ANALYSE D'ARTICLE

Pesticides organochlorés et maturation sexuelle : étude longitudinale dans une cohorte de garçons

Cette étude contribue à étoffer une littérature encore très limitée concernant les effets des organochlorés sur le développement pubertaire. Elle suggère qu’une exposition environnementale relativement forte à l’hexachlorobenzène et au ß-hexachlorocyclohexane retarde l’âge auquel la maturité sexuelle est atteinte chez les garçons.

This study adds to the still limited literature on the effects of organochlorine pesticides on pubertal development. It suggests that relatively high environmental exposure to hexachlorobenzene and ß-hexachlorocyclohexane delays the age at which boys reach sexual maturity.

L’hexachlorobenzène (HCB), le ß-hexa chlorocyclohexane (ß-HCH) et le dichlorodiphényltrichloroéthane (DDT) ont été utilisés comme insecticides ou fongicides pendant plusieurs décennies avant que leur production soit interdite dans la plupart des pays au cours des années 1980. Leur capacité à persister dans l’environnement, leur lipophilie et leur bioaccumulation tout au long de la chaîne alimentaire expliquent que les populations continuent d’y être exposées. De plus, le DDT est toujours employé dans la lutte contre le paludisme, et les HCB et ß-HCH sont produits de manière non intentionnelle au cours du processus de fabrication d’autres produits chimiques chlorés.

Chez le rongeur, l’exposition fœtale et postnatale à ces composés organochlorés (ou à leurs métabolites comme le dichlorodiphényldichloroéthylène [p,p’-DDE] pour le DDT) affecte le déroulement de la puberté dans la descendance mâle (séparation du prépuce et descente testiculaire retardées). Les preuves sont inconsistantes chez l’homme, très peu d’études ayant eu lieu, qui ont abouti à des résultats variables. Ainsi, dans une étude transversale chez des adolescents de 14-15 ans vivant dans la région flamande à forte activité agricole et industrielle, les concentrations plasmatiques d’HCB et de p,p’-DDE (ainsi que de polychlorobiphényles) étaient positivement associées au développement pubertaire. À l’opposé, les auteurs de cet article avaient précédemment montré que l’âge du déclenchement de la puberté était retardé chez les garçons de Tchapaïevsk (ville russe fortement contaminée par des composés organochlorés) présentant les concentrations plasmatiques prépubertaires d’HCB les plus élevées.

 

Nouvelle investigation dans la même cohorte

Poursuivant ses recherches, l’équipe s’est cette fois-ci intéressée à l’âge d’atteinte de la maturité sexuelle, défi nie sur les critères suivants : stade 5 (adulte) selon la classification de Tanner pour la pilosité pubienne (P5) et le développement des organes génitaux externes (G5), et volume testiculaire d’au moins 20 ml.

La population étudiée comportait 350 garçons qui avaient été inclus entre 2003 et 2005 aux âges de 8-9 ans dans une étude prospective mise en place à Tchapaïevsk, puis ont été examinés chaque année pendant huit ans par un même médecin (ce qui évite la variabilité inter-observateur dans l’établissement du stade pubertaire).

Les concentrations plasmatiques d’HCB, de ß-HCH et de p,p’-DDE ont été mesurées à l’entrée et la population a été répartie par quartile. Pour chacun des trois critères de maturité sexuelle, l’âge moyen auquel il avait été atteint par les garçons les moins exposés (premier quartile de concentration) a été déterminé. Les âges moyens dans les autres groupes ont été comparés à cette valeur de référence, à la recherche d’écarts statistiquement significatifs. Cette approche a été choisie tenant compte de l’hypothèse mécanistique d’une perturbation endocrinienne qui pourrait se traduire par une relation dose-réponse non linéaire.

Les modèles ont été ajustés sur les facteurs prédictifs de maturation sexuelle identifiés parmi les données collectées à l’entrée : âge de la mère à la naissance de l’enfant, poids de naissance et âge gestationnel, durée de l’allaitement, tabagisme parental à la maison, présence du père biologique, niveau de revenus du foyer, niveau d’éducation des parents, apport calorique et en macronutriments sur la base d’un questionnaire de fréquence alimentaire, et niveau de la plombémie chez l’enfant. Les modèles ont également été ajustés sur le niveau des lipides totaux, les auteurs ayant choisi d’utiliser les concentrations d’organochlorés en pg/g de sérum. Des analyses alternatives ont été réalisées avec des concentrations en ng/g de lipide. Des analyses de sensibilité ont par ailleurs été effectuées avec des modèles incluant l’indice de masse corporelle (IMC) et la taille, qui n’étaient pas contrôlés dans les analyses principales, ces variables à la fois corrélées aux niveaux d’organochlorés et au développement de l’enfant pouvant être des facteurs intermédiaires dans la relation examinée. L’effet d’un ajustement supplémentaire sur l’âge de la mère au moment de ses premières règles a également été évalué.

 

Effets des organochlorés

L’étude suggère que l’exposition à l’HCB ainsi qu’au ß-HCH retarde l’âge de la maturité sexuelle.

Dans le 3e quartile de concentration plasmatique d’HCB, les trois critères sont atteints avec des décalages d’âges significatifs par rapport au premier quartile : + 11,2 mois en moyenne pour le stade P5, + 5,64 mois pour le stade G5, et + 5,34 mois pour le volume testiculaire adulte. Des différences significatives sont également observées dans le dernier quartile pour P5 (+ 9,73 mois en moyenne) et le volume testiculaire (+ 5,01 mois). Une tendance dose-réponse est mise en évidence pour ces deux critères.

Pour le ß-HCH, les résultats, qui vont tous dans le sens d’un retard, sont cependant moins nets et seulement significatifs pour P5 et G5 dans le 3e quartile (décalages respectifs de + 8,67 et + 5,69 mois par rapport au premier quartile).

Concernant le p,p’-DDE, les analyses montrent des écarts d’âges minimes et dans l’un ou l’autre sens, sauf dans le dernier quartile où les trois critères sont atteints plus tard, avec un écart à la limite de la significativité pour l’acquisition d’une pilosité pubienne adulte (+ 6,19 mois en moyenne, p = 0,05). L’ajustement sur l’IMC et la taille atténue légèrement les effets de l’HCB et du ß-HCH sur le volume testiculaire et le développement des organes génitaux externes, et fait disparaître les effets du ß-HCH et du p,p’-DDE sur la pilosité, tandis que l’association entre l’HCB et la pilosité persiste.

Ces résultats obtenus dans une population de garçons très exposés ne sont pas forcément pertinents dans un autre contexte : le niveau médian d’HCB était sept fois plus élevé que dans l’étude fl amande et la valeur au 25e percentile était près de huit fois plus élevée que la médiane dans les enquêtes de biosurveillance aux États-Unis. Par ailleurs, l’étude ne repose que sur une mesure du niveau plasmatique des organochlorés, qui a néanmoins été effectuée à une période prépubertaire potentiellement critique.

Le mécanisme par lequel les organochlorés perturberaient la maturation sexuelle nécessite d’être élucidé : de futurs travaux incluant des dosages hormonaux pourraient y contribuer.

Laurence Nicolle-Mir


Publication analysée :

Lam T1, Williams P, Lee M, et al. Prepubertal serum concentrations of organochlorine pesticides and age at sexual maturity in Russian boys. Environ Health Perspect 2015; 123: (AOP).

doi: 10.1289/ehp.1409022

 

1 Environmental and Occupational Medicine and Epidemiology Program, Department of Environmental Health, Harvard School of Public Health, Boston, États-Unis.