ANALYSE D'ARTICLE

Impact de l’exposition à long terme au dioxyde d’azote et au bruit routier sur le risque d’insuffisance cardiaque

Participant à combler un vide de connaissances, cette étude dans une vaste cohorte danoise d’adultes vieillissants indique que le risque d’insuffisance cardiaque est augmenté par l’exposition chronique au bruit et à la pollution atmosphérique considérés séparément ou conjointement.

La pollution de l’air ambiant et le bruit du trafic routier – deux nuisances environnementales qui co-existent dans l’espace urbain – ont été individuellement associés à une augmentation du risque d’affections cardiovasculaires, dont l’hypertension artérielle (HTA) et l’infarctus du myocarde (IDM) qui peuvent conduire à une insuffisance cardiaque. D’autres pathologies et modes de vie délétères qui endommagent le système cardiovasculaire (diabète, obésité, tabagisme, inactivité physique, etc.) peuvent favoriser cette défaillance utime de la pompe cardiaque. Considérant le lent développement de l’insuffisance cardiaque chronique, les auteurs de cette étude se sont intéressés à l’impact de l’exposition à long terme à la pollution atmosphérique sur son incidence, alors que les travaux antérieurs étaient focalisés sur le lien entre la variation à court terme des niveaux de polluants et le risque de décompensation (hospitalisation, décès). Une seule étude de cohorte, britannique, avait rapporté une association entre l’exposition chronique aux PM10 et au dioxyde d’azote (NO2) et l’incidence de l’insuffisance cardiaque (hazard ratio pour une augmentation d’un intervalle interquartile [IIQ] des concentrations égal à 1,06 [IC95 : 1,01-1,11] pour les deux polluants). D’importantes covariables étaient contrôlées (âge, sexe, tabagisme, indice de masse corporelle [IMC], comorbidités [diabète et HTA] et statut socio-économique [indice composite de défaveur sociale]), mais le niveau de l’exposition au bruit n’était pas connu. De la même manière, la pollution atmosphérique n’avait pas été prise en compte dans l’unique investigation (allemande) des effets de l’exposition résidentielle au bruit du trafic sur les diagnostics d’insuffisance cardiaque (augmentation de 2,4 % par incrément de 10 dB [niveau sonore moyen sur 24 h] ; IC95 : 1,6-3,2 %).

Cette nouvelle étude danoise offre trois niveaux d’analyse : effets de chacune des deux expositions prises individuellement, effets modificateurs réciproques (modèle avec ajustement mutuel), et effets conjoints.

Population et données utilisées

Les analyses ont été réalisées dans la Danish Diet Cancer and Health cohort, constituée entre 1993 et 1997 par l’inclusion de 57 053 habitants de Copenhague, Aarhus et leurs banlieues, âgés de 50 à 64 ans. Diverses données collectées par les questionnaires et l’examen clinique d’entrée ont été utilisées pour l’ajustement au-delà du modèle de base (âge et sexe) : le tabagisme (avec son importance et sa durée) ; la consommation de fruits et légumes, de viande, d’alcool ; le nombre d’années d’études et l’activité physique de loisir. Le modèle complet était également ajusté sur le statut socio-économique (bas, intermédiaire, élevé) déterminé au niveau du quartier de résidence (statistiques de l’emploi et des niveaux d’étude et de revenu). Trois covariables à l’inclusion ont été exploitées pour des analyses par sous-groupes : la pression artérielle (l’HTA étant auto-déclarée ou définie par une mesure > 140/90 mm Hg), l’IMC (obésité correspondant à un IMC > 30 kg/m2) et le tour de taille (inférieur ou supérieur à la valeur de l’Organisation mondiale de la santé [OMS]). Les auteurs ont également recherché un effet modificateur du sexe ainsi que de quatre pathologies (diabète, IDM, fibrillation auriculaire et bronchopneumopathie obstructive) diagnostiquées avant la date de début de la période d’observation fixée au 1er juillet 1997. La cohorte de départ (n = 50 935) excluait les participants avec des antécédents de cancer ou ayant déjà une insuffisance cardiaque, ainsi que ceux pour lesquels manquait l’une des données nécessaires aux analyses. L’observation a été arrêtée au 31 décembre 2011, date à laquelle 2 550 cas d’insuffisance cardiaque étaient répertoriés dans le registre national des patients hospitaliers (identifiés par leur numéro personnel unique pour tous les registres).

Mesure des expositions

L’histoire résidentielle de chaque participant a été tracée (registre civil) à partir du 1er juillet 1987 (soit 10 ans avant le début de la période d’observation) jusqu’à la fin du suivi (diagnostic d’insuffisance cardiaque, décès, émigration au 31 décembre 2011) dont la durée moyenne était de 13,4 ans (8,5 ans dans la sous-population des cas). Toutes les adresses ont été géocodées. La majorité des participants (70,8 %) avaient vécu au moins 10 ans à la même adresse avant la fin du suivi.

Le modèle de dispersion national a été utilisé pour évaluer l’exposition annuelle au NO2 pris pour marqueur de la pollution liée au trafic. Ce modèle intègre des informations relatives au trafic et topographiques, ainsi que des données de mesure, pour calculer les concentrations de NO2 à l’adresse résidentielle par le cumul des niveaux de fond (régional et urbain) et des émissions locales (rue la plus proche du domicile). Un modèle à la pointe de la technique (tenant compte notamment de l’étage d’habitation) a également été employé pour estimer l’exposition annuelle au bruit routier en façade (indicateur Lden du niveau sonore moyen sur 24 h avec majorations pour les périodes du soir [+ 5 dB] et de la nuit [+ 10 dB]). Des moyennes sur trois fenêtres d’exposition précédant le diagnostic (10 années, cinq années et la dernière) ont été établies.

Principaux résultats

Les deux expositions apparaissent influencer le risque d’insuffisance cardiaque aux trois fenêtres considérées. Pour la plus longue, l’augmentation d’un IIQ du niveau d’exposition au bruit (9,9 dB) est associée à une augmentation de 14 % du risque (incidence rate ratio [IRR] = 1,14 [IC95 : 1,08-1,21]). Le résultat correspondant pour le NO2 (IIQ = 7,5 μg/m3) est une augmentation de 11 % du risque (IRR = 1,11 [1,07-1,16]). L’effet estimé de chaque exposition est atténué après ajustement mutuel, mais il reste significatif (IRR respectifs : 1,08 [1-1,16] et 1,07 [1,01-1,14]). Les auteurs signalent l’impossibilité de démêler totalement les effets du bruit et du NO2 avec des modèles utilisant en commun des informations de la base de données nationale sur le réseau et le trafic routiers (type de voie, densité du trafic, répartition entre véhicules légers et lourds, vitesse).

Les analyses stratifiées indiquent des effets modificateurs du sexe, de la pression artérielle et du statut diabétique sur l’association entre le NO2 et l’insuffisance cardiaque. Toujours pour une fenêtre d’exposition de 10 ans, cette association est significative uniquement chez les hommes (IRR = 1,16 [1,10-1,22] versus 1,03 [0,96-1,11] chez les femmes) et chez les hypertendus (IRR = 1,14 [1,09-1,20] versus 1,04 [0,96-1,12] chez les normotendus), et plus forte en cas de diabète (IRR = 1,20 [1,11-1,30] versus 1,09 [1,03-1,14]). Les mêmes tendances sont notées pour l’association avec le bruit, mais les interactions ne sont pas significatives. Contrairement à l’attendu, ni l’obésité ni un tour de taille témoignant d’une adiposité abdominale excessive n’apparaissent modifier les associations, mais les mesures avaient été réalisées à l’entrée dans la cohorte et les résultats auraient pu être différents en prenant en compte leurs évolutions durant le suivi.

L’analyse des effets combinés des deux expositions soutient l’hypothèse d’une synergie d’action : le risque le plus élevé (IRR = 1,31 [1,15-1,49]) est observé dans le sous-groupe des participants à la fois les plus exposés au bruit et au NO2 (tertiles supérieurs : Lden > 62,2 dB et NO2 > 17,7 μg/m3).

Au rang des limites discutées dans l’article figure l’identification des cas selon la nomenclature de la classification internationale des maladies dans le registre hospitalier (patients admis et consultants externes), qui a pu laisser de côté des sujets souffrant d’une forme légère ou moins rigoureusement validée d’insuffisance cardiaque. Par ailleurs, quelle que soit la qualité du modèle prédictif de l’exposition au NO2 et la représentativité de ce polluant, l’inclusion d’autres marqueurs de la pollution urbaine comme les PM2,5 aurait renforcé la valeur de l’étude. Enfin, il aurait été intéressant de considérer les variations de l’exposition à la pollution et au bruit dans les jours précédant le diagnostic au regard de la littérature pré-existante.


Publication analysée :

* Sorensen M1, Wendelboe Nielsen O, Sajadieh A, et al. Long-term exposure to road traffic noise and nitrogen dioxide and risk of heart failure: a cohort study. Environ Health Perspect 2017 ; 125(9) : 097021. doi : 10.1289/EHP1272

1 Diet, Genes and Environment, Danish Cancer Society Research Center, Copenhague, Danemark.