ANALYSE D'ARTICLE

Relations dose-réponse non monotones : quelle plausibilité ?

Une relation dose-réponse dont le profil n’est pas conventionnel complique l’évaluation du risque lié à l’exposition à la substance. Les auteurs de cet article proposent une méthode en cinq étapes afin d’évaluer la fiabilité d’une relation de ce type préalablement à son utilisation.

An unconventional dose-response relation complicates the risk assessment of exposure to a substance. The authors of this article propose a five-step method to assess the reliability of this type of relation before it is used.

Des relations dose-réponse non linéaires ou non monotones, caractérisées par des courbes dont la pente change de direction dans la gamme des doses testées, sont aujourd’hui régulièrement décrites pour les perturbateurs endocriniens. Une telle relation dose-réponse défi e le principe de Paracelse selon lequel la dose fait le poison, ainsi que ce qui est communément admis pour l’évaluation du risque : une fois détectable (au-dessus de la dose sans effet nocif observé [NOAEL pour no observed adverse effect level]), la réponse d’un organisme à un toxique augmente graduellement avec le niveau d’exposition jusqu’à une limite haute (maximal effect level), au-delà de laquelle l’augmentation de la dose n’amplifie plus la réponse. Les notions conventionnelles de seuils ne s’appliquent ni à une courbe en U (réponses maximales dans les fourchettes de doses les plus faibles et les plus élevées) ni à une courbe en cloche ou en U inversé (réponses maximales aux doses intermédiaires). Une toxicité tendant vers l’infini pour des doses se rapprochant de zéro n’étant pas imaginable, une courbe en U laisse supposer qu’en-dessous de la plus faible dose testée, une valeur existe en deçà de laquelle la réponse diminue. Dans le cas d’une courbe en cloche, dont la partie ascendante peut permettre d’extrapoler une NOAEL par modélisation, la diminution subséquente de la réponse interroge sur de possibles effets toxiques non spécifiques à hautes doses.

La plausibilité d’une relation dose-réponse non monotone mérite d’être vérifiée avant d’affronter les difficultés générées par son utilisation pour l’évaluation du risque. À cet effet, les auteurs de cet article ont développé une méthodologie qu’ils ont appliquée au bisphénol A (BPA) dans le cadre de son évaluation par l’Agence française de sécurité sanitaire.

 

Approche suivie

Une recherche dans la littérature publiée jusqu’en janvier 2012 a permis d’identifier 51 études (20 études in vitro, 29 in vivo, et deux études épidémiologiques)décrivant un ou plusieurs profils (au total 170) de relations dose-réponse non monotones pour des hormones naturelles (17ß-estradiol majoritairement) et différentes substances : en premier lieu le BPA et également des alkylphénols, des phytoestrogènes, des polychlorobiphényles (PCB), le diéthylhexylphtalate (DEHP), le diéthylstilbestrol et des pesticides organochlorés.

Les deux études épidémiologiques ont été écartées en amont. L’analyse des données fournies par la première (mettant en évidence un excès de risque de sarcome des tissus mous plus élevé pour une faible exposition à la dioxine que pour une exposition plus importante) ne permettait pas d’établir clairement l’existence d’une relation dose-réponse non monotone. Dans la seconde (rapportant des associations entre l’exposition à différents polluants organiques persistants et diverses anomalies métaboliques), la classification catégorielle empêchait de relier un niveau d’exposition spécifique à un effet donné. La qualité des 49 études expérimentales a été jugée dans un premier temps sur la base du score de Klimisch, et les études de catégorie 1 (fi able sans restriction) ou 2 (fi able avec restrictions) ont été examinées plus avant afin d’évaluer la force des relations dose-réponse décrites. Le premier critère a été le nombre de doses testées (au moins quatre étant requises), puis la disponibilité d’un nombre de données individuelles suffisant pour une analyse statistique et son caractère concluant. Dans le cas, courant, de données trop rares, les auteurs ont établi un score de plausibilité statistique sur la base des critères proposés par Calabrese et Baldwin pour une relation dose-réponse de type hormétique (incluant le nombre de doses entraînant une réponse statistiquement différente du témoin, l’amplitude de la réponse et la reproductibilité des résultats), qui ont été adaptés pour une courbe en U ou en cloche. À l’issue de ces quatre étapes, un niveau de plausibilité modéré à élevé a été attribué à 82 profils de relations dose-réponse non monotones parmi les 162 examinés.

 

Arguments mécanistiques

Les auteurs ont recherché des éléments biologiques pouvant renforcer la plausibilité de la relation observée (mécanisme d’action connu ou proposé et soutenu par des données expérimentales) ou, à l’inverse, l’affaiblir (cytotoxicité à haute dose ou effets de type physico-chimique).

Différentes hypothèses mécanistiques étaient formulées dans 31 études, la plus fréquente étant l’induction d’effets opposés (par exemple agonistes puis antagonistes) selon la dose testée, ce qui peut être dû à l’existence de plusieurs cibles moléculaires ayant une affinité plus ou moins élevée pour la substance. Suivant leurs niveaux de concentration, des substances telles que le BPA, le 17ß-estradiol, les phytoestrogènes et le diéthylstilbestrol peuvent ainsi activer de manière différentielle les récepteurs aux estrogènes de type ou ß, ce qui contribue à un profil dose-réponse non monotone. Par ailleurs, l’augmentation de l’exposition peut induire un mécanisme de rétrocontrôle hormonal, la désensibilisation des récepteurs et la diminution de leur expression, ou encore la saturation d’une voie métabolique.

 

Application au cas particulier du BPA

Les auteurs ont analysé 49 profils de relations dose-réponse non monotones issus de 10 études in vivo chez la souris ou le rat, qui rapportaient différents types d’effets du BPA, incluant des effets sur la réponse de la glande mammaire à la progestérone, sa sensibilité aux estrogènes, la tumérogenèse mammaire, la morphologie de l’utérus et sa richesse en récepteurs aux estrogènes et à la progestérone, la fertilité et la fécondité, le comportement sexuel et l’expression de gènes de la lipogenèse. Aucune des études n’avait été conduite conformément aux lignes directrices de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et/ou aux Bonnes pratiques de laboratoire (BPL), mais les protocoles étaient bien décrits, les résultats étaient suffisamment détaillés, et toutes ont été classées catégorie 2 sur la base du score de Klimisch. Les auteurs relèvent en particulier les efforts visant à contrôler une contamination externe par du BPA ou des composés à activité estrogénique provenant des matériaux de la cage et des abreuvoirs, des aliments, de l’eau et de la litière. Une étude (rapportant cinq relations dose-réponse non monotones) a été éliminée car seules deux doses de BPA avaient été testées. Le nombre de doses allait de 4 à 8 (incluant le groupe témoin négatif) dans les autres études. Les données disponibles ont permis d’évaluer la plausibilité statistique de 43 relations dose-réponse sur 44, aboutissant à conserver 20 relations ayant un niveau de plausibilité modéré, élevé ou très élevé, issues de trois études. Leurs auteurs proposaient deux types d’explications mécanistiques : la pluralité des cibles moléculaires et le rétrocontrôle négatif. Les hypothèses étaient étayées par des travaux complémentaires dans deux études dont les résultats peuvent être considérés pour l’évaluation du risque, tandis que ceux de la troisième demandent confirmation.

 

Laurence Nicolle-Mir

 

Publication analysée :

Lagarde F1, Beausoleil C, Belcher SM, et al. Nonmonotonic dose-response relationships and endocrine disruptors: a qualitative method of assessment. Environmental Health 2015; 14: 13.

doi: 10.1186/1476-069X-14-13

 

1 Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), Maisons- Alfort, Fra