ANALYSE D'ARTICLE

Impact de l’exposition professionnelle à des perturbateurs endocriniens sur la durée de la grossesse et le poids de naissance

Cette analyse dans une vaste population provenant de 13 cohortes de naissances couvrant toutes les régions d’Europe comble le manque d’étude des effets de l’exposition professionnelle à des perturbateurs endocriniens sur la croissance fœtale. Elle révèle une augmentation du risque de faible poids de naissance à terme qui nécessite la poursuite des investigations.

This study of nearly 134,000 mother-child pairs from 13 birth cohorts spanning all regions in Europe fills the gap in knowledge of the effects on fetal growth of occupational exposure to endocrine-disrupting chemicals. Its findings revealed an increase in term low birth weight, but further research is needed.

Les connaissances relatives à l’impact, sur la croissance fœtale, de l’exposition maternelle à des substances pouvant interférer avec l’activité hormonale, sont encore très partielles. Quelques études en population générale ont évalué l’effet de l’exposition banale à certains composés (de la classe des organochlorés et des phtalates notamment), mais les travaux dédiés aux expositions professionnelles sont particulièrement rares et limités en taille. En pratique, toutes les analyses ont été effectuées dans la cohorte mère-enfant néerlandaise Generation R.

Cette dernière est l’une des 13 cohortes de naissances européennes (établies dans 11 pays) dont les données ont été utilisées pour cette étude de grande ampleur, dans une population totale de 133 957 paires mère-enfant (naissances survenues entre 1994 et 2011).

 

Population analysée

L’échantillon (constitué à partir d’une population de départ de 221 837 paires mère-enfant) répondait aux critères d’inclusion suivants : grossesse monofœtale, mère ayant travaillé pendant toute la grossesse (depuis le mois précédant la conception), profession répertoriée dans la Classification internationale type des professions de 1988 (CITP-88), enfant né vivant, à un âge gestationnel d’au moins 22 semaines ou avec un poids d’au moins 500 g. Les valeurs les plus faibles étaient rapportées dans la cohorte grecque RHEA (durée moyenne de la grossesse : 38,5 semaines ; poids moyen de naissance : 3 156 g) où le taux de prématurité (âge gestationnel inférieur à 37 semaines) était de 12,9 % et la prévalence des petits poids à terme (moins de 2 500 g) de 5,6 %. Les naissances à terme d’enfants de faible poids étaient, d’une manière générale, plus fréquentes dans les cohortes des pays d’Europe du Sud (Grèce, Espagne, Portugal et Italie) qu’ailleurs, où elles ne dépassaient pas 2 % des naissances. Les pays du Sud, sauf l’Espagne, affichaient également des taux de prématurité excédant 6 %.

Les auteurs ont considéré l’exposition professionnelle aux hydrocarbures aromatiques polycycliques, au bisphénol A (BPA), ainsi qu’à 33 autres perturbateurs endocriniens (PE) potentiels regroupés en : composés organiques polychlorés (principalement polychlorobiphényles [PCB]), pesticides, phtalates, solvants organiques, alkyphénols, retardateurs de flamme bromés, métaux, et divers (benzophénones, parabènes, siloxanes). Une matrice emploi-exposition a été spécifiquement développée pour attribuer un niveau d’exposition « improbable », « possible » ou « probable » aux 10 familles chimiques considérées. L’estimation tenait compte des différentes voies d’exposition possibles (inhalation, ingestion, pénétration cutanée) et le premier niveau signifiait qu’il était improbable que l’exposition professionnelle dépasse l’exposition de fond pour la population générale. À partir des codes CITP-88, un niveau d’exposition a pu être assigné à 95 280 femmes, tandis que 2 585 autres étaient inclassables, l’intitulé de l’emploi fournissant trop peu d’informations, et que le code CITP-88 ne correspondait pas à une catégorie de la matrice pour le reste de la population (n = 36 092). Trois experts ont attribué au cas par cas un code voisin reconnu par la matrice (par exemple : « technicien en génie chimique » en remplacement de « technicien des sciences physiques et chimiques »), ce qui a permis de compléter à 131 279 femmes la population classable quant à l’exposition.

Les cohortes RHEA et INMA New (Espagne : régions de Gipuzkoa, Sabadell et Valence) comptaient la plus forte proportion de femmes ayant été possiblement ou probablement professionnellement exposées à au moins un PE pendant leur grossesse (respectivement 30 et 27,4 %), devant l’autre cohorte espagnole (INMA Grenade : 24,7 %), la cohorte française PELAGIE (16,5 %) et la cohorte portugaise (16,4 %). La fraction de la population possiblement ou probablement exposée était inférieure à la moyenne (11,4 %) dans cinq cohortes.

 

Lien avec le petit poids de naissance à terme

Trois types d’analyses ont été réalisées, dans chaque cohorte individuellement, à la recherche d’associations entre l’exposition et quatre critères : le poids de naissance et la durée de la grossesse (variables continues), la prévalence du petit poids à terme et le taux de prématurité. La première analyse a consisté à comparer le groupe exposé à au moins un PE (catégories « possible » et « probable » combinées) au groupe de référence (exposition « improbable »). Le groupe exposé a ensuite été subdivisé en deux en fonction du nombre de substances auxquelles les femmes avaient pu être exposées (entre une et trois ou quatre et plus). Enfin, pour chaque famille chimique, le groupe exposé a été comparé au groupe non exposé. Tous les modèles étaient ajustés sur la parité et le sexe du nourrisson, ainsi que sur les variables maternelles âge, niveau d’études, statut marital, tabagisme pendant la grossesse, indice de masse corporelle de pré-grossesse. Le pays de naissance de la mère était également contrôlé dans les six cohortes ayant inclus des femmes de diverses origines. Un ajustement supplémentaire sur le nombre de semaines de gestation a été effectué pour l’analyse de l’effet de l’exposition sur le poids de naissance et le petit poids à terme. Une méta-analyse a ensuite été réalisée.

L’exposition à au moins un PE est associée à une augmentation de 25 % du risque de petit poids de naissance à terme (odds ratio [OR] combiné = 1,25[IC95 : 1,04-1,49]). L’excès de risque est retrouvé pour les huit classes pour lesquelles la méta-analyse était possible (à l’exclusion des PCB et du BPA en raison d’un nombre de cas exposés inférieur à cinq), avec des odds ratio allant de 1,24 (0,97-1,60) pour les solvants organiques (seul résultat non statistiquement significatif) à 3,88 (1,37-11,02) pour les retardateurs de flamme, à partir de cinq cas exposés seulement. Une tendance dose-réponse est suggérée par un effet plus marqué de l’exposition à au moins quatre substances (OR = 2,11 [1,10-4,06] versus 1,25 [1,03-1,52] pour une exposition à une à trois substances), mais d’autres facteurs peuvent contribuer à augmenter le risque de faible poids de naissance à terme dans les professions concernées (agricultrice et coiffeuse notamment). Par ailleurs, l’exposition au BPA ainsi qu’aux retardateurs de flamme est associée à un allongement de la grossesse (respectivement + 3,9 jours et + 2,8 jours en moyenne), ces résultats ayant été obtenus à partir d’un petit nombre de mères exposées (respectivement 59 et 149). Ni le poids de naissance, ni la prématurité, ne semblent associés à l’exposition aux PE.

Plusieurs analyses de sensibilité indiquent la robustesse de l’association avec le petit poids de naissance à terme. Des stratifications suggèrent un effet plus important de l’exposition à au moins un PE quand la mère n’a pas fait d’études supérieures (OR de petit poids à terme égal à 1,32 [1,06-1,64] versus 1,24 [0,87-1,77] pour un niveau universitaire), ainsi que chez les fumeuses (OR = 1,38 [1,01-1,87]) comparativement à celles qui n’ont pas fumé pendant leur grossesse (OR = 1,18 [0,93-1,50]).

 

Laurence Nicolle-Mir

 

Commentaires

Cette méta-analyse, financée par l’Union européenne, est réalisée par des experts de 12 États européens sur la base de 13 cohortes de naissances dans 11 pays. L’analyse porte sur 131 279 paires mère-enfant, les mères ayant un emploi depuis au moins un mois avant la conception et jusqu’à la naissance. L’estimation de l’exposition aux perturbateurs endocriniens (PE) repose sur une matrice emploi-exposition définie aux Pays-Bas. Par défaut, les auteurs considèrent qu’elle est suffisamment extrapolable.

Il apparaît des différences dans la masse corporelle moyenne à la naissance selon les cohortes avec une valeur de 448 g entre les moyennes extrêmes. La cohorte grecque montre les valeurs les plus faibles et la norvégienne les plus élevées. En moyenne, 11 % des femmes sont considérées travailler dans un environnement les exposant de manière « possible » ou « probable » à des PE (ce taux est plus important [27-30 %] pour certaines cohortes). Ceci peut paraître assez faible compte tenu de la diversité des molécules présentant ce type d’effet et pouvant être présentes sur des lieux de travail. Les auteurs rappellent que les témoins, constitués des femmes considérées comme ayant un emploi sans exposition, sont très certainement néanmoins exposées via l’air et les aliments.

Il existe un risque significatif de « faible poids de naissance » en lien avec l’exposition aux alkylphénols et aux retardateurs de flamme bromés (BFR). Ces produits, qui rendent par ailleurs de grands services en terme de prévention sanitaire et de risques d’incendies, sont déjà largement connus pour leurs effets perturbateurs endocriniens constatés en laboratoire ou in situ. Les retardateurs de flamme polybromés sont des molécules élaborées pour leur grande stabilité chimique comme, notamment, les polychlorobiphényls. À cause de leur structure, ils sont également bioaccumulables. Il est une nouvelle fois ainsi confirmé l’importance de conduire une étude bénéfices-risques sur ces produits, compte tenu de cette forte persistance environnementale.

Le risque de « faible poids de naissance » croît avec l’augmentation du nombre de familles de PE dans l’exposition des mères. Il est supérieur chez les fumeuses et les mères n’ayant pas poursuivi leurs études au niveau dit « supérieur ». En complément, le temps de gestation apparaît supérieur dans les cas d’exposition aux phénols de type bisphénol A et aux retardateurs polybromés.

L’exposition aux BFR est significative en relation avec les activités liées aux machines textiles, pour les pompiers, les travailleurs du plastique et des caoutchoucs, mais ceci représente un faible nombre de cas dans cette étude.

Les naissances prématurées n’apparaissent pas associées aux expositions estimées aux PE.

La protection de la santé des travailleurs en relation avec les expositions au poste de travail est un chantier majeur et permanent, confronté à des pressions importantes surtout en période économique difficile. Pourtant les éléments épidémiologiques liés à ces importantes cohortes offrent les signaux objectifs d’inquiétude que les décideurs en charge de la santé publique se doivent de considérer.

Yves Lévi

 

Publication analysée :

Birks L, Casas M, Garcia AM, et al. Occupational exposure to endocrine-disupting chemicals and birth weight and length of gestation: a European meta-analysis. Environ Health Perspect 2016; 124 : 1785-93.

ISGlobal, Center for Research in Environmental Epidemiology, Barcelone, Espagne.

doi: 10.1289/EHP208