ANALYSE D'ARTICLE

Priorisation des risques sanitaires liés aux substances chimiques des poussières de maison

Nous passons près de 80 % de notre temps dans des espaces clos, qu’ils soient privés (appartements, maisons, travail, etc.) ou accueillant du public (écoles, administrations, lieux de loisirs, etc.). Longtemps ignorée, la problématique de la qualité de l’air intérieur a depuis été investie pour étudier les déterminants environnementaux et les effets sanitaires d’une exposition chronique. Prolongeant le concept proposé par Wild [1], les concepts d’« exposome intérieur » (indoor exposome) ou d’« exposome de poussière » représentent la somme de l’exposition aux milieux intérieurs tout au long de la vie. Les analyses ciblées et non ciblées des produits chimiques environnementaux dans les poussières ont fait l’objet de recherches approfondies au cours des dernières décennies. Une revue bibliographique approfondie a été menée dans le cadre de ce travail pour estimer des valeurs représentatives de concentrations de bruits de fond de composés chimiques organiques et inorganiques dans les poussières domestiques, excluant les valeurs mesurées sur les zones potentiellement polluées. Une évaluation de l’exposition a été réalisée par une approche Monte-Carlo sur 511 composés chimiques intégrant ingestion de poussière, contact cutané et bioaccessibilité.

Les expositions de ces composés ont alors été combinées avec les résultats des essais biologiques in vitro enregistrés dans ToxCast, pour prioriser les composés chimiques en termes de risque sanitaire, en utilisant différents critères d’effet. Toxcast ambitionne de cribler les voies de toxicité de plus de 10 000 composés (dont des mélanges) à partir de plusieurs modèles cellulaires. La base de données constituée fournit notamment des critères d’effet, données quantitatives toxicologiques qui peuvent être utilisées pour construire des relations dose-réponse. La modélisation d’une relation dose-réponse commune en fonction de conditions expérimentales similaires et de mêmes mécanismes d’action est fondamentale pour établir des relations entre les composés choisis et un composé de référence. Sur les 511 composés initialement enregistrés dans la base de données d’exposition, 173 composés sont combinés pour seize mécanismes d’action retenus ; parmi eux, l’activation du récepteur alpha des œstrogènes (ERα) ou l’activation du récepteur de l’arylhydrocarbone (AhR). Pour chaque mécanisme d’action, le potentiel de toxicité et la priorisation de chaque composé chimique sont estimés avec un quotient d’équivalence toxique (TEQ) calculé en multipliant l’exposition par le facteur d’équivalence toxique (TEF) de chaque composé. Ces quotients sont construits sur l’hypothèse d’additivité des doses.

Dans le test agoniste AhR, la cyperméthrine représente 44,2 % du TEQ et constitue le principal contributeur à l’activité agoniste AhR en raison de son AC50 (concentration à 50 % de l’activité maximum, critère d’effet ici utilisé pour construire le TEF) relativement plus faible (0,035 μM) et de sa concentration moyenne dans les poussières plus élevée (3,32 μg/g). Dans le test AR agonist-1 et le test AR agonist-2, le 4-nitrophénol est responsable de la principale activité agoniste AR en raison de son AC50 extrêmement faible. Il est intéressant de noter que chaque mécanisme d’effet présente un profil de priorisation du risque différent avec des contributeurs principaux propres. Dans le test agoniste AhR, les scores de bioactivité varient de < 0,1 % à 44,2 %. Les insecticides contribuent à 55,0 % (figure 1), suivis des retardateurs de flamme (17,8 %) et des hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) (14,6 %).

Pour l’ensemble des composés, l’ingestion de poussière est le principal contributeur à l’exposition totale. La variation de la bioaccessibilité entre les composés est très élevée mais n’impacte pas l’ordre des composés dans la priorisation des risques.

 

Commentaire

Cet article et la base de données associée fournissent des outils d’aide à la priorisation de l’action publique, à l’optimisation de nouvelles campagnes de mesures, ou encore peuvent fournir des profils d’exposition pour des évaluations de l’exposition intégrée multimédia. En plus de constituer une base de données de niveaux de bruit de fond, ce travail propose une déclinaison du thème d’exposome sur la qualité des milieux environnementaux intérieurs. Cette approche novatrice permet de construire des indicateurs de risque utilisant des valeurs toxicologiques expérimentales exprimées à un niveau biologique d’action plus en amont que ceux utilisés dans les évaluations des risques sanitaires classiques.

Au cours de ces dernières années, d’importants progrès ont été réalisés dans le domaine des méthodes alternatives à l’expérimentation animale, appelées « new approach methodologies » (NAMs), et de nombreuses techniques intéressantes in chemico, in silico et in vitro ont été mises au point. Elles incluent également une variété de nouveaux outils de test, tels que le « criblage à haut débit » utilisé notamment dans Toxcast. L’utilisation des données de ToxCast pour construire des TEF est très intéressante et fournit une approche méthodologique mécanistique permettant la combinaison des composés. Soulevée dans cette étude, l’utilisation des TEF présente toutefois plusieurs limites associées pour un approche d’évaluation des risques cumulés en tant que tel (hypothèse d’additivité des doses ne permettant pas de prédire les effets cocktails des mélanges, approche ne permettant pas la combinaison des expositions de voies d’administration différentes, etc.). Le concept d’AOP (adverse outcome pathways ou chemin de l’effet néfaste en français) est de plus en plus utilisé comme outil assembleur conceptuel pour fournir un moyen d’intégration, de structuration et d’interprétation de données et approches proposées dans cet article. Le croisement opérationnalisé des concepts d’AOP et d’exposome sur ce design d’étude permettrait d’apporter de réelles avancées sur l’évaluation des risques du mélange des composés dans les différents milieux.

  • [1] Wild C.P. Complementing the genome with an “exposome”: the outstanding challenge of environmental exposure measurement in molecular epidemiology. Cancer Epidemiol Biomarkers Prev. 2005;14:1847-1850.

Publication analysée :

* Dong T, Zhang Y, Jia S, et al. Human indoor exposome of chemicals in dust and risk prioritization using EPA's ToxCast database. Environ Sci Technol 2019; 53: 7045-54. doi : 10.1021/acs.est.9b00280

1 School of Environment, Jinan University, Guangdong Guangzhou, China