Deux revues ont par ailleurs été publiées en 2017, focalisées sur le domaine cognitif pour l’une [1], et comportemental pour l’autre, mêlant des études d’exposition pré- et postnatale.

La mise en évidence expérimentale d’effets perturbateurs endocriniens des PBDE sur l’axe thyroïdien et la connaissance du rôle crucial des hormones thyroïdiennes maternelles pour le bon développement du cerveau fœtal ont conduit à l’hypothèse d’altérations relatives à une carence d’apport, avec une différence de sensibilité possible liée au sexe du fœtus. La prise en compte de ces facteurs potentiellement modificateurs ou explicatifs de la relation PBDE-neurodéveloppement a été examinée.

Caractéristiques des études incluses

Le matériel des 16 études sélectionnées (à partir d’une recherche via PubMed et Web of Science limitée aux articles en anglais) provenait de neuf cohortes de naissances dont trois européennes (Espagne [INMA], France [PELAGIE] et Pays-Bas [COMPARE]), trois asiatiques (Chine, Corée et Taïwan) et trois américaines, qui avaient donné lieu à plusieurs analyses (cohortes HOME de l’Ohio [six articles], CHAMACOS de Californie [deux articles] et WTC de New York [exposition consécutive aux attentats du 11 septembre 2001 sur le World Trade Center : deux articles]). La taille de la population allait de 36 (cohorte taïwanaise) à 622 (CHAMACOS) participantes et les enfants avaient été suivis pendant un à douze ans. De nombreux PBDE avaient généralement été mesurés (dans le sang maternel prélevé durant la grossesse ou lors de l’accouchement [dix études] ou dans le sang du cordon [six]) ; les auteurs se sont concentrés sur les résultats rapportés pour les congénères les plus prévalents (BDE 47, 99, 100 et 153) ou la somme de leurs concentrations. L’exposition avait été mesurée antérieurement à l’année 2004 (marquant l’interdiction des formulations penta et octa dans l’Union européenne et l’arrêt volontaire de leur production aux États-Unis) dans les cohortes WTC, CHAMACOS, INMA et COMPARE, et sept analyses (dans les cohortes HOME et PELAGIE) s’appuyaient sur des mesures réalisées entre 2002 et 2006. En Asie, aucune réglementation n’est venue réduire l’usage des PBDE avant 2016 (à Taïwan).

Impression d’ensemble

Respectivement 13, 12 et neuf études rapportaient les effets de l’exposition sur des aspects du développement cognitif, comportemental et moteur. Une multitude d’échelles avaient été utilisées, ce qui rend les études difficilement comparables, mais toutes étaient des outils de mesure validés et appropriés aux âges des enfants évalués. D’autres problèmes sont plus importants aux yeux des auteurs.

Si les résultats dans les trois domaines dessinent un ensemble cohérent, suggérant fortement la neurotoxicité développementale des PBDE, la relation est mal caractérisée. Certains investigateurs l’ont examinée à travers la répartition des scores aux tests neurocomportementaux dans leur population (par des analyses de régression linéaire simple), d’autres ont comparé la probabilité d’un score inférieur ou supérieur à un certain seuil entre groupes d’exposition (les résultats étant exprimés sous forme d’odds ratio, de rapport de risque ou de taux d’incidence). Cette deuxième approche n’est pertinente que pour les tests à visée (et seuil) diagnostique, et elle ne permet pas d’examiner la relation dose-réponse, qui a été présumée linéaire même lorsque le score était traité comme une variable continue (concentrations log-transformées).

Un socle de covariables commun à la plupart des études, et a priori pertinent, a été pris en compte pour l’ajustement (incluant fréquemment, au rang des caractéristiques maternelles, l’âge, l’ethnicité, le niveau d’études, le statut marital, le quotient intellectuel, le tabagisme et le statut socioéconomique). En revanche, la co-exposition à des neurotoxiques avérés, dont les métaux lourds et les polychlorobiphényles, n’a été considérée que dans les cohortes PELAGIE, CHAMACOS (pour une seule des deux analyses) et HOME (pour deux des six analyses).

Si le schéma longitudinal est proche de l’idéal, la sélection des participants à l’inclusion (sur le critère de disponibilité de l’ensemble des données) et la perte d’une partie de la population au cours du suivi (souvent la frange socialement vulnérable qui est également la plus exposée) sont des sources non négligeables de biais. Une trop petite population finale réduit la capacité de détecter des associations réelles (la taille de l’échantillon était inférieure à 200 dans neuf des 16 analyses), tandis que les nombreuses hypothèses d’associations testées augmentent la probabilité de résultats significatifs hasardeux (aucun des articles passés en revue ne mentionnait d’ajustement pour comparaisons multiples).

Un échantillon trop faible ne permet pas de réaliser des analyses secondaires ou de sensibilité pertinentes. Les hormones thyroïdiennes maternelles avaient été mesurées dans trois cohortes (INMA, COMPARE et CHAMACOS), mais leur influence sur la relation entre l’exposition aux PBDE et les performances des enfants (dans les trois domaines) n’a été examinée que dans la cohorte états-unienne qui ne l’a pas observée. Une interaction du sexe est rapportée dans neuf études dont les résultats ne sont pas cohérents. Les associations plus fortes chez les filles à un certain âge et chez les garçons à un autre pourraient témoigner de différences dans la vitesse d’acquisition des compétences ou être liées à l’exposition post-natale.

  • [1] Environ Risque Sante 2018 ; 17 : 114-6.

Publication analysée :

* Gibson EA1, Siegel EL, Eniola F, Herbstman JB, Factor-Litvak P. Effects of polybrominated diphenyl ethers on child cognitive, behavioral, and motor development. Int J Environ Res Public Health 2018 ; 15 : 1636. doi: 10.3390/ijerph15081636

1 Department of Environmental Health Sciences, Mailman School of Public Health, Columbia University, New York, États-Unis.