ANALYSE D'ARTICLE

Lien entre maladies de civilisation et pollution de l’environnement : un aperçu bibliographique

L’exposition à la pollution de l’environnement pendant toute la vie, qui ne peut être évitée, a des effets nocifs importants sur la santé. La recherche en épidémiologie lui associe en effet l’augmentation d’incidence d’un large spectre de maladies dites de civilisation : néoplasmes malins, troubles cardiovasculaires, affections pulmonaires, allergies, diabètes de type 2 et dégénérescences du système nerveux central sont les plus établies. Leur étiologie multifactorielle implique la génétique humaine, le mode de vie et la toxicité des polluants chimiques environnementaux. Les principales substances incriminées sont les oxydes d’azote, les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), les métaux lourds, les pesticides, les plastifiants, les polychlorobiphényles (PCB), les dioxines, les furanes, certains additifs alimentaires, les hormones et les antibiotiques.

L’auteure s’appuie sur un choix subjectif de 57 articles dans la littérature pour faire un tour d’horizon du lien des maladies de civilisation avec la pollution de l’environnement, celle de l’air respiré principalement.

Les tumeurs malignes dépasseront bientôt les maladies cardiovasculaires dans le tableau épidémique des pays les plus riches et leur incidence augmente dans le monde entier. Bien que le rôle de facteurs environnementaux dans la cancérogénèse soit établi, la part de l’environnement dans l’étiologie du cancer est difficile à déterminer : il est impossible en effet de tracer toutes les substances dangereuses et les interactions possibles entre elles auxquelles une personne a été exposée depuis sa période fœtale. Certains produits chimiques cancérogènes (HAP, certains pesticides) peuvent déclencher une mutation sur l’ADN, mais la plupart ne sont pas génotoxiques : ils induisent une inflammation, un stress oxydatif, une suppression du système immunitaire, l’activation de certains récepteurs ou encore un silence épigénétique qui se traduit finalement par la perte de contrôle de la prolifération cellulaire et la résistance à l’apoptose.

Les 20 publications analysées fournissent des informations sur les associations entre plusieurs types de cancers et certains paramètres marqueurs de la pollution atmosphérique. Des adénocarcinomes pulmonaires ont été reliés à la concentration en matières particulaires ultrafines (PM2,5) chez les non-fumeurs ; et dans la population générale, les analyses prospectives des 17 cohortes européennes du programme ESCAPE pour l’étude des effets de la pollution de l’air donnent aussi un lien avec les concentrations de PM2,5 et de PM10. Chez les femmes ménopausées, le suivi de 15 cohortes dans neuf pays européens donne une corrélation positive significative entre risque de cancer du sein et concentration de NO dans l’atmosphère. Pour les tumeurs malignes du cerveau chez l’adulte, un lien est suggéré avec les PM2,5 (association positive mais non significative). Enfin, chez l’enfant, une association a été détectée entre incidence d’astrocytome et médulloblastome et niveaux moyens de 1-3-butadiène et de particules diesel dans l’air.

En milieu professionnel, une méta-analyse de 15 études montre que l’exposition au benzène par l’air respiré au poste de travail donne une augmentation de risque de leucémie myéloblastique aigüe et de leucémie lymphocytaire chronique dans une relation de type dose-réponse. Chez les ouvriers de la production d’aluminium, un excès de risque de cancer de la vessiea été mis en relation avec une exposition cumulée pendant 30 ans ou plus à la dose de 2 000 microgrammes/m3 de HAP dans l’air intérieur. Le cancer de la vessie, avec le cancer de la prostate, est également associé à l’exposition professionnelle aux gaz d’échappement des moteurs diesel.

Outre la pollution atmosphérique, il faut aussi considérer au chapitre des effets cancérogènes de la pollution de l’environnement le lien démontré entre l’incidence de certains cancers gastro-intestinaux et la contamination des aliments par une multitude de substances chimiques, utilisées soit pour le traitement antiparasitaire des légumes et des fruits avant récolte (produits phytopharmaceutiques) soit pour la conservation des denrées transformées (nitrosamines, etc.), malgré l’effet protecteur anticancéreux d’un régime alimentaire riche en légumes et en fruits constaté dans certaines études.

Les maladies cardiovasculaires demeurent la cause première de mortalité en dépit des progrès de diagnostic et de traitement. Jusque récemment, l’importance des polluants environnementaux comme facteurs de risque a été sous-estimée en cardiologie. Les 10 publications sélectionnées illustrent les liens de ces pathologies avec l’exposition chronique aux polluants de l’air. Dans la population générale, les matières particulaires ultrafines (PM2,5) sont associées à la maladie coronarienne ou à l’infarctus du myocarde dans la majorité des études de cohorte, ou à l’accident vasculaire cérébral et au décès dans deux études de cohorte. Les polluants organiques persistants (POP) induisent inflammation et athérosclérose(dans le cas des dioxines, toxiques pour les cellules endothéliales et agents de stress oxydatif cellulaire), ou hypertension artérielleet maladie coronarienne (dans le cas des HAP, des furanes et des biphényles). Chez les agriculteurs, une étude montre une association positive entre concentration dans l’air de certains pesticides et maladies cardiovasculaires.

Les affections pulmonaires sont impactées par la pollution de l’air comme le montrent les quatre études sélectionnées. Une augmentation de l’incidence des exacerbations respiratoires suivies d’hospitalisation chez les sujets asthmatiques ou atteints de bronchopneumopathie chronique obstructive a été associée à une exposition à court terme aux polluants de l’air majeur (ozone, monoxyde de carbone, dioxyde d’azote, dioxyde de soufre, PM10 et PM2,5). Les patients exposés à la pollution de l’air présentent des taux d’infection virale ou bactérienne plus forts et une durée d’infection plus longue.

Les allergies sont en augmentation et la pollution atmosphérique figure parmi les cinq premières causes de cette épidémie. De nombreux contaminants peuvent se combiner dans l’atmosphère soit avec des substances neutres en les transformant en allergènes, soit avec des allergènes faibles qui causent alors des réactions allergiques plus dangereuses, inflammatoires ou bronchiques (qui peuvent induire asthme ou quintes de toux). Des quatre études sélectionnées, l’auteure retient que l’exposition aux polluants atmosphériques pendant les périodes fœtales et néonatales modifie la réponse immunitaire aux allergènes chez l’enfant et l’adulte. C’est ainsi que les enfants des femmes habitant des grandes zones urbaines souffrent plus souvent d’allergie que ceux nés de mères vivant en zones rurales.

Les diabètes de type 2 sont associés typiquement au manque d’activité physique, à l’obésité, et à une trop grande consommation d’aliments transformés industriellement. Mais les sept publications retenues montrent que les preuves s’accumulent pour une contribution des polluants environnementaux. Des substances chimiques comme les POP (dioxines, PCB, pesticides organochlorés, bisphénol A) ou les métaux lourds (arsenic, mercure) s’accumulent dans les graisses animales et humaines et parmi d’autres effets peuvent induire une résistance à l’insuline. Certains aliments peuvent apporter ces métaux lourds (poisson, riz, eau), et beaucoup sont contaminés par le bisphénol A diffusé à partir des emballages (bouteille ou film plastique transparent, résine époxy des boîtes de conserve). Cette substance chimique affecte aussi bien les cellules adipeuses que musculaires et hépatiques et porte atteinte à la sécrétion d’insuline et de glucagon. La pollution atmosphérique est également incriminée : une grande étude de cohorte a conclu aux effets à long terme d’une exposition aux PM2,5.

Les atteintes du système nerveux central peuvent aussi être associées à la pollution atmosphérique, comme le montrent les sept publications choisies. L’exposition maternelle aux PM2,5 et aux HAP pendant la grossesse affecte le cerveau du fœtus, ce qui portera atteinte au développement intellectuel et psychomoteur de l’enfant, ou causera seulement déficit d’attention et hyperactivité. Ces mêmes polluants avec de nombreux autres, comme les nanoparticules et les métaux lourds, contribuent aux maladies neurodégénératives de l’adulte comme Alzheimer et Parkinson.

En conclusion,les contaminants chimiques de l’environnement sont innombrables et il en apparaît sans cesse de nouveaux. Pour la plupart, leurs effets toxiques immédiats ou différés sont encore inconnus, et a fortiori ceux des interactions possibles entre eux. Des études cliniques et épidémiologiques nombreuses montrent par ailleurs que les principales maladies de civilisation ont toutes un lien avec cette pollution environnementale. Elles représentent des coûts de santé importants. Il y a donc un énorme besoin de recherche interdisciplinaire (écologie, biologie, toxicologie) pour déterminer quels sont les contaminants de l’environnement les plus dangereux et à quelles doses, tant pour la vie sauvage que pour les sociétés humaines. Le progrès de ces connaissances doit s’accompagner de la sensibilisation du public à l’intérêt de la protection de l’environnement pour la santé. Mais la réduction et le contrôle des émissions de polluants est un défi qui nécessite une coopération internationale impliquant à la fois organisations gouvernementales et non gouvernementales.

Commentaire

L’auteure a voulu limiter son propos aux contaminants physicochimiques d’origine anthropique de l’environnement physique de l’individu pour une exposition subie. Le lecteur a pu être surpris qu’elle n’ait pas traité les effets de la pollution de l’eau mais qu’elle se soit intéressée à ceux des expositions subies liées à la consommation de masse de produits industriels, en particulier les additifs dans les produits de l’industrie agro-alimentaire et les emballages des aliments, qui ne sont pas liées à la pollution par l’homme de ses milieux de vie.

Son inventaire des effets nocifs de la pollution chimique de l’environnement et des aliments est loin d’être exhaustif. Le lecteur peut lui reprocher d’avoir négligé les perturbations endocriniennes et les pathologies des reins, de la peau, des yeux par exemple. Par ailleurs, pour l’ensemble des principales pathologies, l’auteure s’est insuffisamment intéressée aux distinctions de genre et d’âge chez les adultes, pourtant traditionnelles en clinique. Il faut regretter encore que l’auteure ait totalement occulté les études sur les inégalités de santé qui montrent que les effets des facteurs socio-économiques ne sont pas réductibles aux différences d’exposition, choisies ou subies, individuelles ou collectives, aux constituants physiques, chimiques ou biologiques de l’environnement individuel.

Par contre, cet article illustre bien l’importance de la pollution atmosphérique comme déterminant des pathologies majeures du tableau épidémiologique des pays les plus riches, où la pollution d’origine industrielle, agricole ou automobile est pourtant la plus réglementée et la mieux contrôlée. Comme l’auteure l’évoque sans précision, les coûts des dommages sanitaires de la pollution atmosphérique sont importants. Ainsi le bureau d’étude britannique AEA Technology Environment évaluait en 2005 ceux qui sont liés aux particules fines de l’atmosphère à une somme comprise entre 276 et 790 milliards d’euros (3 à 10 % du PIB) pour l’Union européenne à 25 États [1]. Des politiques visant à réduire la pollution atmosphérique en Europe pourraient engendrer des bénéfices nets compris entre 33 et 133 milliards d’euros en 20 ans [1]. L’avenir proche nous éclairera sur les gains de santé et le bénéfice en dépenses de soins qui découleront de l’épisode prolongé de confinement général strict à l’échelle de la planète qui a été instauré en 2020 pour lutter contre la pandémie de Covid-19 ; pendant le confinement, en effet, la pollution atmosphérique des villes a très fortement baissé avec le ralentissement brutal de toute l’activité économique.

Dans la conclusion de l’article, l’auteure qualifie de défi l’objectif de réduction et de contrôle de la pollution chimique des milieux de vie et appelle à juste titre la coopération internationale à le mettre en œuvre. Pour illustrer la coopération existante, elle aurait pu signaler le programme européen REACH (enregistrement, évaluation, autorisation des substances chimiques) entré en vigueur dans l’Union européenne en juin 2007 pour le contrôle réglementaire de la fabrication, de l’importation, de la mise sur le marché et de l’utilisation des substances chimiques. Les bénéfices de REACH en termes de réduction annuelle des cas de maladies causées par les substances chimiques (cancers de la vessie et des voies respiratoires, mésothéliome, asthme et maladies respiratoires, etc.) sont estimés à 10 % avec 4 500 morts par cancer évitées chaque année [1]. Lorsqu’elle évoque l’objectif impératif de prévention, l’auteure ne mentionne pas l’intérêt fondamental qu’aurait un recueil systématique conjoint de données sur l’état de l’environnement et sur l’état de santé des populations pour la détection et l’identification des menaces environnementales sur la santé.

La littérature exploitée dans cet article pour explorer les relations causales entre pollution chimique environnementale et maladies chroniques est exclusivement épidémiologique, ce qui limite la portée des connaissances présentées. En effet, une association statistiquement significative entre un facteur de risque environnemental isolé (fût-il un paramètre indicateur intégratif de qualité de cet environnement) et une maladie multifactorielle (aux déterminants multiples, environnementaux mais aussi génétiques et comportementaux) ne peut être interprétée comme étant une relation causale qu’après discussion des arguments de Hill, au premier rang desquels figure la plausibilité biologique [2].

L’auteure se tourne alors vers la toxicologie pour l’exploration de la plausibilité biologique et se heurte aux faiblesses des connaissances actuelles. Effets des faibles doses chez le jeune enfant et in utero, voire par altération des gamètes avant la fécondation, effets différés, effets des mélanges de substances, rôle des expositions environnementales précoces dans le développement des maladies de l’enfant et de l’adulte, etc., sont encore insuffisamment étudiés. De plus, l’épigénétique bouscule le modèle d’enchaînement en série des causes en apportant un support mécanistique à la transmission réversible de caractères acquis [2]1. Ainsi la médecine de soins, dont l’objet est de mieux traiter les maladies et de les prévenir au niveau individuel, se trouve encore devant un océan d’ignorance quand elle vise les effets des expositions environnementales physicochimiques sur les maladies chroniques dites de civilisation. Cette synthèse bibliographique le souligne en terminant par l’habituel appel à la recherche. L’auteure y ajoute un appel à la sensibilisation du public, comme si celui-ci baignait dans l’ignorance des effets possibles sur sa santé de la pollution de ses milieux de vie, mais pouvait, une fois correctement instruit par les médecins, en obtenir la réduction efficace par la libre modification de ses comportements individuels. Un credo de clinicien ?

  • [1] Gimbert V. Environnement et santé humaine en France : quels défis pour l’action publique et le système de santé ? Centre d’analyse stratégique – La Note de veille. 2009;125:1-6.
  • [2] Le Moal J., Eilstein D., Salines G. La santé environnementale est-elle l’avenir de la santé publique ? Santé Publique. 2010;22:281-289. 3

Publication analysée :

* Konduracka E. A link between environmental pollution and civilization disorders: a mini review. Rev Environ Health 2019 ; 34(3) : 227-33. Doi : 10.1515/reveh-2018-0083

1 Cette branche nouvelle de la biologie moléculaire explore la modulation réversible de l’expression des gènes par des agents environnementaux sans changement de structure de l’ADN et avec possibilité de transmission transgénérationnelle.