Contaminants

Nanotechnologies

Francelyne Marano

Professeure émérite de biologie cellulaire et toxicologie
Université Paris Diderot, Paris

Volume 20, numéro 2, Mars-Avril 2021

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ANALYSE D'ARTICLE

Génotoxicité du dioxyde de titane :
une revue des résultats publiés au cours des six dernières années

Les particules de dioxyde de titane (TiO2) sont largement utilisées dans de très nombreux produits de consommation, y compris des cosmétiques dont les crèmes solaires pour leur propriété absorbante aux UV. L’industrie agroalimentaire les utilise comme additif (E171) dans de nombreux aliments transformés dont la confiserie comme colorant blanc, de sorte que les enfants sont tout particulièrement exposés. On les trouve aussi dans les systèmes de purification de l’eau et de l’air, les surfaces autonettoyantes (verre, béton) pour leurs propriétés photo-catalytiques, et enfin en grande quantité dans les peintures. Le TiO2 a été longtemps considéré comme inerte. Cependant, sa très large utilisation a conduit les scientifiques à se reposer la question de sa toxicité, en particulier sa génotoxicité, en relation avec le risque cancer, dans la mesure où les rares études épidémiologiques chez les travailleurs exposés donnent des résultats contradictoires et présentent souvent des biais.

Cette revue bibliographique, qui couvre les six dernières années, est consacrée essentiellement aux publications qui étudient la génotoxicité des nano- et des microparticules de TiO2 en se limitant à deux voies d’exposition : l’inhalation et l’ingestion. Les recherches analysées ici ont été pour la plupart consacrées à l’identification de l’impact sur l’ADN. Elles concernent à la fois des études in vitro et in vivo, conduites au niveau du poumon et de l’intestin qui sont les cibles premières des particules de TiO2. Dès l’introduction, les auteurs pointent la forte exposition des consommateurs qui se fait à la fois par voie respiratoire et digestive. La voie digestive est prépondérante chez les enfants, de 1 à 3 mg/kg/jour, alors que chez les adultes elle est de 0,1 à 1 mg/kg/jour. L’historique de la réglementation pour l’usage des poudres de TiO2 comme additif alimentaire montre que, dès 1969, le produit chimique sous forme de poudre est autorisé par la Food and Drug Administration (FDA) aux États-Unis et en Europe sous le numéro E171. Aucune dose journalière acceptable (DJA) n’est donnée, la seule limite étant « une bonne pratique manufacturière », et en 2016 l’European Food Safety Authority (EFSA) n’a pas pu déterminer de DJA par manque d’étude correcte sur la reproduction ! Pour l’exposition par inhalation, qui concerne essentiellement les travailleurs, des valeurs limites variables ont été proposées allant de 0,3 mg/m3 pour les nanoparticules (NP) à 10 mg/m3 pour la poudre totale. Cependant, les recherches sur la génotoxicité du TiO2 se sont intensifiées quand le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) l’a classé comme cancérigène possible (2B) en 2006.

Les publications d’avant 2013 ont été pour beaucoup réalisées sur des cultures de cellules de différentes origines, dont respiratoires, intestinales et cutanées, avec des résultats pouvant être contradictoires. En effet, la réponse biologique dépend de différents facteurs dont la nature cristalline du TiO2, rutile ou anatase, la dose et le temps d’exposition. Les critiques de l’approche in vitro portaient sur la difficulté du contrôle rigoureux de l’exposition car les NP ont tendance à s’agréger dans les milieux biologiques rendant difficile l’évaluation de la dose. Par ailleurs, elles interfèrent avec les réactifs biologiques, les protéines, les colorants rendant les interprétations difficiles sauf si les auteurs ont pris en compte rigoureusement ces artefacts possibles. Cependant, il est actuellement admis que les particules de TiO2, et tout particulièrement sous la forme nanoparticulaire (au moins une dimension égale ou inférieure à 100 nm), ont pour conséquence d’induire un stress oxydant et une réponse inflammatoire pouvant conduire, mais pas systématiquement, à des lésions de l’ADN. Les études in vivo chez le rat par inhalation étaient beaucoup moins nombreuses, le TiO2 étant considéré comme inerte et pouvant servir de contrôle négatif. Cependant, des études anciennes de cancérogénèse par inhalation avaient montré l’apparition de tumeurs pulmonaires après deux ans d’exposition.

L’analyse des publications des dernières années montre que l’intérêt grandissant pour les NP de TiO2 a conduit les laboratoires à des recherches le plus souvent collaboratives, où les aspects techniques liés aux propriétés des NP ont été mieux pris en compte. Tout d’abord, des études in vivo par inhalation, instillation intratrachéale et ingestion se sont multipliées. L’EFSA, dans le cadre de sa dernière réévaluation de l’autorisation du TiO2 comme additif alimentaire, a pu sélectionner 12 études d’exposition par voie orale ou par gavage. Les experts ont considéré qu’elles ne permettaient pas de conclure à un risque de génotoxicité pour les deux formes de TiO2, en partie car certaines ne répondaient pas aux protocoles réglementaires. Par contre, dans les études d’exposition par inhalation ou instillation intratrachéale, une réponse inflammatoire est souvent décrite, pouvant être associée ou non à des lésions de l’ADN, ce qui fait conclure aux auteurs de la revue que les mécanismes de génotoxicité des particules de TiO2 sont sans doute essentiellement indirects. En particulier, la question de la surcharge pulmonaire quand les doses ne sont pas réalistes peut conduire à une accumulation dans les macrophages alvéolaires, une réponse inflammatoire et une génotoxicité indirecte.

Une partie importante de la revue porte sur les modèles in vitro utilisés pour répondre à des questions plus mécanistiques. Dans les études les plus anciennes, utilisant des protocoles d’exposition aiguë essentiellement sur des lignées cellulaires, il est montré que le TiO2 micro- et nano-particulaire peut induire des cassures, des lésions oxydatives des bases de l’ADN et des échanges de chromatines sœurs. Les explications généralement données passent par l’accumulation d’espèces réactives de l’oxygène (ERO) associée à des lésions mitochondriales et un déséquilibre du système rédox cellulaire. Les recherches les plus récentes ont fait évoluer considérablement les modèles cellulaires pour les rapprocher des tissus in vivo : muqueuse intestinale reconstituée, épithélium bronchique ou alvéolaire exposés à leur pôle apical. Les protocoles ont également évolué vers une exposition chronique à faible dose pour mieux mimer l’exposition réelle et pour aller dans certains cas jusqu’à plusieurs mois d’exposition. L’application des approches « haut débit » et de l’analyse « omique » a permis de mieux comprendre les conséquences de ces expositions. En particulier, depuis 2013, les études in vitro sur des modèles cellulaires d’épithélium intestinal se sont largement développées, en particulier en utilisant l’additif E171 à doses réalistes et répétées, et mettent en évidence des lésions de l’ADN en présence de l’additif ou de TiO2 sous forme nano- comme microparticulaire.

En conclusion, des recherches très intenses sur la génotoxicité du TiO2 se sont développées depuis 2013. Elles ont permis d’harmoniser les protocoles d’exposition, de mieux caractériser la physico-chimie des particules afin de pouvoir comparer les résultats, de faire évoluer les modèles utilisés in vitro pour plus de représentativité. La cible intestinale a été tout particulièrement étudiée avec la mise en cause de l’additif E171. Malgré ces efforts, des résultats contradictoires ont encore été publiés compliquant le travail d’expertise. Cependant, l’accumulation des résultats montrant une génotoxicité des particules de TiO2, directe comme indirecte, sous forme nano comme micro, doit conduire à une remise en question de cette utilisation à l’échelle internationale.

Commentaire

L’utilisation industrielle des poudres de TiO2 date de la seconde moitié du XXe siècle où elles étaient considérées comme inertes et non toxiques. Des valeurs limites d’exposition n’étaient pas fournies pour la voie alimentaire. Alors que le CIRC a classé dès 2006 la substance chimique, utilisée très largement sous forme de poudre de micro- ou nanoparticules, dans le groupe 2B (possiblement cancérigène) et que l’Union européenne l’a classée début 2020 cancérigène de type 2 par inhalation, certains industriels contestent toujours ce classement et le moratoire imposé par le Gouvernement français sur l’additif alimentaire (E171). Cependant, des études récentes chez le rongeur montrent que les particules de TiO2, quand elles sont de taille nanoparticulaire, peuvent franchir les barrières biologiques (alvéolo-capillaire, intestinale). Elles s’accumulent dans divers organes : le poumon, le foie, les reins, le cœur, où elles persistent du fait de leur insolubilité. Il a été également montré chez le rongeur qu’elles pouvaient franchir la barrière placentaire et se retrouver dans le fœtus. Les données concernant la génotoxicité des particules de TiO2, micro- comme nanoparticulaires, présentées dans cette revue devraient aller dans le sens d’une interdiction de ce colorant étant donné son absence d’intérêt alimentaire autre que celui d’augmenter l’attractivité des confiseries pour les enfants. Rappelons que l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) appelle à la prudence depuis près de 10 ans sur l’utilisation de NP et tout particulièrement des NP de TiO2 dans l’alimentation. Cependant, l’EFSA a autorisé la poursuite de l’utilisation du E171 alors qu’elle ne disposait pas d’études solides permettant d’évaluer correctement les effets réels d’une consommation quotidienne sur le long terme et sur la reproduction. Or un consortium d’équipes françaises de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA), du Laboratoire national de métrologie et d’essais (LNE), de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) vient de publier une étude qui montre la présence de particules de titane dans le placenta humain et le méconium [1]. Dans ce contexte, et en considérant une exposition chronique chez les consommateurs dès le plus jeune âge, le gouvernement français a décidé un moratoire en 2019 reconduit en décembre 2020 pour l’additif E171 dont l’utilisation est interdite dans l’agroalimentaire. Ira-t-on jusqu’à son interdiction définitive ?

  • [1] Guillard A., Gaultier E., Cartier C. Basal Ti level in the human placenta and meconium and evidence of a materno-fœtal transfer of food-grade TiO nanoparticles in an ex vivo placental perfusion model. Part Fibre Toxicol. 2020;17:51. 2

Publication analysée :

* Carriere M, Arnal ME, Douki T. TiO2 genotoxicity: An update of the results published over the last six years. Mutat Res Gen Tox 2020 ; 854-855 : 503198. Doi : 10.1016/j.mrgentox.2020.503198.